Interventions

Discussions générales

Travail entre le Gouvernement et le Parlement

Je voudrais dire en préambule que pour notre groupe, il n’y aura pas de véritable amélioration des relations de travail entre le Gouvernement et le Parlement sans une révision constitutionnelle d’ampleur qui vienne corriger le déséquilibre introduit en 1958 par le parlementarisme dit « rationalisé ».
M. Gérard Charasse. C’est vrai !
M. Marc Dolez. Ma première question, monsieur le secrétaire d’État, porte sur la banalisation du recours aux ordonnances. Le projet de loi sur la croissance et l’activité, en cours de discussion, ne compte pas moins de dix-sept articles qui autorisent le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures dans des domaines aussi divers que : le financement des entreprises ; les règles applicables en matière de concentration économique ; le contrôle de l’application du droit du travail ; la création de structures capitalistiques multiprofessionnelles du droit et du chiffre ; la création d’un contrat de bail de longue durée ; la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets ou encore les modalités des enquêtes publiques. Je pourrais aussi mentionner, dans un autre projet de loi, la modification par ordonnance de l’ensemble du droit des obligations – excusez du peu !
Cette banalisation du recours aux ordonnances et la dévalorisation du rôle du Parlement qui en découle confinent au déni de démocratie.
Selon un rapport du Sénat, entre 2004 et 2013, 357 ordonnances ont été publiées sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, soit 2,3 fois plus que le nombre d’ordonnances publiées pendant les vingt années précédentes.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple. Le Président de la République a fait savoir, il y a quelques jours, qu’il voulait que le Parlement aille encore plus vite pour voter les lois. Est-ce à dire que le recours aux ordonnances deviendra encore plus fréquent ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Monsieur le député, je suis conscient de la sensibilité de la question des ordonnances pour les parlementaires, qui peuvent percevoir le recours à l’article 38 de la Constitution comme une forme de dépossession de leurs compétences. C’est pourquoi je tiens à rappeler que la Constitution a prévu des garanties visant à préserver le pouvoir des parlementaires.
En effet, il leur appartient de consentir de manière explicite et non équivoque au recours à l’article 38. Ce consentement est matérialisé par l’adoption d’un article d’habilitation borné dans le temps et devant indiquer avec précision le périmètre de la future ordonnance. Cette exigence de précision est appréciée de manière stricte par le Conseil constitutionnel, qui vérifie que le Parlement n’a pas donné un blanc-seing au Gouvernement et qui n’hésite pas à censurer les habilitations qui lui paraîtraient trop larges, trop floues ou insuffisamment détaillées.
Par ailleurs, depuis 2008, la Constitution ne reconnaît plus que les ratifications expresses. Cette innovation permet de rompre avec une pratique du passé, celle des ratifications implicites.
M. Jean-Luc Laurent. Effectivement, c’est mieux !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. C’est même mieux que la pratique des décrets-lois, sous la IIIe République.
M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait ! Moi, je suis très Ve République !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Avant 2008, dès que le Parlement visait une disposition modifiée par une ordonnance, on considérait qu’il avait approuvé la ratification de cette dernière dans son ensemble, même s’il n’en avait pas contrôlé le contenu. Aujourd’hui, cette pratique n’est plus autorisée.
Enfin, le Parlement reprend la main sur le contenu des ordonnances au moment de l’examen du projet de loi de ratification. Il peut alors en modifier le contenu : il retrouve ainsi la plénitude de ses compétences, notamment son droit d’amendement.
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour une seconde question.
M. Marc Dolez. Ma seconde question porte sur l’organisation des travaux et le respect du Parlement. La discussion, ces jours-ci, du projet de loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques illustre de nombreux écueils tenant au non-respect du Parlement par le Gouvernement : engagement de la procédure accélérée, mise en place d’une commission spéciale qui a travaillé sept jours et sept nuits d’affilée, instauration du temps législatif programmé, dépôt hors délai d’amendements gouvernementaux qui pourraient constituer à eux seuls des projets de loi – il en va ainsi, par exemple, de l’amendement permettant une plus grande déréglementation de la profession des marins –, contournement de l’obligation constitutionnelle de produire des études d’impact par le dépôt d’amendements par le Gouvernement ou par la commission, recours massif aux ordonnances – je l’ai évoqué dans ma première question –, doublement du nombre d’articles du texte après l’examen en commission. Sur un texte comprenant plus de 200 articles, un groupe comme le nôtre dispose en moyenne de 53 secondes par article pour s’exprimer. Vous conviendrez que cela pose problème !
M. Jean-Luc Laurent. C’est juste !
M. Marc Dolez. Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple. Comme je l’ai déjà dit, le Président de la République a souhaité que le Parlement aille encore plus vite pour voter la loi. Il ne faudrait pas confondre vitesse et précipitation. À la lumière de notre expérience sur le projet de loi dit « Macron », le Gouvernement envisage-t-il de prendre le temps d’examiner nos conditions de travail et de faire des propositions pour une meilleure organisation de nos travaux ?
M. Jean-Luc Laurent. Le temps programmé et la procédure accélérée ne font pas bon ménage !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Monsieur le député, votre question est très centrée sur l’actualité, ce que je comprends parfaitement, puisqu’elle touche notamment à l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Ce texte a un caractère particulier, ne serait-ce que parce qu’il a été examiné par une commission spéciale.
Parmi vos propos et vos critiques, on retrouve certains points évoqués par le président Schwarzenberg, s’agissant notamment du nombre d’articles et de la diversité des sujets traités par le projet de loi. Le ministre de l’économie a déjà eu l’occasion de répondre et de s’expliquer, assez longuement, d’ailleurs, mais avec pédagogie et avec beaucoup de respect à l’égard de tous les parlementaires, en évoquant le fond des sujets. Il est vrai que le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement que je suis a parfois été un peu débordé par le temps que tout cela a pris, d’autant que tout le monde reconnaît que le travail en commission a été très intense, fatigant – je le reconnais –, mais aussi d’une extraordinaire qualité. Tous les parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, ont eu le sentiment d’être respectés, entendus, écoutés : ils ont reçu des réponses argumentées, même s’ils n’étaient pas forcément toujours d’accord.
Monsieur Dolez, vous avez aussi formulé une critique, que j’ai entendue en conférence des présidents, concernant les conséquences du temps législatif programmé.
M. Marc Dolez. Oui !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Alors que le nombre d’articles est beaucoup plus important, cette procédure pose évidemment une difficulté aux plus petits groupes, qui ne peuvent s’exprimer autant qu’ils le souhaiteraient sur tous les articles et tous les amendements.
M. Marc Dolez. En effet !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Cette difficulté est réelle, mais elle renvoie davantage à la pratique, à l’organisation interne et au règlement de l’Assemblée nationale qu’à des dispositions législatives.
Sur le fond, le Gouvernement a pris la responsabilité de rassembler en un seul projet de loi de nombreux sujets différents et importants pour l’activité économique de notre pays. Sans ce projet de loi, ces sujets n’auraient pas pu être débloqués, puisqu’ils ne relèvent pas du domaine réglementaire : nous étions donc bien obligés de passer par la voie législative.
Quant à l’organisation des travaux du Parlement, il est tout à fait loisible à l’Assemblée nationale de continuer à y réfléchir.

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