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Travail : orientation et formation professionnelle tout au long de la vie

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’issue de notre débat et à la lecture du texte issu de la CMP, nous sommes déçus, et à plus d’un titre.
Le premier, qui a été rappelé, est d’ordre procédural : sur un thème aussi important que l’orientation et la formation tout au long de la vie, nous désapprouvons vivement l’engagement de la procédure d’urgence, qui restreint considérablement les débats, tant en commission qu’en séance.
De plus, le projet de loi, tel qu’il émane des travaux des deux assemblées et de la CMP, vise à nos yeux deux objectifs majeurs : la transposition de l’ANI de janvier 2009 et le désengagement de l’État.
Si l’accord national interprofessionnel a été adopté à l’unanimité, sa conclusion – faut-il le rappeler ? – n’a été possible qu’au prix d’une négociation presque forcée et sur la base d’une feuille de route imposée par le Gouvernement. En dépit des conditions de la négociation, les partenaires sociaux avaient élaboré un texte de compromis, à charge pour le législateur de l’amplifier – nous vous l’avions proposé.
Certes, des avancées, dont vous avez fait la liste, monsieur le secrétaire d’État, ont été concédées par le Gouvernement : c’est pourquoi nous acceptons bien volontiers, nous aussi, de reconnaître la qualité du travail fourni. C’est peu dire toutefois que nous sommes déçus de ne pas avoir eu à discuter d’un texte plus ambitieux. Dans un contexte de crise et de complexification du marché du travail, ce projet aurait dû permettre une véritable sécurisation des parcours professionnels. Du reste, votre venue au Havre vous a permis de mesurer, notamment à travers la question de Sandouville, combien nous avons besoin non seulement de sécuriser les parcours mais également de les diversifier. Or nous sommes, avec ce texte, bien loin des fanfaronnades et des discours d’affichage du Président de la République sur le sujet.
En effet, à maints égards, le projet de loi passe à côté de ce que devrait être la formation professionnelle, et représente une régression par rapport à ce que les partenaires sociaux préconisaient dans l’ANI, régression caractérisée par le désengagement du Gouvernement et par la remise en cause de plusieurs fondements de notre système de formation, qui en constituaient le socle et les atouts.
L’article 4 – nous l’avons déjà souligné – est emblématique de votre manque d’ambition : s’il permet de réaliser une avancée importante en matière de droit individuel à la formation, il n’en reste pas moins que certains salariés ne pourront prétendre à cette portabilité et qu’il ne répondra donc malheureusement pas au fort besoin d’accompagnement et de conseil, lesquels devraient jalonner toute démarche d’orientation et, plus largement, les parcours professionnels. Je l’ai rappelé à plusieurs reprises : ce sont les salariés qui en ont le plus besoin qui en seront privés. Quant au droit à la formation initiale différée, pourtant préconisé par les partenaires sociaux, il n’a pas été repris. Dans votre élan de bonne volonté, vous avez oublié certaines pièces d’une construction qui, dès lors, manque de cohérence.
Nous ne pouvons par ailleurs que nous indigner de la remise en cause de l’obligation scolaire jusqu’à seize ans à la faveur d’un amendement qui permet aux jeunes de quinze ans d’entrer directement en apprentissage – mais peut-être la disposition va-t-elle être modifiée. C’est faire peu de cas du rôle que l’éducation nationale devrait jouer dans les parcours d’orientation des jeunes. Une telle disposition donne la mesure de nos divergences idéologiques sur la question.
Toutefois le point central de notre critique réside dans la lente destruction du service public de l’emploi et le démantèlement programmé de l’AFPA, avec le transfert de ses psychologues à Pôle Emploi dans un contexte peu propice. En retour, le transfert par l’État à l’AFPA de son patrimoine immobilier vétuste – vous me le concéderez – est plus qu’un symbole : c’est un véritable affront qui conduira inévitablement l’AFPA à sa perte !
Rappelons que l’AFPA forme les individus dans la perspective de trouver un emploi pérenne choisi avec discernement à l’issue d’une formation adaptée. Contrairement à Pôle Emploi, son succès en ce domaine est éloquent – vous l’avez vous-même rappelé – : 70 % des stagiaires trouvent un emploi dans les quatre à six mois qui suivent l’issue du stage, alors même que 66 % des personnes qui entament un stage à l’AFPA sont des demandeurs d’emploi pour la plupart très éloignés de l’emploi.
En faisant de cet organisme un prestataire de formation comme un autre, le Gouvernement relègue la formation professionnelle au rang de marchandise soumise à la concurrence : c’est ainsi que la conçoivent nombre d’officines privées mues par le profit, au détriment des projets professionnels des personnes et de leur insertion. Votre texte s’inscrit ainsi dans la ligne tracée par le traité de Lisbonne, selon laquelle la formation professionnelle et l’école doivent avant tout fournir au marché une main d’œuvre opérationnelle et, accessoirement, coûter le moins cher possible, voire éventuellement rapporter.
Notre conception de la formation professionnelle est aux antipodes de la vôtre. Alors que nous souhaitons que la formation professionnelle soit un outil de promotion sociale, d’élévation et d’épanouissement professionnel et personnel du salarié, vous concevez une formation professionnelle qui se donne pour seul but l’emploi ou le retour à l’emploi des salariés. Votre politique en la matière ces dernières années n’a pas d’autre signification : démantèlement du service de l’emploi, coups de boutoir dans l’éducation nationale avec des suppressions de postes massives et, aujourd’hui, démantèlement du service public de la formation professionnelle, le tout sur l’air du « travailler plus » – même le dimanche…
Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voterons contre ce texte.
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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