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Transparence corruption & lanceur d’alerte - Nlle lect

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il y a une semaine, on apprenait que l’ancienne commissaire européenne à la concurrence, Mme Neelie Kroes, avait été administratrice jusqu’en 2009 d’une société offshore logée aux Bahamas, alors qu’elle était en poste à la Commission européenne. La Mint Holding, société que Mme Kroes a malencontreusement oublié de déclarer au moment d’entrer en fonction, avait pour objet de gérer des actifs financiers, notamment dans le secteur de l’énergie qu’elle aura eu à cœur de libéraliser au cours de son mandat.
Nous avons là affaire à un énième scandale, piétinant les obligations déontologiques les plus basiques et entachant les prétendues élites européennes, après les Panama Papers, après Luxleaks, après la nomination rocambolesque de M. Juncker, ministre des finances d’un paradis fiscal, à la tête de la Commission européenne, après le scandale UBS et les mallettes remplies d’argent fuyant la France pour la Suisse, après l’affaire Barroso, parti pantoufler dans la sulfureuse banque Goldman Sachs, après, enfin, le jackpot des prétendus super-patrons français touchant l’équivalent de deux SMIC annuels par jour !
Mes chers collègues, face à ces affaires qui se multiplient, comment ne pas comprendre ce fossé, ce gouffre qui se creuse entre le peuple et son personnel politique ? Pour bien comprendre ce qui doit servir de boussole et nous amener à être exemplaires, responsables mais aussi intraitables sur le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui, voici deux chiffres, que cite souvent mon collègue Marc Dolez. Ils sont issus d’une étude IPSOS de 2016 : 77 % des Français considèrent que la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus – une proportion en hausse de 11 points par rapport à l’année précédente –, quand 93 % d’entre eux pensent que les hommes politiques agissent principalement pour leurs intérêts personnels.
Ces chiffres sont éloquents et tristes. Bien sûr, mes chers collègues, cette défiance n’est pas nouvelle. Elle est vieille comme le monde. Elle a toujours existé, quels que soient les gouvernements, quels que soient les partis au pouvoir. Mais c’est bien le niveau inédit de cette défiance qui étonne : il exige de la représentation nationale une prise de conscience et des actes forts.
Le débat sur la transparence, la probité dans les affaires publiques et la politique française en matière de lutte contre la corruption, entamé en première lecture et que nous reprenons aujourd’hui, est absolument essentiel. Ce projet de loi, qui, certes, comprend de nombreux articles, ne saurait être un énième rendez-vous manqué. Nous ne saurions rester au milieu du gué et manquer d’audace. Voilà pourquoi nous nous étions abstenus en première lecture : l’ambition affichée ne peut suffire. Seuls les actes comptent !
Plusieurs sujets vont donc nous réunir une nouvelle fois – peut-être pour la dernière fois dans ce quinquennat. Citons d’abord l’instauration d’une Agence française anticorruption, aux compétences élargies, en lieu et place de l’actuel Service central de prévention de la corruption. Comme nous l’avions déjà indiqué, nous la considérons comme une très bonne disposition. Cet outil doit permettre de chapeauter l’ensemble de notre politique anti-corruption. Toutefois, nous vous le répétons, cette agence doit être réellement indépendante de toute ingérence politique pour être véritablement crédible et efficace. Tel n’est pas le cas aujourd’hui. D’ailleurs, qu’en est-il des moyens financiers de ladite agence ? Si quelques éléments ont été évoqués en introduction, nous espérons, monsieur le ministre et monsieur le rapporteur, avoir des gages de votre part sur ces deux points essentiels.
La protection des lanceurs d’alerte sera également au cœur de nos discussions. Le besoin de protection, qui est réel, nécessite un statut véritablement progressiste. Nous saluons les progrès réalisés en commission sur la définition du lanceur d’alerte et le pas en avant qu’ont effectué le rapporteur et la majorité. Car, en l’état, la définition actuelle permet de couvrir des alertes relatives à l’intérêt général. C’était l’une de nos préoccupations essentielles en première lecture. Nous saluons donc ce progrès.
Ce projet de loi propose également de créer un registre des lobbyistes, sujet de profond désaccord dans la navette parlementaire avec le Sénat. Nous sommes bien entendu favorables à ce registre. L’instauration d’une procédure de sanction pénale à l’égard des lobbyistes peu scrupuleux était, nous semble-t-il, nécessaire pour équilibrer le dispositif. Nous nous en réjouissons donc.
