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Transition énergétique

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, chers collègues, permettez-moi, au préalable, de revenir sur la visite du Président de la République à Cuba, la première visite officielle d’un chef d’État français dans l’île. Elle restera comme un geste politique de grande importance dans les relations entre les deux pays. En effet, François Hollande a fait à La Havane une promesse, celle de faire de la France une alliée fidèle de Cuba. Cette promesse, il peut l’honorer en agissant avec détermination en faveur d’une levée immédiate et effective du blocus qui frappe Cuba depuis un demi-siècle.
Cette visite ouvre aussi des possibilités d’échanges et de coopérations dans le domaine scientifique et de la recherche, et la possibilité d’investissements – je pense aux entreprises qui ont accompagné le chef de l’État, et plus particulièrement à plusieurs PME innovantes dans le domaine du renouvelable. Je crois qu’il s’agissait là d’un signe fort, en lien direct avec le débat d’aujourd’hui.
Mais François Hollande peut également honorer cette promesse en œuvrant à la réussite de la conférence de l’ONU sur le climat, seul grand rendez-vous international organisé par la France pendant son mandat.
En effet, si j’évoque aujourd’hui le voyage présidentiel à Cuba, auquel a pris part, notamment, Mme la ministre de l’écologie, c’est que, parmi les champs possibles de travail en commun avec Cuba et, plus généralement, l’Amérique latine, figurent le développement durable et le changement climatique. Le sujet du réchauffement climatique a d’ailleurs été largement abordé lors de l’entretien du chef de l’État avec Fidel Castro. Les autorités cubaines expriment en ce domaine une attente forte et attendent beaucoup de la conférence de Paris. Il est vrai que l’île – je prends ici Cuba comme un exemple parmi d’autres – ou plutôt l’archipel, risque de perdre 2 700 kilomètres carrés de terres et plusieurs milliers de logements à l’horizon 2050 en raison de la montée du niveau des mers. Ce phénomène risque d’affecter l’ensemble de l’écosystème, de la productivité des sols agricoles aux constructions côtières, sans parler des conséquences humaines et économiques du risque d’une augmentation du nombre et de l’intensité des cyclones.
Cette problématique n’est évidemment pas propre à Cuba. Les Nations unies estiment que neuf catastrophes sur dix sont à présent liées au climat et qu’au cours des vingt prochaines années, elles ne feront que croître en nombre et intensité. Selon le Forum humanitaire mondial, les 325 millions de personnes les plus pauvres du monde, dans 49 pays, seront les plus affectées par le changement climatique. Ouragans, cyclones, inondations, pluies torrentielles, vagues de sécheresse, élévation du niveau de la mer, baisse de la ressource en eau potable et alimentaire menacent de nombreux pays et des milliards d’hommes et de femmes.
Les conséquences de ce réchauffement d’origine anthropique se font donc déjà cruellement sentir. Malgré le nombre de conflits armés, 2014 a compté trois fois plus de réfugiés environnementaux que de réfugiés politiques. Les conséquences du réchauffement, nous les connaissons. Le taux d’acidité des océans a ainsi augmenté de 26 % en raison de la forte hausse des émissions de CO2, au risque de l’appauvrissement de la biodiversité marine, tant végétale qu’animale. La température à la surface des océans s’est par ailleurs élevée de 0,11 degrés Celsius par décennie – je dis bien : par décennie – entre 1971 et 2010. En Arctique, la surface moyenne annuelle de la banquise a diminué de 3,5 à 4,1 % par décennie entre 1979 et 2012. La fonte des glaciers et de la calotte glaciaire, comme au Groenland, s’accompagne de la montée des océans : leur niveau moyen a crû de 19 centimètres en deux siècles. Certains scientifiques prévoient jusqu’à 82 centimètres sur l’ensemble du siècle actuel.
La température moyenne globale à la surface de la planète a augmenté de 0,85 degré Celsius entre 1880 et 2012. Les trois dernières décennies ont été les plus chaudes depuis 1850. En conséquence, les systèmes hydrologiques s’altèrent. Cette situation pèse sur le niveau de la ressource en eau potable et sur les rendements céréaliers dans les régions tempérées et tropicales.
