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Travail : orientation et formation professionnelle tout au long de la vie

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Jean-Pierre Brard nous a rappelé les grandes orientations du Conseil national de la Résistance. Notons qu’aux termes de la constitution du 27 octobre 1946, la nation doit « garantir l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».
En cette période de profondes évolutions socio-économiques et technologiques, tout citoyen doit pouvoir disposer de connaissances et d’expériences qui lui donnent la possibilité de peser sur les transformations de la société.
Le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a pour ambition de « rénover le système français de formation professionnelle », de le rendre plus efficace, plus juste, plus lisible. Permettez-moi de considérer que ce texte est loin d’être à la hauteur des ambitions affichées et des objectifs fixés, et sur de nombreux points. Cela est probablement dû à un manque de volonté de s’attaquer aux vrais problèmes mais aussi au fait que ce projet a été mené au pas de charge, de l’avis de plusieurs partenaires sociaux, comme tous les textes qui nous sont soumis au sein de cet hémicycle.
Le principe de la formation professionnelle tout au long de la vie aurait certainement mérité une réflexion plus profonde visant les vrais enjeux, en particulier pour ce qui est des salariés de bas niveau de qualification et des citoyens les plus éloignés de l’insertion sociale et professionnelle.
Un réel bilan de la mise en place de l’accord national interprofessionnel de 2003 aurait sans doute également constitué un bon élément d’analyse des dysfonctionnements et besoins.
Je prends l’exemple du droit individuel à la formation, le DIF.
Certes 300 000 droits individuels à la formation ont été mis en œuvre mais, si l’on ramène ce chiffre au nombre de salariés du secteur privé, cela ne représente, selon les années, que 2 % à 4 % du total ! Qu’en est-il de la dimension universelle du dispositif ?
Rendre possible la portabilité de ce droit apparaît comme une bonne chose en cas de rupture de contrat de travail, mais encore faudrait-il que ce droit soit utilisé par un grand nombre de salariés, en particulier par ceux qui sont le plus éloigné de la qualification.
S’agissant du DIF, les difficultés principales tiennent à sa prise en charge financière, à sa faible durée et au souhait de la majorité des employeurs de voir la formation se dérouler hors temps de travail. Or quand la tendance est à la remise en cause des 35 heures et au « travailler plus pour gagner plus », on ne peut que s’interroger sur la possibilité que vont avoir les salariés de se former hors de ce temps de travail.
La loi vise la prise en charge des frais de formation des congés individuels de formation, les CIF, en dehors du temps de travail. Où est la cohérence ?
Les entretiens professionnels et les passeports formation n’ont pratiquement jamais été mis en place. Pourquoi ?
Au-delà des modalités techniques se pose le problème de fond de l’incitation des salariés à aller en formation, de la reconnaissance réelle de leur investissement dès lors qu’ils suivent une formation et de l’obligation qu’ont les employeurs de financer la formation professionnelle continue.
Tout le monde s’accorde pour reconnaître l’inégalité de l’accès à la formation continue selon le niveau de qualification des salariés et la taille des entreprises. Comment régler ce problème ? Quelle est votre réflexion sur cette réalité et quelles sont vos propositions, monsieur le secrétaire d’État ? Je ne vois rien à ce sujet dans le projet de loi.
Informer ne suffit pas : les OPCA, aux moyens financiers très conséquents, ont rivalisé pour sensibiliser employeurs et salariés à travers de multiples plaquettes et initiatives mais, six ans après, le constat reste amer.
Selon vous, le problème est simplement quantitatif alors que le problème de la formation continue des salariés de bas niveau de qualification doit faire l’objet de mesures incitatives spécifiques. Il est de notre responsabilité et de celle du monde économique que ce problème soit pris en compte rapidement tant les besoins vont devenir cruciaux.
De nombreux dispositifs de formation ont été mis en place, par la fédération du bâtiment et l’AREF BTP entre autres, en vue de l’acquisition des connaissances de base et de la maîtrise des écrits professionnels. Toutefois, sans réels volonté ou intérêt des entreprises concernées, ces dispositifs pourtant très positifs restent lettre morte. Comment aboutir à leur mise en place effective ?
Au delà de la non-inscription des salariés dans ces dispositifs, force est de constater que beaucoup d’entreprises se contentent de respecter l’obligation de participation à la formation continue en s’acquittant du versement du pourcentage de leur masse salariale prévu par leur convention collective auprès de leur organisme mutualisateur et ne réalisent que peu ou pas de formation pour leur personnel, en particulier quand les effectifs ne sont pas importants. Comment contrôler cette situation et les inciter réellement à la mise en place d’un minimum d’actions de formation ?
