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Travail : revenus du travail

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne m’attarderai pas plus qu’il n’est nécessaire sur les conditions affligeantes dans lesquelles nous entamons le débat sur ce texte, le premier de cette nouvelle session extraordinaire.
Je soulignerai simplement que, tout juste après avoir fait adopter un texte de réforme constitutionnelle dont l’objectif affiché était de donner plus de pouvoir au Parlement, la précipitation et le mépris du travail parlementaire restent visiblement de mise. Chassez le naturel, il revient au galop !
C’est ainsi que nous sommes conviés à débattre, au cours de la même semaine, de deux textes importants touchant à la vie au travail : d’abord, le présent projet de loi sur les revenus du travail, troisième loi du genre depuis le début de la législature, ce qui témoigne de la cacophonie ambiante et de l’inefficacité pour les salariés de tout ce qui a été adopté ici même ; ensuite, le RSA.
Ironie de l’histoire, nos débats se déroulent dans une période touchée par la crise boursière internationale dont les coûts s’élèvent déjà, selon certains spécialistes, à 20 000 milliards de dollars.
Alors que plusieurs dizaines de conventions collectives ont aujourd’hui des grilles salariales où le premier échelon démarre en dessous du SMIC et qu’un tiers des SDF sont des gens qui travaillent, ces sujets mériteraient que l’on s’y attarde. Nous serions en droit d’attendre autre chose que des débats menés à la hussarde, au rythme des caprices présidentiels.
Vous noyez l’Assemblée sous une avalanche de textes législatifs, sans doute pour mieux en étouffer l’expression démocratique. À croire que vous redoutez le débat !
S’agissant du projet de loi qui nous occupe, vous affirmez qu’il porte l’ambition de mettre en place « un cadre plus favorable à la dynamisation des revenus du travail ». Rien de moins ! Qu’en sera-t-il vraiment, par-delà l’affichage politique ?
Ce texte est-il de nature à apporter un début de réponse à l’inquiétude croissante de nos concitoyens, qui placent le pouvoir d’achat au premier rang de leurs préoccupations ? Il est permis d’en douter. Car fidèles à votre politique de rigueur salariale et de baisse du coût du travail, laquelle trouve un puissant appui auprès de la Banque centrale européenne, vous n’entendez en aucune manière vous pencher sur l’épineux dossier de la hausse des salaires.
Vous entreprenez donc de relancer le pouvoir d’achat en usant des recettes désormais éculées qui consistent à engager de nouvelles dépenses fiscales et inciter les salariés à puiser dans leur épargne. Une stratégie vouée à l’échec, mais à laquelle vous vous accrochez comme l’huître à son rocher, malgré les remous de la conjoncture économique.
Si votre loi ne produit pas les effets attendus en termes de stimulation du pouvoir d’achat des ménages, en particulier des plus modestes, elle aura en revanche pour conséquence de fragiliser un peu plus le salaire par rapport aux autres éléments de rémunération, au risque d’une détérioration accrue des comptes sociaux comme de la disparition progressive et programmée des garanties du salaire.
Afin d’inciter les entreprises, et plus particulièrement celles de moins de cinquante salariés, à mettre en place ou améliorer l’intéressement, vous nous proposez dans un premier temps d’instituer un nouveau crédit d’impôt sur les sociétés au bénéfice des entreprises qui concluront à l’avenir un accord d’intéressement, en l’assortissant de quelques mesures transitoires qui permettront notamment aux entreprises qui signeront un accord avant le 30 juin 2009 de bénéficier rétroactivement du crédit d’impôt sur les sommes versées début 2009.
Lors de sa présentation aux partenaires sociaux dans le cadre de la commission nationale de la négociation collective, début juillet, ce dispositif avait été assez vertement critiqué par les organisations syndicales de salariés, qui ont unanimement dénoncé une logique d’aggravation des inégalités et le caractère pour le moins aléatoire de ces substituts de salaires que représentent les primes d’intéressement.
