Interventions

Discussions générales

Travail : dérogations au principe du repos dominical dans les communes, zones touristiques, thermales et grandes agglomérations

 
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette période de crise, de montée du chômage et de baisse du pouvoir d’achat, période qui appelle à une revalorisation des salaires, des retraites, des minima sociaux et à une meilleure répartition des richesses, on nous présente aujourd’hui la dernière caricature du « travailler plus pour gagner plus » : le travail du dimanche. Au passage, je constate que si nos collègues de l’UMP sont des adeptes du travail le dimanche, ils ne semblent pas l’être du travail de nuit. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Il en manque à l’appel !... Sûrement pour préserver leurs forces pour dimanche prochain.Si le « travailler plus » est bien visible, le « gagner plus » est moins évident : le Gouvernement a eu l’indécence de n’augmenter le SMIC que de 1,3 %, le taux horaire brut passant de 8,71 euros à 8,82 euros au 1er juillet, soit un gain, si l’on ose dire, de 11 centimes d’euro. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Mes chers collègues, comparons cette évolution avec celle du salaire du patron de GDF-Suez, Gérard Mestrallet : il a augmenté entre 2007 et 2008 au point d’atteindre 3 168 000 euros par an, soit une augmentation de 300 euros de l’heure, plus de 2 730 fois, en tarif horaire, ce qui a été accordé par le Gouvernement aux smicards. Mais il est vrai, monsieur le ministre, que quand on aime, on ne compte pas ! Et vous avez l’amour exclusif, et même inspiré, il faut le reconnaître : vous, vous n’aimez que les riches. Il est vrai aussi que vous avez moins de monde à aimer que si vous n’aimiez que les pauvres, j’en conviens volontiers. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Permettre aux Français de consommer davantage en ouvrant les commerces le dimanche ne rendra pas pour autant leur pouvoir d’achat extensible. Quand il n’y a pas d’augmentation du pouvoir d’achat, il n’est pas possible de consommer plus.
Avec ce texte, vous étalez la période de consommation, vous rendez les conditions d’exploitation des commerces difficiles, en particulier pour les petits commerçants, obligés de rester ouverts pour ne pas se faire manger par les gros que vous privilégiez. Au nom de tous ceux qui gagnent à peine plus de 1 000 euros par mois quand ils font 35 heures par semaine, ou qui gagnent beaucoup moins quand ils sont à temps partiel, et qui travailleront désormais le dimanche, je tiens à remercier celui qui se présentait naguère comme le président du pouvoir d’achat. Les intéressés apprécieront.
Plus de 70 % des hommes et 50 % des femmes travaillent déjà le samedi, faisant des Français l’un des peuples européens qui travaillent le plus le week-end.
Monsieur le ministre, vous aimez les comparaisons. Faites-en, mais des pertinentes.
Je ne m’adressais pas seulement à vous, monsieur Darcos, car, en pédagogue, vous êtes plutôt un homme prudent. Vous savez que si la parole est d’argent, le silence est d’or. Vous vous abstenez souvent de parler pour être certain de ne pas tenir des propos qui vous seront resservis à l’occasion. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
En Allemagne, au contraire – et nos collègues frontaliers alsaciens le savent –, dans certains Länder comme le Bade-Wurtemberg, la pratique est que tous les commerces soient fermés dès le samedi midi.
Avez-vous déjà vu des dépêches de l’AFP ou d’une autre agence de presse annonçant que des gens étaient morts de faim pendant le week-end outre-Rhin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Bien sûr que non !
C’est une question de choix : on peut s’organiser ! C’est uniquement pour des raisons idéologiques que M. Mallié fait des propositions qu’il met sur le devant de la scène. Et il le sait bien, ce qui est inacceptable ! Nous avons une conception de la vie dans notre pays…
Je vois que vous êtes nostalgique de l’Union soviétique, monsieur Dell’Agnola. Pas moi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Vous savez, en Union soviétique, vous auriez pu ouvrir les magasins le dimanche.
Non ! Il y avait toujours la même chose, plus exactement, pas rien ! Monsieur Dell’Agnola, je vois que vous y êtes certainement allé plus souvent que moi, et que vous regrettez cet ordre social à jamais disparu dans les formes où il a existé. Reconnaissez au moins que, dans ces pays, il y avait l’égalité dans l’accès à la santé, à l’éducation et à la culture, et du point de vue des retraites.