Quelle réflexion mener pour les aider à supporter les problèmes d’organisation dès lors que des salariés sont absents pour formation, ce qui constitue un réel problème pour les très petites entreprises et les PME ? De surcroît, il faut savoir que les salariés eux-mêmes s’autocensurent et renoncent à leur formation de peur de mettre en difficulté leur entreprise quand elle a un très petit effectif.
Sanctuariser les contributions versées par les PME afin que celles-ci ne soient pas captées par les entreprises de plus de cinquante salariés n’a de sens que si des formations sont effectivement mises en place au profit des salariés des PME.
Quant au fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, sa création serait susceptible de financer des actions de qualification et de requalification des salariés et demandeurs d’emploi. Dans l’absolu, cette mesure permet d’améliorer l’accès à la formation des personnes concernées ; encore faut-il être prudent, qu’il s’agisse de l’utilisation effective de ces fonds ou des tentatives de l’État de diminuer les budgets liés à d’autres dispositifs de formation existants. L’expérience nous y invite.
Sur ces questions, il convient de faire attention aux glissements qui risquent d’intervenir dans les responsabilités respectives de l’État et des fonds de la formation professionnelle.
Quel engagement pouvez-vous garantir sur l’effort financier de l’État en la matière ?
Concernant le droit à l’information, au conseil personnalisé et à l’orientation en matière d’orientation professionnelle, il est prévu un système cohérent et lisible. L’une des réponses consiste à mettre en place un service national de première orientation avec instauration d’une plate-forme téléphonique et d’un portail internet. Cela réglera-t-il le cas de ce jeune homme interviewé le week-end dernier à la télévision...
...à qui l’on propose, faute de place, une formation en comptabilité alors qu’il souhaite entrer dans une filière du bâtiment ?
Le problème de la première orientation concerne l’éducation nationale à qui il serait indispensable de donner de réels moyens pour assurer ces missions. Bon nombre de décrochages scolaires et de situations d’exclusion seraient ainsi évités.
Concernant l’orientation des adultes, la fracture numérique et les difficultés d’accès à l’information des personnes les plus éloignées de la qualification rendent caduques les tentatives de portail d’information déjà expérimentées sur le territoire. Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, ces techniques ne sont pas adaptées aux publics les plus en difficulté.
Certes, l’orientation professionnelle est complexe et l’information qui y est liée est très dense et parfois difficilement accessible, mais les dispositifs seraient plus lisibles s’ils ne changeaient pas perpétuellement de nom, d’objectifs, de publics concernés et de modalités d’accès. J’ajoute que ces changements se font, la plupart du temps, aux dépens des publics concernés.
Nous sommes à l’ère des dématérialisations et des fusions de services qui complexifient plutôt qu’elles ne facilitent les relations entre les demandeurs d’emploi et de formation et les institutions. Pour des non-initiés, certaines recherches ressemblent à un parcours du combattant...
...et le « taper 1, 2 ou 3 » sur un clavier téléphonique n’a jamais facilité quoi que ce soit. Au bout d’un moment, on désespère !
Les services d’information et d’orientation doivent être dotés de réels moyens tant humains que matériels pour favoriser une relation d’écoute et d’échange de qualité. À cet égard, je partage la quasi-totalité des propos qu’a tenus tout à l’heure M. Perrut, ce qui est rare.
J’ai apprécié son intervention concernant la qualité de l’accueil dans les missions locales, l’évolution de celles-ci, leur professionnalisme et leur originalité dans la pertinence des propositions.
Plus les publics sont éloignés de la formation, plus il faut simplifier et humaniser l’accueil, et surtout pas le rendre technique en passant par des bornes télématiques – c’est bon pour ceux qui savent se débrouiller seuls.
Au regard des difficultés de plus en plus nombreuses d’ordre psychologique ou de conséquences prégnantes de l’exclusion sociale, constatées par les professionnels de l’insertion et de la formation, une réelle qualification des personnels en la matière est indispensable.
C’est le cas du personnel de l’AFPA, comme l’a montré tout à l’heure Jean-Pierre Brard, alors que cette institution serait amputée de son secteur en charge de l’orientation transféré à Pôle emploi. L’accompagnement psychologique des demandeurs d’emploi de longue durée est indispensable et l’AFPA ne doit en aucun cas être démantelée.
Nous avons maintenant quelques mois de recul s’agissant de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC. Les réalités vécues par les personnels et le service rendu aux bénéficiaires se passent de commentaires. Cet après-midi, Claude Goasguen a fait état du nombre important des institutions de formation et vous avez parlé, monsieur le secrétaire d’État, de la dérive sectaire de certaines d’entre elles.
