Interventions

Discussions générales

Travail : réforme des retraites

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour commencer, je vais vous lire un extrait d’un article de La Tribune paru le 31 août dernier.
« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, l’intitulé de cette table ronde du Medef, qui tient son université d’été » – où vous vous êtes rendu, monsieur le ministre – « est à l’image des ambitions de sa présidente fraîchement réélue. Alors que la réforme des retraites, à laquelle le chef de file du patronat français apporte son soutien, attend de connaître son premier vrai test social avec la mobilisation du 7 septembre, Laurence Parisot pense déjà au prochain chantier, encore plus sensible que les retraites, celui de l’assurance maladie. Réforme impossible ? Non, à condition d’associer syndicats et médecins. Les esprits sont-ils mûrs pour cela ? Il faut s’y atteler le plus vite possible, estime-t-on au Medef ».
Comme on le voit, monsieur le ministre, votre projet de réforme écrit à l’encre du Medef en cache un autre, pire encore : la privatisation de notre système de protection sociale.
C’est là le fond de votre démarche : faire progressivement le lit de la maîtrise de notre système social par les grands groupes d’assurance assoiffés de profits juteux.
Vous avez beau répéter, la main sur le cœur, que vous voulez sauvegarder notre système de retraite par répartition, c’est tout le contraire que vous êtes en train de faire. (Approbations sur les bancs du groupe GDR.) On sait bien que votre gouvernement ment sciemment et effrontément.
Vous avez l’art d’essayer de faire prendre des vessies pour des lanternes.
On avait eu droit au même discours de la part d’Édouard Balladur en 1993 : on allait voir ce qu’on allait voir quant à l’avenir des retraites, nous disait-il. Et on a vu !
Les pensions de retraite ont baissé d’environ 20 % depuis !
En 2003, bis repetita avec la réforme Fillon : même argumentation et même échec programmé.
Aujourd’hui, vous mettez vos pas dans les mêmes ornières, en toute connaissance de cause. En 2018 – vous ne serez évidemment plus aux manettes ! –, ce sera à nouveau un échec patent, avec au passage une régression sociale terrible, frappant le monde du travail et les retraités.
Votre texte déroule le tapis rouge pour l’épargne-retraite et les fonds de pension, conformément aux consignes du Livre vert de l’Union européenne sur les retraites publié en juillet, dont l’objectif clairement affiché est la généralisation de la capitalisation. Vous êtes en train de changer la matrice qui permettra demain au capital financier de faire main basse sur l’argent des retraites.
Il est vrai que Denis Kessler, l’idéologue du Medef, – mon ami Roland Muzeau l’évoquait hier à cette tribune –, a écrit un article fameux où il expliquait que les réformes sarkozyennes n’avaient d’autre but, prétendument pour « raccrocher la France au monde », que de liquider les acquis du Conseil national de la Résistance mis en œuvre, rappelons-le, à la Libération dans une France exsangue.
Vous ne cessez d’aller chercher vos exemples ailleurs, dans d’autres pays européens et même au Japon où, comme j’ai pu le lire récemment, la délinquance des seniors ne cesse d’augmenter car, faute de moyens pour se loger, certains d’entre eux commettent des larcins pour trouver un gîte en maison d’arrêt.
Si c’est cela votre modèle, monsieur le ministre, méfiez-vous du mimétisme !
Vous feriez mieux de valoriser et de faire rayonner le modèle français et son exceptionnalité fondés sur la solidarité et le progrès humain.
Vous ne dites pas toute la vérité quand vous évoquez, comme hier, l’augmentation de l’espérance de vie pour justifier votre réforme rétrograde. Espérance de vie, oui mais dans quel état de santé ? Là est la question. Une étude récente de l’Union européenne indique qu’en France, l’espérance moyenne de vie en bonne santé est de 63,1 ans pour les hommes et 64,2 ans pour les femmes. C’est dire !
Il est vrai que votre préoccupation prioritaire ainsi que celle du Président de la République est d’être des VRP zélés des sociétés du CAC 40 dont les fabuleux profits ont doublé au premier semestre, atteignant 41 milliards. Contrairement à vos dires, celles-ci sont épargnées par votre réforme qui sera financée à 85 % par les salariés. À cela s’ajoute la suppression d’un million de postes de travail pour les jeunes en 2016, alors que 25 % des jeunes de moins de vingt-cinq ans en âge de travailler sont au chômage et que nombre d’entre eux vivent la galère au quotidien. Et comme mon ami Jean-Claude Sandrier l’a rappelé, on ne dit pas assez que les sociétés du CAC 40 ne paient que 8 % d’impôt en France tandis que les PME, les PMI, les très petites entreprises, en paient 30 %.
Vous vous gardez bien de supprimer le scandaleux bouclier fiscal : rappelons que les 30 millions d’euros dont vient de bénéficier Mme Bettencourt – sur une fortune de 17 milliards d’euros, pour elle, c’est de l’argent de poche – équivalent à 22 338 fois le SMIC brut, à 43 372 fois le minimum vieillesse, dont le montant est de 708 euros, une misère ! Le bouclier fiscal, c’est 14 milliards d’euros de recettes perdues pour l’État, qui seraient bien utiles pour les caisses de retraite.
Le groupe des députés communistes et du parti de gauche a déposé une proposition de loi alternative dont vous refusez de débattre. Elle propose entre autres, je le rappelle, de taxer les revenus financiers pour une recette de 30 milliards d’euros. Elle prévoit la mise en place d’une véritable politique de l’emploi à l’inverse de ce que vous faites, vous qui avez supprimé plus de 250 000 emplois, en particulier dans l’industrie, alors que 100 000 emplois créés équivalent à 2 milliards d’euros de cotisations. Vous exercez une pression pour limiter l’augmentation des salaires alors qu’un point d’augmentation permet d’apporter 3 milliards de cotisations supplémentaires à la sécurité sociale. Vous refusez de remettre en cause les exonérations patronales dont le coût s’élève à 30 milliards d’euros, sans bénéfice avéré pour l’emploi et l’économie, comme l’a relevé la Cour des comptes, et je ne parle pas des dettes patronales et des dettes de l’État qui se soldent par 8 milliards d’impayés à la sécurité sociale.
Je sais bien que l’UMP, que l’on pourrait rebaptiser « Union des milliardaires protégés » est déterminée à défendre bec et ongles les orientations que vous voulez faire passer en force. C’est à l’évidence un projet idéologique. Mais, heureusement, le rejet de votre réforme grandit dans le pays comme en témoigne l’énorme mobilisation d’hier avec 3 millions de manifestants. Et ce ne sont pas les miettes annoncées ce matin par le superministre Président de la République qui permettront de régler le problème, car elles ne correspondent en rien à l’attente du pays.
Mais ce n’est qu’un début. Bien entendu, nous allons continuer le combat. Votre cynisme n’arrêtera pas la mobilisation qui doit s’amplifier. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

Imprimer cet article

Alain
Bocquet

Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

Sur le même sujet

Affaires sociales

A la Une

Thématiques :

Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Culture et éducation Voir toutes les thématiques