Monsieur de Charette, nous ne fréquentons pas les mêmes gens et nous n’avons pas la même idée de la pauvreté ! Parmi les gens que vous fréquentez – c’est-à-dire les privilégiés – peut-être y a-t-il des gens relativement pauvres ? Actuellement, le patron d’EDF est certainement un pauvre comparé à M. Mestrallet.
Quant à moi, quand je parle de pauvres, je pense aux gens qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois dans ma bonne ville de Montreuil, à ceux qui ne savent plus comment assurer l’ordinaire pour leurs enfants, une fois qu’ils ont payé leur loyer. C’est cela la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Ceux-là sont obligés de se priver de vacances. Heureusement, ici et là, il reste des centres de vacances municipaux qui appliquent le quotient familial et qui permettent au moins aux enfants de partir.
Monsieur de Charette, dans ces pays que vous évoquez avec nostalgie, les centres de vacances gratuits existaient, parce que les entreprises payaient. Ici, vous voulez préserver les entreprises de toute charge. Ces charges sont légitimes pourtant, puisque les entreprises bénéficient d’un personnel formé, apte à travailler.
Ce n’est pas du paternalisme, monsieur Mallié ! C’est la solidarité, le partage ! Mais, pour vous, le partage, c’est un cheval une alouette ! Nous n’avons pas la même notion du partage, j’en conviens volontiers.
Revenons-en au Bade-Wurtemberg, à ce Land situé de l’autre côté de la frontière où les magasins ferment le samedi à midi. Je n’ai pas entendu dire que les Allemands qui habitent dans ce Land se plaignent. Certes, il existe désormais des exceptions comme à Berlin où, depuis 2006, dix ouvertures par an sont autorisées le dimanche. Heureusement, cela reste une exception.
En France, le principe d’un jour hebdomadaire chômé fixe est en vigueur depuis 1906. Il y eut, tout au long du XIXe siècle, beaucoup de débats entre les libéraux, le mouvement ouvrier et les tenants de la foi catholique, monsieur de Charette, sur cette question.
Pourquoi les nierais-je ? Je vous reconnais comme vous êtes, pour ce que vous êtes : un homme de droite. Pourquoi n’y en aurait-il pas ? C’est cela aussi la confrontation démocratique. Cela dit, très franchement, moins il y a de députés de droite et mieux le pays se porte ! Il ne faut pas se le cacher. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
C’est un mouvement social initié en 1890, notamment par des employés des grands magasins, qui conduira à la législation du 13 juillet 1906, dans une perspective laïque reposant sur deux valeurs : le droit au repos et la famille. Suivra en 1919 la loi sur les huit heures de travail quotidien. Ces deux textes sont les fondements de la législation du travail dans notre pays, que M. Mallié veut réduire à néant.
Depuis très longtemps, la population française a donc identifié ce jour particulier, le même pour tous, comme celui où famille et amis se retrouvent. Avec votre texte, le principe du repos dominical tombe aux oubliettes des acquis sociaux, est enterré au cimetière des conditions de travail dignes, est piétiné par une grande partie de la majorité présidentielle, prête à sacrifier les moments de repos et de vie familiale sur l’autel de la course au profit et du rendement toujours plus important.
Obligatoire dans les zones touristiques et thermales, volontaire dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnelle – si l’on considère que la peur d’un probable licenciement suscite un engagement volontaire, libre et pleinement consenti –, le travail du dimanche se trouve en fait banalisé. Désormais, le dimanche sera un jour travaillé comme les autres.
Monsieur Mallié, les auteurs de ce texte ont dû être mal inspirés ou ils ont mal compris les propos de Nietzsche. Vous qui êtes un véritable intellectuel, monsieur Darcos…
Vous n’êtes pas si nombreux dans ce gouvernement à appartenir à l’intelligentsia ! D’habitude, on dit que l’exemple vient d’en haut, mais dans le cas présent, on ne peut vraiment pas le confirmer !
Nietzsche disait : « L’oisiveté pèse aux races laborieuses. Ce fut un coup de maître de l’instinct anglais de faire du dimanche une journée si sainte et si ennuyeuse que l’Anglais en vient, à son insu, à désirer le retour des jours de semaine et de travail. »