Face à ces menaces qui engagent le diagnostic vital de la planète, la communauté internationale s’est mobilisée, mettant en place un processus multilatéral pour tenter de mener des politiques globales. Si ces négociations ont été scandées par des moments importants comme la signature, en 1997, du protocole de Kyoto, ces négociations apparaissent aujourd’hui bien trop lentes et chaotiques. La conférence annuelle sur le climat de l’ONU organisée en décembre à Lima – la COP20 – n’a ainsi pas été à la hauteur des enjeux. Nous savons tous qu’il sera à présent difficile, sans l’expression d’une volonté politique forte, de déboucher à Paris sur un accord suffisamment important, qui puisse prendre le relais du protocole de Kyoto. Parmi les questions majeures figurent l’adaptation au réchauffement climatique et les aides à apporter aux pays qui en subissent ou vont en subir à court et moyen terme les conséquences néfastes.
Nous avons toujours exprimé – je veux le rappeler – les plus vives réserves à l’égard de la notion d’« adaptation » au changement climatique, qui laisse entendre que les scénarios de maîtrise efficace proposés par le GIEC ne seront pas atteints, que la maîtrise du réchauffement climatique sera insuffisante et qu’il convient prioritairement d’orienter les investissements dans l’adaptation de nos sociétés à ce réchauffement. Le fait de parler d’ « adaptation » de nos sociétés au réchauffement est donc un signe d’échec.
De la même façon, nous avons, de façon constante, été très critiques envers les outils économiques et financiers accompagnant le protocole de Kyoto et devant permettre aux États engagés de réduire leurs émissions. Au regard de la faiblesse globale des résultats obtenus, force est de constater que le choix de privilégier des outils purement financiers, avec l’extension des marchés de permis d’émissions ou des mécanismes d’échanges, a largement validé nos critiques initiales : je pense en particulier aux mécanismes de développement propre – les MDP – ou à la mise en œuvre conjointe – la MOC. Ces outils, regroupés sous le titre de « finance carbone » ont en effet avant tout contribué à accélérer les logiques financières et spéculatives du capitalisme mondialisé, comme l’attestent les délocalisations d’activités émettrices et la fuite de carbone vers les pays du Sud, au moyen de stratégies de contournement. Par exemple, dans l’Union européenne, le marché carbone prouve son inefficacité à servir de levier régional, ce qui résulte des largesses consenties dans l’attribution des permis d’émission et l’effondrement du prix de la tonne de CO2, devenu dérisoire – il s’élève à environ 5 euros la tonne.
À rebours de cette logique de renoncement, l’urgence de la situation impose de porter une attention spécifique aux enjeux de développement et à la réalisation d’un véritable droit universel à l’énergie « décarbonée » dans les pays du Sud. Ce droit à l’énergie – décarbonée, j’y insiste – suppose une impulsion nouvelle en matière de coopération par l’intermédiaire de nouvelles structures dédiées, afin d’arrêter un certain nombre d’objectifs planétaires contraignants, de contrôler leur mise en œuvre et d’apporter un véritable appui technique désintéressé et permanent pour conseiller les pays du Sud, en particulier dans leurs choix énergétiques – secteur où la progression des émissions est la plus importante.
J’ai participé, comme d’autres ici présents, à deux conférences des parties, dites « COP », celles de Copenhague, en 2009 – la COP 15 –, et celle de Durban en 2011 – la COP 17. Je crois que, dans ces deux cas, on peut parler d’échec. En effet, les pays industrialisés ne reconnaissent pas pleinement leurs responsabilités et ne veulent pas les assumer, aux plans international comme national. J’ai d’ailleurs le souvenir de la façon dont ces conférences se déroulent. Chacun vient se livrer à des effets de manche, montrer les muscles, avancer des promesses, selon une forme de jeu de rôle. In fine, cela donne peu de résultats ou, du moins, des résultats qui ne conduisent pas à des solutions durables ; des engagements sont pris mais, pour la plupart, ne sont jamais tenus.