Nous regrettons toutefois que le champ d’application du registre ait été réduit par rapport au texte adopté en première lecture. Aussi, plusieurs de nos amendements viseront à réintégrer le président de la République ainsi que les membres du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État à la liste des personnalités susceptibles d’être l’objet de stratégies de lobbying, conformément au souhait de notre assemblée en première lecture.
Abordons maintenant les véritables points de divergence que nous avons avec la mouture actuelle de ce projet de loi. Il s’agit en premier lieu du « verrou de Bercy », dont nous demandons une nouvelle fois la suppression. Pour ceux qui nous suivent et qui ne connaîtraient pas cette expression, le « verrou de Bercy » désigne le monopole qu’exerce le secrétaire d’État au budget sur les décisions de poursuites en matière de fraude fiscale. Pour le dire très sommairement, il s’agit ni plus ni moins d’une atteinte fondamentale au principe de la séparation des pouvoirs. Une exception dans le monde !
La Cour des comptes l’explique très bien en ces termes : en France, « la fraude fiscale est le seul délit que les parquets ne peuvent poursuivre de façon autonome. Cette situation est aujourd’hui préjudiciable à l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale ». Face aux scandales fiscaux à répétition, le Sénat, évidemment plus conservateur, a pourtant pris conscience de la nécessité de supprimer ce monopole de Bercy et a voté une disposition en ce sens – supprimée par la suite en commission. Il revient désormais à l’Assemblée de prendre ses responsabilités sur ce sujet. Il y va de l’efficacité et de la crédibilité de notre politique de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Alors que ces deux fléaux nous coûtent chaque année entre 60 et 80 milliards d’euros, la France devrait être à la pointe de la lutte. Au-delà des pratiques fiscales des particuliers, celles des entreprises devraient concerner chacun d’entre nous et appeler la représentation nationale à l’action plutôt qu’à l’incantation. Il nous faut faire toute la lumière, enfin, sur les pratiques d’optimisation et de transfert artificiel de bénéfices des entreprises vers des contrées à fiscalité nulle ou privilégiée. Sont principalement visées ici les multinationales, capables de s’entourer d’une armée d’experts pour mettre en place un organigramme juridique et financier aussi complexe qu’efficace.
Mes chers collègues, comment peut-on encore accepter, tolérer, que la contribution de ces sociétés à l’effort national soit aussi faible ? Au-delà de l’injustice économique et sociale, c’est bien une question morale qui est ici posée. Des discussions se tiennent à l’échelon européen ; des décisions y sont prises. C’est en effet un échelon pertinent. Mais notre pays, je le répète, doit être moteur et prendre réellement la mesure du fléau.
À nous, mes chers collègues, d’adopter un véritable reporting public, pays par pays, non une usine à gaz comme cela a été fait en première lecture. C’est certainement, soyons-en conscients, l’une des dernières chances de ce quinquennat pour y parvenir.
Je conclurai en évoquant un sujet déjà cité par certains collègues, mais qui me tient plus particulièrement à cœur, puisque j’avais présenté une proposition de loi sur le sujet en mai dernier : il s’agit de l’encadrement des écarts de rémunération dans l’entreprise. Cette question a été soulevée par plusieurs d’entre nous ; pourtant, la plupart d’entre vous, mes chers collègues, avaient refusé de soutenir la proposition de loi.
Pour encadrer les rémunérations patronales, le présent projet de loi se contente de rendre décisionnel le vote des actionnaires. Alors que les inégalités de revenus sont devenues une source d’insalubrité publique, que le pacte social et le ciment de la société sont en jeu, on se contente d’une demi-mesure pour réguler les délires de pseudo-superpatrons mégalomanes.
Encadrer par la loi les écarts de rémunération, renforcer la présence des salariés dans les organes de direction des entreprises, ouvrir la composition des conseils d’administration à des profils autres que ceux issus du sérail, développer un modèle de cogestion à la française, telles sont les mesures qui manquent à ce projet de loi.
Voilà, mes chers collègues, dans quel état d’esprit nous abordons ce texte ; nous serons résolument constructifs, ouverts au dialogue ; satisfaits sur certains points, nous nous tiendrons éloignés des postures et des clivages artificiels qui minent notre pays et instaurent un climat de défiance généralisée. Car c’est bien la question du lien de confiance entre décideurs politiques ou économiques et le reste de la population, et, au-delà, celle du pacte social, qui est en jeu aujourd’hui. À nous d’en prendre toute la mesure. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

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Gaby
Charroux

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