Mais le dimanche n’est pas qu’un jour sacré réservé à Dieu, ni un jour d’oisiveté et d’ennui chez nous, en France. Il est au contraire un jour d’activités intenses pour les familles qui resserrent les liens entre leurs membres. C’est une parenthèse dans la dure routine des salariés, où parents, enfants et amis peuvent faire des choses ensemble, apprendre, se connaître, se distraire, ou prendre leur temps, tout simplement, en dehors des horaires contraints de l’école et du travail.
Au nom des enfants qui devront s’occuper seuls le dimanche et n’iront plus faire de parties de foot avec leur père ou de balades en forêt avec leurs parents, car ceux-ci auront l’obligation de travailler, je remercie le président de la valeur travail, détournée en valeur profit, encore et toujours au détriment des plus fragiles.
On sait en effet que, dans le secteur du commerce par exemple, les femmes constituent le gros des salariés précaires.
Souvent employées à temps partiel, au SMIC, les femmes ont aussi, plus souvent, la charge intégrale de familles monoparentales.
Prenons l’exemple d’une employée de caisse d’un grand commerce, en zone touristique, qui sera obligée, sous la menace implicite d’un licenciement, de travailler le dimanche. Comment fera-t-elle pour faire garder ses enfants ? Ils seront peut-être livrés à eux-mêmes, privés du seul jour de détente et de complicité qu’ils pouvaient avoir avec leur mère. Elle sera privée du jour de repos bien mérité qu’elle avait l’habitude de passer avec ses enfants.
Monsieur de Charette, aussi à droite soyez-vous, vous ne pouvez pas être insensible aux arguments qu’a développés Armand Jung au nom de ses collègues alsaciens.
Vous amputez ainsi d’une large part l’éducation parentale pour les familles les plus modestes, déjà durement touchées par la dégradation du contexte social.
Dans le secteur du commerce, les employés sont déjà soumis à des horaires difficiles, avec des bas salaires. Vous ne ferez qu’augmenter les contraintes qui pèsent sur eux, sans contreparties suffisantes, en les privant d’un temps essentiel à la vie sociale et familiale. Cela nuira à l’épanouissement des familles et de leurs membres.
Dans quelques mois, allez-vous vous étonner encore de l’atomisation de la société, de la fracture entre les générations, du dialogue de plus en plus difficile entre parents et enfants, si vous ne leur laissez aucune marge pour bien vivre ensemble ?
Une grande partie de la transmission de l’histoire familiale, des valeurs éthiques, par exemple, se fait autour du repas de midi, le dimanche. Si les chaises se trouvent désormais plus clairsemées autour de la table, nous en connaîtrons les responsables. Monsieur Mallié, vous aurez à répondre de vos actes ! La loi Mallié sera une loi qui aura déstabilisé la famille.
Le dimanche est aussi l’occasion pour chacun de se retrouver, de se ressourcer, de pratiquer les loisirs qu’il affectionne ou de consacrer un peu de temps à une association de son choix.
Actuellement, plus de quatorze millions de personnes exercent une activité bénévole, soit près d’un Français sur quatre. En France, 85 % des associations, notamment sportives ou de solidarité, ne fonctionnent qu’avec des bénévoles. C’est surtout le dimanche que ceux-ci ont du temps à donner. Avec votre proposition de loi, vous mettez à mal le fonctionnement des associations et la pratique du bénévolat, tellement nécessaires en ces temps de crise où l’État se désengage toujours plus de son rôle social et rogne les moyens d’intervention des collectivités locales dans ce domaine.
Vous vous préparez à appliquer principalement cette disposition du travail du dimanche aux villes des régions touristiques et thermales, dites-vous. Là, contrairement aux PUCE, point de volontariat : le diktat de la course à la concurrence et au profit s’appliquera sans discussion. Que faites-vous du coût humain et social d’une telle mesure ? Que faites-vous de ses conséquences économiques ?
Cela fera du tort aux petits commerçants, désavantagés par rapport aux grandes surfaces, et ouvrira la porte à la déréglementation du travail. Monsieur Mallié, pourquoi pas, bientôt, une loi autorisant partout et pour tous le travail de nuit ou remettant en cause l’interdiction de travailler plus de six jours consécutifs ?
Adopter cette loi serait irresponsable car elle aurait des conséquences importantes sur les familles. Adopter cette loi serait injuste car elle prive les salariés d’un moment important de la vie sociale en dehors du travail. Adopter cette loi, enfin, serait contre-productif car cela se traduirait par une mise en concurrence entre petits commerces et grandes surfaces.