J’ai fait référence à la COP15 de Copenhague et à la COP17 de Durban pour que l’on mesure bien les difficultés auxquelles la France fera face à la conférence qui aura lieu en décembre, à Paris.
À l’évidence, nos émissions impliquent des changements de modes de vie et une réorientation des structures économiques et des outils productifs d’une ampleur considérable. Cette transition énergétique et économique nécessite de replacer l’enjeu climatique au centre du débat public, en mettant en perspective les bouleversements sociaux qu’il implique.
Pas plus qu’en première lecture, nous ne sommes disposés à faire de faux procès au Gouvernement et, plus particulièrement, à Mme la ministre. Je le redis : nous ne remettons en cause ni l’engagement, ni l’implication sur ces sujets de la ministre de l’écologie et, plus largement, du Gouvernement. Le texte qui nous est proposé se veut, il est vrai, porteur d’une ambition forte, que nous partageons.
Comme vous, nous jugeons impératif de construire un nouveau modèle énergétique plus diversifié, plus équilibré, plus sûr, plus participatif.
Comme vous, nous estimons qu’il est indispensable de se fixer des objectifs clairs et chiffrés, réalistes et atteignables de réduction de notre empreinte carbone. Le Sénat avait supprimé du texte l’objectif intermédiaire, fixé par notre assemblée, d’une baisse de la consommation énergétique de 20 % en 2030. Nous nous réjouissons de le voir rétabli, d’autant que l’on se souvient que c’est l’objectif qui avait été acté pour 2020 par le Grenelle de l’environnement.
Ainsi que le Sénat en a apporté la démonstration, chers collègues de droite (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), beaucoup, sur vos bancs, se font les avocats de l’irresponsabilité et de l’immobilisme, en arguant que le contexte économique ne se prête pas à des avancées significatives.
De tels propos ont été entendus au cours des débats au Sénat. Nous pensons au contraire – c’est un autre point de convergence que nous avons avec le Gouvernement – que la transition énergétique est non seulement une nécessité, mais une formidable opportunité, un gisement d’innovation et d’emploi.
Si nous ne mettons pas en cause votre volonté de faire avancer les choses, ce texte pèche néanmoins par l’insuffisance des moyens mis en œuvre au regard de l’ambition affichée.
La ministre de l’écologie, dont je regrette l’absence – je m’adresse à elle par votre intermédiaire, monsieur le secrétaire d’État – a en effet été obligée de se glisser dans ce que j’appelle la « gangue austéritaire » de la politique budgétaire conduite par le Gouvernement. Or pour réussir la transition énergétique, il faut en faire une priorité réelle de politique économique, mais aussi de politique budgétaire. Ce n’est pas le cas.
Les besoins en investissement avaient été estimés à 14 milliards d’euros par an au terme du débat national sur la transition énergétique, et à plus de 20 milliards par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME.
Nous sommes très loin de cet ordre de grandeur puisqu’il n’est envisagé d’investir que 10 milliards d’euros sur trois ans, sous forme de crédits d’impôt, de chèques énergie et de fonds destinés à accompagner les collectivités locales, les particuliers, les entreprises et les banques.
Je pense que c’est dans ce cadre que s’inscrit l’engagement de la Caisse des dépôts et de consignations comme opérateur de financement à hauteur de 1,5 milliard d’euros. Pouvez-nous dire exactement, monsieur le secrétaire d’État, quels fonds ont été investis, sous quelle forme, et selon quel calendrier ? Que pèse ce 1,5 milliard au regard des 10 milliards engagés sur trois ans ?
Pour pallier cet écueil du manque d’argent lié à une politique budgétaire restrictive, vous misez sur l’initiative privée.