Nous partageons la même opinion. Les dispositifs d’intéressement comme de participation génèrent en effet de nombreux effets pervers.
Premièrement, une individualisation croissante des salaires, dont la part fixe a tendance à se réduire au profit d’éléments individualisés tels que les primes. Cette évolution tend à fragiliser le caractère de garantie collective que constitue le salaire proprement dit.
Deuxièmement, un manque à gagner considérable pour les comptes sociaux, ces primes n’étant pas soumises à cotisations.
Troisièmement, un manque à gagner pour les salariés sur le long terme, puisque ces primes ne sont évidemment pas intégrées dans le calcul de leur retraite.
Vous faites évidemment litière de ces préventions, offrant au contraire aux entreprises l’opportunité de bénéficier d’un nouveau cadeau fiscal, que le Gouvernement ne s’est d’ailleurs pas donné la peine de chiffrer, en dépit de la conjoncture économique et budgétaire. Cette mesure apparaît d’autant plus absurde qu’il aurait été plus simple et moins coûteux de rendre obligatoire la négociation d’accords d’intéressement dans toutes les entreprises, notamment celles de moins de 50 salariés. Il est vrai que vous ne vous montrez guère avares en avantages fiscaux dès lors que les entreprises ou les ménages les plus aisés en sont les premiers bénéficiaires. Outre que nous demanderons au cours du débat que cet avantage fiscal soit supprimé, nous vous proposerons de plafonner le montant des primes d’intéressement à 20% du salaire. Il est en effet indispensable que le salaire conserve son rôle de référent et de socle de la rémunération. C’est la seule garantie.
S’agissant du déblocage permanent de la participation, qui constitue le second volet de votre réforme, vous donnez un nouvel exemple de votre capacité à recycler les recettes les moins efficaces et les plus indigestes de la précédente législature. Le dispositif n’est pas neuf, même s’il faisait jusqu’alors l’objet de mesures transitoires. Dernière péripétie en date : la loi du 8 février 2008 « pour le pouvoir d’achat » qui a permis aux salariés de débloquer, par anticipation, tout ou partie de leurs droits à participation aux résultats de l’entreprise affectés au plus tard le 31 décembre 2007. Un déblocage qui devait bien entendu rester « exceptionnel » !
Notons que le promoteur de ce énième dispositif de déblocage, M. Nicolas Sarkozy, n’avait alors pas fait mystère du souhait de voir cette mesure « remettre du carburant dans la croissance française et du pouvoir d’achat ».
Votre gouvernement et sa majorité misaient alors sur l’injection de 12 milliards dans l’économie. On voit ce qu’il en est advenu. Au final, les salariés ont débloqué leur épargne pour seulement 3,9 milliards. Un tel résultat témoigne de la limite de l’exercice consistant à stimuler le pouvoir d’achat en « autorisant » les salariés à puiser dans leur épargne, quand les plus modestes l’ont déjà épuisée et que les mieux lotis préfèrent la faire fructifier.
Que peuvent bien attendre nos concitoyens des nouvelles mesures que vous proposez en terme de stimulation du pouvoir d’achat et de relance de la croissance ?
Surtout, pourquoi serait-il possible de distribuer du revenu sous forme de dividendes, alors que ce serait exclu sous forme de salaires ?
L’idée que vous défendez souvent, selon laquelle la compétitivité impose la rigueur salariale mais peut s’accommoder de largesses en matière de dividendes, ne s’appuie sur aucun argument économique sérieux, sinon que les rémunérations non salariales ne paient pas de charges sociales, du côté de ceux qui les versent, et paient moins d’impôts, du côté de ceux qui les reçoivent.
A l’échelle d’une entreprise, on peut certes avoir le sentiment d’un jeu gagnant-gagnant, puisque les employeurs acquittent moins de charges et les salariés moins d’impôts, mais ce gain « paritaire » oublie le troisième sommet du triangle, à savoir la protection sociale : ce que l’on paiera en moins comme impôts ou cotisations fera défaut du côté des prestations sociales ou des services publics.