C’est pourquoi j’en appelle à l’intelligence, au bon sens et au sentiment de justice de tous nos collègues présents. Le dimanche doit rester un havre de paix pour les familles et un moment de liberté pour chacun.
Monsieur le ministre, grâce au temps global programmé, l’orateur peut continuer à parler sans se faire tancer par le président qui se trouve derrière lui.
À cet égard, je vous fais confiance : à gauche, nous sommes tellement désintéressés que, parfois, nous ne faisons pas les comptes aussi bien que vous ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe SRC.)
Tout à l’heure, M. Mallié et vous aussi, monsieur le ministre, avez voulu nous faire croire que le champ d’application serait restreint. À Jean-Marc Ayrault, vous répondiez : vous voulez faire peur ! Mais non, Jean-Marc Ayrault n’a pas exagéré !
Vous êtes pédagogue, monsieur le ministre, et connaissez le sens des mots. Or, dans le texte de M. Mallié, il est écrit : « Sans préjudice des dispositions de l’article L. 3132-20, les établissements de vente au détail situés dans les communes touristiques ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente, peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel. »
Que signifie, pour une zone touristique, l’« animation culturelle permanente » ? Avoir plusieurs salles de cinéma, de théâtre ou des galeries d’exposition ? Des bistrots avec café-concert ? La rédaction, comme on le voit, ouvre la voie à une jurisprudence qui fera sauter tous les taquets.
Quant à l’alinéa suivant, il est ainsi rédigé : « La liste des communes touristiques ou thermales intéressées et le périmètre des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente sont établis par le préfet […]. » Il n’est donc pas vrai de dire que ce sont les maires qui décideront : votre texte a une portée bien plus large.
Un autre alinéa contient une formulation quasi diabolique, évoquant un « périmètre d’usage de consommation exceptionnel caractérisé par des habitudes de consommation de fin de semaine ». Vous savez ce que cela donne, en région parisienne ? Certaines familles vont passer le week-end à Paris Nord avec les enfants.
Les bourgeois du XVIe ou du VIIIe arrondissement, eux, n’emmènent pas leurs enfants passer les week-ends entre les stands d’ameublement et les rayons de prêt-à-porter !
Non, car, lorsque j’étais maire, je n’ai jamais permis de telles déréglementations. Avouez-le, monsieur le rapporteur : vous avez prévu de généraliser, y compris avec votre proposition de loi, un système culturel discriminant : aux privilégiés les expositions, les concerts ou les pièces de théâtre ; aux autres la consommation de masse !
Vous recyclez le maigre argent distribué avec des salaires de misère, afin que rien n’en soit perdu et qu’il revienne, si j’ose dire, à la source.
Il est aussi écrit, un peu plus loin, que « les autorisations prévues […] sont accordées au vu d’un accord collectif ou, à défaut, d’une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum ». Imaginez-vous vraiment que, dans un magasin d’une dizaine de salariés, la relation avec l’employeur est libre et égale, de sorte que l’on puisse y signer un accord collectif ou organiser un référendum ? En réalité, vous avez prévu de casser les protections existantes.
Enfin, « en l’absence d’accord collectif applicable, les autorisations sont accordées au vu d’une décision unilatérale de l’employeur, prise après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, lorsqu’ils existent ». Tout est dit ! Vous ne pourrez pas prétendre, chers collègues de l’UMP, que vous ne saviez pas ! Les mots ont un sens ; ceux d’entre vous qui saisiraient mal les vices cachés du texte n’ont qu’à interroger M. Darcos, qui, en sa qualité de ministre de l’éducation nationale, était aussi le ministre du langage adapté aux différentes catégories d’âge. Là réside en effet le secret de la pédagogie.
Or, monsieur Mallié, tel n’est pas votre projet pour Plan-de-Campagne, dont on ne peut pas dire, par ailleurs, que ce soit une zone touristique très attrayante. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Imprimer cet article

Jean-Pierre
Brard

Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

Sur le même sujet

Affaires sociales

A la Une

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques