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Travail, formation et emploi

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi du groupe UMP semble davantage issue du cahier de revendications du MEDEF que d’un programme politique au service du pays, tant les similitudes avec les récentes propositions de ce syndicat patronal sont troublantes.
Ainsi, l’UMP réclame : l’extension du contrat de chantier à d’autres secteurs, pour accentuer encore la précarité et la flexibilité ; la modification des seuils sociaux, pour réduire encore un peu plus le nombre de comités d’entreprise ; le renforcement des accords d’entreprise, au détriment des accords de branche plus protecteurs ; l’assouplissement des dispositions votées récemment pour encadrer l’apprentissage et les stages, comme mon collègue Jacques Krabal vient de le rappeler ; l’augmentation de la durée hebdomadaire du temps de travail… Bref, tout comme le MEDEF !
En fin de compte, que tentez-vous de faire avec cette proposition de loi ? Peser en faveur du patronat pour influencer les négociations nationales interprofessionnelles à venir ? Alors qu’en tant que parlementaire, vous devriez défendre l’intérêt général, vous n’êtes que le porte-voix des intérêts spécifiques des actionnaires et des dirigeants des grandes entreprises. Permettez-moi de vous dire que cela n’a rien de glorieux !
De plus, vous n’hésitez pas, pour étayer votre démonstration, à tronquer la réalité. Vous affirmez ainsi, dans la partie de l’exposé des motifs consacrée à l’article 2, que « la France fait partie des pays ou les salariés à temps plein ont une durée annuelle du temps de travail parmi les plus faibles d’Europe ». Vous vous gardez bien de préciser que si l’on prend en compte l’ensemble des salariés, y compris les salariés à temps partiel – car, excusez du peu, mais eux aussi travaillent –, la France est l’un des pays où on travaille le plus : 37 heures et demie par semaine en moyenne. C’est plus que la moyenne allemande, italienne, néerlandaise ou même anglaise.
D’autres chiffres sont délibérément passés sous silence. Vous omettez ainsi de dire que la productivité en France est l’une des meilleures d’Europe, devant celle de l’Allemagne et du Royaume-Uni.
De même, vous oubliez de préciser le nombre d’emplois générés par le passage aux 35 heures.
Je rappelle que plus de 350 000 emplois ont été créés au cours de la seule période allant de 1998 à 2002, et ceci sans avoir provoqué de déséquilibre financier, comme le montre la revue d’enquête de l’INSEE Économie et statistique de juin 2005.
Ces chiffres confirment que si la réforme des 35 heures avait été menée différemment, notamment en corrélant l’octroi d’aides publiques à la création d’emplois, nous aurions obtenu des retombées plus positives encore, tandis que les effets négatifs, comme la surcharge de travail, auraient été atténués.
C’est vous qui faites des 35 heures un tabou, en masquant la réalité pour des raisons idéologiques.
Autre exemple : à l’article 10, vous proposez de qualifier de licenciement pour motif personnel le licenciement d’un salarié qui refuserait d’appliquer un accord de mobilité. Pour soutenir cette proposition, vous arguez du fait que « ces dispositions reprennent exactement le motif de licenciement prévu par la convention 158 de l’Organisation internationale du travail ». Là encore, vous tordez la réalité. Le Conseil d’État a au contraire chaudement recommandé au Gouvernement de ne pas maintenir la qualification de licenciement pour motif personnel dans ce cas, précisément pour des problèmes de compatibilité avec la convention 158 de l’OIT.
Non seulement vous multipliez contrevérités et omissions, mais vous n’hésitez pas à modifier les rapports entre le contrat et la loi, selon un schéma à géométrie variable, selon ce qui vous arrange, et au risque de vous contredire. Ainsi, lorsque les accords d’entreprise dérogent à la loi en faveur du patronat, vous prétendez que ces accords doivent primer la loi. Mais à l’inverse, vous n’hésitez pas à faire appel à la loi pour remettre en cause un engagement conventionnel lorsqu’il ne convient pas au patronat. C’est le cas à l’article 5, par lequel vous proposez de supprimer l’une des rares contreparties favorables aux salariés de l’accord national dit de sécurisation de l’emploi, en proposant tout bonnement d’abroger la mise en place du seuil minimum de vingt-quatre heures pour les salariés à temps partiel. Vous piétinez ici des accords qu’au contraire vous tentez de sacraliser quand ils sont favorables aux employeurs.