On oublie par la même occasion que tout le secret de votre manœuvre est d’échanger un gel global des salaires contre une redistribution, individualisée et donc sélective, de dividendes, peut-être hypothétiques.
La participation et l’épargne salariale vont de pair avec le creusement des inégalités de revenus.
Nous sommes favorables à un tout autre dispositif : indexer les salaires sur les gains de productivité des entreprises, seule véritable garantie de la progression réelle du pouvoir d’achat de l’ensemble des salariés.
S’agissant de votre réforme du SMIC, nous partageons là encore les réticences et les objections exprimées par nombre d’organisations syndicales, en juillet dernier. Certaines d’entre elles avaient souligné le risque que cette réforme conduise à l’annualisation du SMIC, réclamée de longue date par le patronat.
En avançant le calendrier de sa revalorisation annuelle du 1er juillet au 1er janvier, vous prétendez donner une lisibilité accrue aux partenaires sociaux dans les branches pour relever les grilles des minima conventionnels et dans les entreprises pour négocier des augmentations salariales.
Il faudrait être aveugle pour ne pas voir dans cette réforme un premier pas vers la généralisation des négociations salariales portant sur des revenus annuels, comme c’est déjà le cas dans de nombreuses branches. Annualisation qui concourt à la déstructuration du salaire et des grilles, et à l’éclatement de ses composantes.
Vous comprendrez que nous soyons donc particulièrement hostiles à cette réforme comme à votre proposition de créer une commission d’experts dite indépendante à caractère consultatif, qui aurait pour mission de remettre chaque année un rapport sur les évolutions souhaitables du SMIC.
C’est là encore une revendication ancienne du MEDEF, qui juge évidemment plus confortable d’avoir affaire à une poignée de technocrates dociles, sur lesquels il reste possible d’exercer d’amicales pressions, que de devoir être soumis à une décision politique qui prendrait éventuellement en compte les attentes et les besoins de nos concitoyens.
Je m’attarderai pour finir sur les deux dernières dispositions de votre projet de loi, qui se présentent sous des dehors particulièrement vertueux puisqu’il s’agirait de relancer les négociations salariales, tant au niveau des branches que de l’entreprise, par la mise sous condition des allégements généraux de cotisations patronales.
Malheureusement, une fois de plus, vous mettez sensiblement plus d’empressement à sanctionner les personnes privées d’emploi qui peinent à en retrouver qu’à contraindre les entreprises à respecter leurs obligations en termes de négociation salariale.
Vous nous avez de longue date habitués à ces deux poids deux mesures, mais votre dispositif frise ici la caricature.
Vous ne proposez en effet que de réduire de 10% le montant des allégements de cotisations des quelque 25% d’entreprises assujetties qui ne respectent pas la négociation annuelle obligatoire. Gageons que l’effet dissuasif d’une telle pénalité sera pour le moins modeste.
En ce qui concerne les négociations de branche, vous nous proposez un mécanisme un peu similaire, qui pourrait être potentiellement efficace, mais qui dépendra très étroitement du coefficient de la réduction des allégements de charge qui sera appliqué dans les quelque 71 branches, sur 160, où les minima sociaux, auxquels vous donnez par ailleurs une existence légale, sont inférieurs au SMIC.
Nous demeurons donc circonspects quant à l’efficacité réelle de vos dispositifs visant à pallier l’insuffisance de la négociation salariale dans notre pays.
Nous apportons d’autant moins de crédit à votre volonté affichée d’améliorer les salaires et à votre vaine tentative de contenir le mécontentement grandissant de nos concitoyens, que vous restez tributaires de la politique économique européenne dont la stabilité des prix reste la pierre angulaire, de sorte que rien n’est plus urgent en période d’inflation que de contenir les revendications salariales.
Nous ne partageons pas davantage les propos dogmatiques de Jean-Claude Trichet, estimant au contraire urgent de retrouver le chemin de la croissance en améliorant les conditions d’existence de nos concitoyens.
Nous voterons en conséquence contre votre texte.
 

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Roland
Muzeau

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