Si je suis particulièrement attaché, comme M. Brard, à un vrai service public de formation, d’orientation professionnelle et d’emploi, seul capable d’assurer une égalité d’accès et de traitement sur l’ensemble du territoire, je ne peux omettre la réalité vécue aujourd’hui par les centres de formation associatifs à but non lucratif qui assurent un maillage performant dans nos régions.
Bien que classés dans la notion d’organismes privés, il me paraît important de dissocier ces centres souvent issus de l’éducation populaire de ceux pour qui la formation est un pur produit marchand.
Ce tissu associatif s’est particulièrement développé avec les lois Rigoux dans les années 80, période où la recherche de l’innovation en matière de formation professionnelle et la lutte contre l’échec scolaire avaient réellement un sens.
Depuis trente ans, ils ont développé un savoir-faire et un réel niveau d’expertise, ils ont investi et professionnalisé leurs équipes. Ils obtiennent des résultats en matière de qualification et d’accès à l’emploi à la hauteur des objectifs fixés par les financeurs, malgré un public parfois difficile et très diversifié que certaines institutions rechigneraient à accompagner.
Contrairement à ce qu’indiquait cet après-midi Claude Goasguen, nombre de ces centres sont labellisés, certifiés, y compris dans le cadre de la norme ISO 9001 que les financeurs les ont fortement incités à obtenir comme garantie de la qualité de leur prestation. J’espère que M. le secrétaire d’État confirmera mes propos, cette demande de certification émanant des directions régionales de l’emploi et de la formation professionnelle. Cela montre la qualité de ces centres.
Depuis le positionnement des actions d’insertion et de qualification et plus généralement des prestations de formation professionnelle dans le code des marchés publics, tous constatent une détérioration des conditions d’exercice de leur activité.
Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse sur la notion de marché public. Les collectivités locales sont souvent sollicitées sur la dimension d’insertion qui s’adresse souvent aux métiers qui accomplissent déjà de nombreux efforts, notamment dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. Si l’on fait un appel d’offre en matière de téléphonie par exemple, on ne demandera pas la clause d’insertion à France Télécom alors qu’on pourrait le faire.
Cet après-midi, j’ai vu un camion belge livrer du mobilier à l’Assemblée nationale. On n’a sans doute pas imposé de clause d’insertion au fabricant de meubles !
Je suis maire d’une ville où est implantée une raffinerie Total. À aucun moment on ne demande de clause d’insertion à Total qui nous fournit le carburant. Il ne faut pas sans cesse s’adresser aux entreprises du bâtiment et des travaux publics. Même si c’est un peu plus compliqué, il faudra savoir décliner et oser investir dans cette clause d’insertion.
Dans les marchés publics, à côté de la clause d’insertion, il y a souvent la clause sociale.
Nous sommes un certain nombre à considérer qu’il faut défendre les entreprises citoyennes qui rémunèrent normalement leurs salariés, prennent en compte les années d’ancienneté, gardent ceux qu’ils ont qualifiés, bref qui les payent un peu plus que les entreprises qui font sans cesse appel à l’intérim. Mais, lorsqu’elles répondent à un appel d’offre, ces entreprises sont généralement plus chères parce qu’elles assument leurs responsabilités d’entreprises citoyennes. Il faudra donc que les communes, les départements et les régions osent dire qu’ils retiendront l’entreprise la plus performante socialement, même en cas d’appel d’offre européen. Je referme la parenthèse.
Aujourd’hui, il est question de mandatements d’un ou plusieurs opérateurs de formation avec octroi de droits spéciaux. J’attire votre attention, dans ce cadre, sur la nécessité de préserver le savoir-faire et l’existence des centres associatifs aux côtés des grandes institutions que sont les GRETA et AFPA pour préserver la richesse de la diversité et de l’innovation.
Comme vous pouvez le constater, en l’état actuel nous sommes bien loin d’une réforme ambitieuse et même si le député Anciaux a prévenu qu’il ne s’agissait pas du grand soir de la formation professionnelle,...
...peut-être aurions-nous pu espérer une plus grande prise en compte des enjeux fondamentaux que constituent le droit à la formation pour tous tout au long de la vie et l’égalité des chances.
Un député de votre majorité, monsieur le secrétaire d’État, a qualifié votre projet de loi d’embryon. Faisons-le grandir. Pour notre part, nous proposerons des amendements. À vous de prouver que vous voulez vraiment en faire une bonne loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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