Nous ne sommes pas de ceux qui négligent ce que l’initiative privée peut offrir, en particulier en termes d’innovation. Les exemples ne manquent d’ailleurs pas d’entreprises privées qui font preuve d’innovation et qui sont présentes à l’international. Mais peut-on pour autant tout miser sur le marché, subordonné à la logique du profit, pour conduire une politique aussi structurante que celle de la transition énergétique ?
Contrairement à ce que pensent les libéraux depuis Bernard Mandeville et sa Fable des abeilles – publiée en 1705 : c’est dire à quel point vous êtes conservateurs ! –, les vices privés ne font pas les vertus publiques. La recherche du profit ne sert pas l’intérêt général.
Nous croyons pour notre part en la nécessité d’une maîtrise publique de l’énergie, car nous sommes convaincus qu’elle seule est garante de l’intérêt général et de l’égalité de tous en tout point du territoire.
C’est ce même attachement au service public qui nous porte à contester le modèle de territorialisation rampante de l’énergie que met en œuvre ce projet de loi.
Les territoires à énergie positive, tout comme les pôles territoriaux énergétiques, organisent la concurrence entre territoires et esquissent un modèle énergétique en circuit fermé, voire en autarcie, qui risque de porter un coup fatal à ce qui reste du service public de l’énergie après des décennies de dérégulation.
À l’instar de nos homologues du Sénat, nous pensons que ce projet de loi s’inscrit à cet égard dans une démarche d’ensemble tendant à la privatisation du secteur de l’énergie : renforcement du marché de capacité, renforcement, sous prétexte d’économies d’énergie, du marché de l’effacement au profit de monopoles privés, enfin, cerise sur le gâteau, privatisation du secteur historique de l’hydroélectricité.
Nous ne comprenons pas l’obstination dont fait preuve le Gouvernement dans ce dossier. La mise en concurrence des barrages hydrauliques, première source d’électricité renouvelable en France, ne se justifie pas.
Les barrages représentent 2,5 millions d’euros d’excédents chaque année et c’est plus d’un milliard de ce qu’on appelle la « rente hydraulique », qui est répercuté dans le prix de l’électricité que payent les Français. La logique de privatisation, même partielle, sous quel qu’habillage que ce soit, risque d’entraîner une augmentation des tarifs de l’électricité, sans compter d’autres effets négatifs que nous pourrons détailler au cours des débats.
Cet acharnement est d’autant plus surprenant que vous reproduisez ce faisant un schéma que nous avons déjà expérimenté lors de la privatisation des concessions autoroutières ou avec les privatisations d’aéroports proposées à la hussarde par le ministre de l’économie. Il s’agit d’offrir à de grands industriels des rentes confortables, sans que cela réponde à un quelconque objectif d’intérêt général. Alors qu’on regrette aujourd’hui les conséquences de telles cessions au secteur privé – je pense notamment aux autoroutes –, dans le même temps on engage le même processus pour les centrales hydrauliques.
Ce même projet de loi sur la croissance et l’activité libéralisant le transport interurbain au profit des sociétés d’autocars privées, au détriment du rail, comment ne pas évoquer le grand absent de ce texte à savoir les transports collectifs, malgré votre présence ce soir, monsieur le secrétaire d’État. Nous savons qu’avec environ 27 % des émissions totales, le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre ; qu’il contribue également largement à la pollution de l’air puisqu’il représente près de 15 % des émissions nationales de particules et 56 % des émissions d’oxyde d’azote.
En matière de réduction du trafic routier, le texte propose une série de mesures utiles, qu’il s’agisse d’accélérer la mutation du parc automobile, de renforcer les moyens de lutte contre la pollution de l’air ou encore de réduire la dépendance au pétrole et au gaz. Nous n’y trouvons toutefois aucune mesure d’ampleur, par exemple de financement des projets de transport ferroviaire de voyageurs et de marchandises, de rénovation des voies ferrées ou concernant les projets de transport fluvial de marchandises. Aucune !