Nous pourrions poursuivre encore longtemps le démontage de ce texte. Alors qu’il traite de sujets très importants, il se borne à la provocation. D’emblée, vous indiquez que les institutions représentatives du personnel seront fusionnées, et qu’il n’y aura plus de représentants des salariés dans les entreprises de moins de 100 personnes. En proposant cela, vous n’allez pas seulement à rebours du progrès social, vous remettez en cause le fondement même du droit du travail, qui vise à rétablir un équilibre en faveur du salarié, juridiquement et économiquement subordonné à l’employeur, ce qui est contraire au principe constitutionnel d’égalité.
Nous comprenons parfaitement que le patronat rêve de sortir les représentants des salariés de l’entreprise.
Le droit de représentation des salariés au sein de l’entreprise est un droit essentiel conquis au fil de l’histoire, qui limite les pouvoirs exorbitants du patronat et entrave ses projets, qui sont centrés uniquement sur la rentabilité financière. Cette proposition n’est pas recevable : elle n’a rien à voir avec les évolutions des institutions représentatives du personnel nécessaires pour les adapter au mouvement de la société et pour les rendre plus lisibles et plus efficaces pour les salariés.
En réalité, cette proposition de loi ne vise qu’à agiter les vieilles lunes patronales que sont la mise à mal du CDI, la flexibilité totale du temps de travail, de son organisation et de la rémunération. Autrement dit : rien de nouveau. Si, une seule chose est un peu plus moderne : le prétexte !
Il s’agit, en cette période de chômage, de faire croire que l’abrogation de toutes les dispositions protectrices des salariés serait le seul moyen de créer des emplois. Malheureusement pour vous, cet argument ne convainc plus, car cela fait des décennies que les gouvernements successifs déréglementent le droit du travail, sans effet positif. Pour ne citer que des exemples récents, la rupture conventionnelle devait rassurer les employeurs afin qu’ils n’hésitent plus à embaucher, mais elle n’a fait qu’accroître le nombre de chômeurs. Les contrats précaires de tous genres ont vu le jour sous le même prétexte. Après les contrats à durée déterminée, les contrats à durée déterminée à objet défini, les CDDOD, ont été inventés : ils sont pratiquement inutilisés, mais vous proposez quand même de pérenniser.
Ces mesures de flexibilité ne donnent aucun résultat en termes d’emploi : c’est un fait, et les faits sont têtus. De plus, comme l’indique l’OCDE, il n’est pas vraiment possible d’établir un lien entre le degré de flexibilité et le niveau de chômage. Par contre, il ne fait aucun doute que la flexibilité complique et dégrade lourdement la vie quotidienne, personnelle et familiale de nos concitoyens. Vous leur proposez un monde d’incertitude et d’angoisse, où ils ne sauront pas s’ils travailleront, quand ils travailleront, ni pour quelle rémunération. Vous parlez volontiers de visibilité pour les chefs d’entreprise : je le comprends. Mais pouvez-vous imaginer – sinon comprendre – que les salariés ont, eux aussi, besoin de visibilité pour conduire leur vie ?
Ces recettes, que vous tentez de nous vendre comme nouvelles, sont en réalité éculées. Elles ont largement fait la preuve de leur inefficacité, pire, de leur nocivité, en enfonçant notre pays dans la crise. La vérité est que vous êtes incapables de formuler des propositions innovantes permettant à la fois aux entreprises de s’adapter aux mutations nécessaires et aux salariés de sécuriser réellement leur carrière, avec le maintien d’un salaire tout au long d’une vie professionnelle faite d’une succession de périodes travaillées et de formation, dans une société qui bouge rapidement et où la connaissance progresse à vive allure.
Voilà pourquoi nous voterons sans hésiter contre ce texte ringard qui tourne le dos au progrès social, et au progrès tout court. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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Jacqueline
Fraysse

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