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Transports : sanction de la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l’Union européenne

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous associons bien volontiers à cette proposition de loi qui vise à permettre l’information des voyageurs qui achètent un billet entraînant un vol sur une compagnie aérienne figurant sur la liste noire de l’Union européenne. Ceux-ci seront prévenus qu’ils s’apprêtent à voyager dans des appareils présentant une dangerosité certaine.
Comme l’examen du texte en commission l’a révélé, les moyens des États pour lutter contre ces compagnies aériennes peu scrupuleuses sont malheureusement très limités. En effet, interdire purement et simplement ces compagnies est une prérogative qui relève de la souveraineté des États.
D’autres obstacles existent. Ainsi, certains transporteurs ne figurent pas sur la liste noire européenne mais utilisent cependant des avions interdits de vol par nos autorités. C’était le cas de la compagnie Yemenia, et nous connaissons tous ici les conséquences désastreuses de ce choix.
Selon le secrétaire d’État aux transports de l’époque, Dominique Bussereau, « de très nombreux défauts [avaient été] constatés » sur l’appareil en 2007 par la direction générale de l’aviation civile française, auxquels viennent s’ajouter d’autres manquements constatés entre 2005 et 2008, en Allemagne et en Italie.
Sans être inscrite sur la liste noire, Yemenia faisait l’objet d’un contrôle renforcé et devait être auditionnée prochainement par Eurocontrol. En 2008, la Commission européenne avait mis cette compagnie sous surveillance. Elle lui reprochait de nombreux manquements aux règles internationales de sécurité. La compagnie avait été sommée de présenter un ensemble de « mesures correctives ». Le premier plan présenté en mai 2008 avait été jugé « insuffisant » par l’exécutif européen. Ce n’est qu’après des discussions et un nouveau rapport, à l’automne, que la Commission européenne avait marqué son « satisfecit ».
Les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche veulent ici déplorer l’absence de fermeté de la part de l’Union européenne face à ces compagnies qui peuvent utiliser des aéronefs défaillants. C’est ainsi que la Yemenia n’est toujours pas mentionnée sur la liste noire, en dépit des événements tragiques du vol 626 du 30 juin 2009. Pire, cette compagnie propose toujours des vols au départ de Paris Charles-de-Gaulle en direction du Yemen, puis des Comores.
Avant le drame, en 2008, la création d’une association citoyenne, SOS Voyages aux Comores, visait déjà à dénoncer les conditions de voyage sur les compagnies aériennes qui exploitent la ligne entre la France et les Comores. Les autorités administratives françaises avaient effectué des contrôles qui relevaient des « écarts majeurs » entre les normes attendues pour un vol en toute sécurité et l’état de l’avion qui s’est abîmé en mer le 30 juin 2009. La conséquence de ces contrôles a été l’interdiction d’exploitation de cet avion sur le territoire français. Cependant, malgré son interdiction en France, cet avion a pu atterrir à Londres, moins d’une semaine avant le drame. Il semble qu’il n’existe donc pas d’harmonisation européenne par laquelle tout appareil signalé comme non conforme dans un pays membre serait interdit d’exploitation sur l’ensemble du territoire européen. Il est complètement anormal qu’un avion qui ne répond pas aux exigences de sécurité en France puisse transporter des passagers ailleurs en Europe.
À cet égard, la présente proposition de loi est une avancée certaine. Mais elle n’empêchera pas, hélas, les avions dangereux de voler et de transporter des centaines de personnes par jour. L’information aux voyageurs est certes indispensable. Mais dans bien des cas, les voyageurs sont « captifs » de ces compagnies aériennes dangereuses. Vous l’avez démontré, madame la rapporteure, tout comme M. le secrétaire d’État.
Ainsi, pour reprendre le cas de la Yemenia, celle-ci dispose d’un accord privilégié avec l’Union des Comores signé le 27 octobre 1999, qui en fait quasiment un transporteur national, puisque selon cet accord « tout nouveau transporteur souhaitant exercer à Moroni devra d’abord consulter Yemenia ».
L’accord de 1999 a été renforcé par un arrêté du ministère comorien des transports accordant à Yemenia l’exclusivité du transport des pèlerins vers La Mecque. On le voit, certains passagers ne peuvent éviter de voyager sur ces compagnies dangereuses, qui sont parfois les seules à desservir la destination choisie.
D’autre part, les autres moyens de transport mis à la disposition des voyageurs en certains lieux sont tout aussi dangereux que l’avion. Dans ces cas-là, l’information des voyageurs ne sert pas à grand-chose sauf, peut-être, à dédouaner les compagnies en question, qui pourront arguer que les utilisateurs étaient conscients du danger et qu’ils l’ont assumé à leurs risques et périls !
En définitive, la présente proposition de loi, si elle constitue une avancée, ne sera pas suffisante, car elle pourrait aboutir à faire peser la responsabilité d’un voyage dans des conditions dangereuses sur les seuls voyageurs – ce qui reviendrait à exonérer tacitement les compagnies aériennes figurant sur la liste noire. Celles-ci ne se voient sanctionnées ni directement – puisque c’est impossible – ni indirectement. Ce sont les revendeurs, les agences de voyage et les tour-opérateurs qui seront frappés d’une amende, mais pas les responsables directs des accidents et des incidents aériens.
Dans ce contexte, ne serait-il pas préférable d’interdire toute vente de billets d’avion comprenant un vol dit « de bout de ligne » avec une compagnie apparaissant sur la liste noire ? Il serait ainsi impossible, pour les Français, d’acheter le moindre vol ou « package dynamique » – séjour sur mesure – dont une partie au moins du vol serait réalisée par un transporteur aérien figurant sur la liste noire. Une telle interdiction, à l’échelon européen, obligerait sans doute l’ensemble des compagnies dangereuses à se plier aux règles de contrôle et aux normes de sécurité, puisque ce sont les transporteurs en question qui subiraient un préjudice économique, et non les intermédiaires ou les voyageurs eux-mêmes.
Il peut être utile de rappeler que les transporteurs aériens qui mettent la vie des passagers en danger le font, le plus souvent, pour économiser sur les dépenses de maintenance et de mise aux normes des appareils. Les vols de bout de ligne réalisés via des compagnies interdites dans l’Union européenne permettent de proposer des trajets longs à des tarifs très largement inférieurs : c’est une sorte de dumping, de concurrence déloyale, qui est pratiqué par ces compagnies.
De plus, ces transporteurs peu scrupuleux mettent délibérément en danger leurs salariés eux-mêmes. Ainsi, onze salariés de la Yemenia avaient trouvé la mort dans la catastrophe du 30 juin 2009. Il est donc important d’envisager une intervention plus ferme des États face à ces compagnies, souvent multinationales, qui font fi des normes de sécurité pour accroître leurs marges et leurs profits.
Quoi qu’il en soit, et sous réserve que les inquiétudes que j’ai exprimées soient levées par madame la rapporteure, le groupe GDR apporte tout son soutien à cette initiative.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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