À l’instar de la question de l’étalement urbain, qui représente lui aussi un enjeu de taille, les transports publics et le report modal ne sont pas suffisamment pris en compte. Le Gouvernement nous semble miser sur le « tout routier », essentiellement pour des raisons de coût, quitte à porter un coup fatal au transport ferroviaire de voyageurs. Nous ne pouvons pas souscrire à cette logique d’abandon du ferroviaire.
Mon collègue du Front de gauche Patrice Carvalho a relevé d’autres insuffisances du texte, concernant notamment les personnes en situation de précarité énergétique et l’explosion du coût de l’énergie, alors qu’un tiers des Français ont déjà rencontré des difficultés au cours de ces trois dernières années. Par ailleurs, alors que tous les acteurs de terrain soulignent l’insuffisance des moyens destinés à l’accompagnement des ménages dans leurs démarches d’amélioration énergétique de leur habitat, les dispositions financières contenues dans le titre II du texte me paraissent pour le moins difficilement lisibles en termes de moyens que l’État entend mobiliser de façon concrète pour les années à venir. Mais sans doute allez-vous nous apporter des précisions sur ces nouveaux dispositifs.
Il faut savoir par exemple que l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, avait, dès juillet 2014, totalement épuisé ses crédits.
Toutes les demandes, notamment pour l’amélioration énergétique de l’habitat, n’ont pas pu être instruites à partir du mois de juillet. En janvier 2015, certains de ces dossiers ont été pris en compte, mais d’autres n’ont pas pu l’être parce qu’entre-temps les critères avaient changé faute de crédits suffisants pour satisfaire des demandes qui avaient pourtant été agréées au niveau départemental.
Il y a donc contradiction entre les ambitions que l’on affiche et l’insuffisance des moyens consacrés à leur mise en œuvre.
Je voudrais revenir sur la question de l’éolien.(« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) Il ne vous aura en effet pas échappé que nous avons déposé un amendement proposant de fixer de nouveau à 1 000 mètres, au lieu de 500, la distance minimale entre les installations et les habitations.
S’agit-il de bloquer ainsi le développement des énergies renouvelables ?
Je m’attendais à cette réponse, mais, contrairement à ce que certains voudraient nous faire dire ou faire accroire, nous ne sommes pas des adversaires des énergies renouvelables.
Comme nous l’avons dit, comme l’ont dit également nos collègues du Sénat, nous jugeons ainsi qu’il était important d’inscrire dans la loi un objectif de réduction de la part du nucléaire.
Nous souhaitons simplement que cette réduction soit fonction des progrès réalisés en matière d’économies d’énergie et d’énergie renouvelable et décarbonée, de façon à éviter l’écueil désastreux du recours aux énergies fossiles.
C’est dans ce cadre qu’il faut aller vers une réduction de la part du nucléaire. Nous avons autour de nous suffisamment d’exemples des conséquences désastreuses d’une transition énergétique qui n’est pas maîtrisée.
Nos réserves sur l’éolien sont fondées sur les pratiques de l’industrie de l’éolien en France et la sous-évaluation des nuisances de la production d’énergie éolienne.
Le chiffre d’affaires de l’éolien est de plus de dix milliards d’euros en France et, en quelques années, plusieurs dizaines d’investisseurs ont fait fortune dans le domaine des énergies renouvelables, les trois ou quatre premiers d’entre eux engrangeant plusieurs centaines de millions d’euros chaque année.
Pour vendre leurs projets de parcs éoliens, les industriels n’hésitent pas à mettre la main à la poche et à offrir aux collectivités locales intéressées des sommes pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros par an.
Dans un contexte de baisse des dotations, on comprend que certaines communes ou communautés de communes situées dans des zones plus ou moins en voie de désertification acceptent ces offres. Cette dérive financière accompagnant le développement de l’énergie éolienne est depuis longtemps une réalité que nous n’avons cessé de dénoncer dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Je renvoie ceux qui n’auraient pas été convaincus par mes propos à l’excellent reportage diffusé il y a quelques jours par France 3 dans le cadre de l’émission Pièces à Conviction. Je vous engage à regarder ce reportage extrêmement intéressant.
Une question vient immédiatement à l’esprit : est-ce une situation saine ? Comme le soulignait récemment un blogueur sur le site de Médiapart, « voulons-nous passer progressivement d’un système avec un service public qui se veut égalitaire à une organisation sociale financée par les entreprises – une école privée payée par Total ou EDF, des chemins communaux inaugurés par Siemens ou Areva ? C’est l’une des questions qui nous sont posées aujourd’hui. Devons-nous continuer d’encourager ces pratiques ? Devons-nous continuer dans la voie de l’assouplissement des dispositions réglementaires et législatives, jusqu’à la dérogation au droit commun, afin de faciliter le développement anarchique de l’éolien sur notre territoire pour le plus grand profit de quelques opérateurs privés ?
Doit-on continuer de la même manière de faire payer aux consommateurs le surcoût de l’aide aux investisseurs éoliens, répercutée dans la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, sans que la répartition de cette contribution, qui représente en moyenne 15 % de la facture de chaque foyer, soit connue ?
N’est-il pas temps surtout d’introduire plus de régulation, plus de transparence et plus de démocratie ?
Peut-on ainsi continuer de nier l’impact de l’éolien sur la santé ? Alors que l’OMS, tout comme l’académie de médecine, préconise de ne pas installer d’éolienne à moins de 1 500 mètres d’une habitation, la distance minimale prévue par le texte n’est que de 500 mètres, distance recommandée par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, l’AFSSET, sur le fondement d’une étude qui ne s’est préoccupée que du bruit, négligeant totalement l’impact des infrasons.
Nous ne pouvons pas continuer de développer l’éolien contre l’avis des populations locales au seul profit de l’industrie éolienne. Si nous voulons que l’éolien se développe, ce ne peut être que sur la base de projets soutenus et portés par les populations.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’énergie ne doit pas, aujourd’hui moins que jamais, devenir une marchandise comme les autres, vendue au plus offrant, d’un bout de l’Europe à l’autre, au gré des indices boursiers et sujette à toutes les spéculations.
La lutte contre le réchauffement climatique exige au contraire l’affirmation du rôle structurant des pouvoirs publics, en France et en Europe.
Cela suppose de rompre avec les politiques d’austérité et de financer par un endettement « sain » auprès de la Banque centrale européenne les grands programmes visant l’établissement d’une société bas carbone à l’échelle de l’Europe.
D’autre part, le marché et le recours exclusif au secteur privé, avec les logiques de profit à court terme, ne sont pas à la hauteur des enjeux qui nécessitent des temps longs et d’importants investissements publics. Le service public est donc incontournable, à l’opposé des politiques de dérégulation et de privatisation malheureusement réaffirmées dans la démarche d’ensemble du présent texte. Dans ce projet de loi, nous l’avons dit, la question du financement pour atteindre les nombreux objectifs affichés reste très problématique. Nous n’avons, par exemple, aucune lisibilité sur le montant et la mécanique de financement du chèque énergie, sur fond de disparition des tarifs sociaux.
La refonte de la contribution au service public de l’électricité, telle qu’elle a été adoptée en commission économique du Sénat, circonscrit celle-ci au seul financement des énergies renouvelables en renvoyant les autres charges au budget de l’État – tarifs sociaux ou encore péréquation avec les zones non interconnectées. Depuis 2010, la CSPE a subi une augmentation de 330 %, essentiellement due aux tarifs de rachat de l’énergie renouvelable qui représentent 60 % à eux seuls, contre seulement 5,7 % pour le tarif social. Il est plus que temps d’exiger de la transparence pour ce mécanisme vis-à-vis des usagers.
Dès l’ouverture du débat, nous avions déposé plusieurs amendements importants visant à l’abrogation de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, à la reprise sous maîtrise publique du secteur énergétique et au maintien des tarifs réglementés de l’énergie, sans être entendus. Nous espérons – nous espérons ! – que cette nouvelle lecture permettra quelques avancées supplémentaires à celles, trop modestes à nos yeux, enregistrées au cours de la navette parlementaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UDI.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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