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Travail : travail, emploi et pouvoir d’achat

Madame la présidente, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la droite ligne des textes présentés sous la précédente législature par les gouvernements Raffarin et de Villepin, celui que nous examinons aujourd’hui affiche un intitulé ronflant : « Favoriser le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat. » Pour autant, et nous le démontrerons tout au long de nos débats, derrière cet écran de fumée, derrière cet arbuste social, se cache une tout autre réalité : celle d’une jungle de dispositions fiscales, d’exonérations d’impôts, de cotisations sociales taillées sur mesure, une fois encore, pour une petite frange de nantis, de très grands patrons et de très gros actionnaires. Ce sont autant de nouveaux cadeaux qui creuseront davantage le fossé séparant les riches Français, les superprivilégiés, les 35 000 foyers qui ont déjà vu leurs revenus, en grande partie financiers, exploser de 42,6 % ces dernières années, du reste de la population, des actifs sous-employés, précarisés, des sept millions de travailleurs pauvres percevant moins de 722 euros par mois. Ce sont autant de mesures qui serviront la captation des richesses produites par la sphère financière, par les actionnaires, au détriment des investissements et des salariés.

Telle est la réalité de la ligne politique du nouveau Président de la République. Lors d’un déplacement à la Réunion, devant un micro malencontreusement resté ouvert, il avait ainsi prévenu : « Je serai servile avec les puissants et ignoble avec les faibles. » Probablement, plaisantait-il !

Le « paquet fiscal » est copieux. Au menu, et en sus des niches fiscales, figurent l’abaissement du bouclier fiscal, pouvant conduire à une réduction de L’ISF de 39 % et la suppression des droits de succession profitant aux 5 % des contribuables les plus riches. Ces mesures sont contestées par les économistes, y compris ceux qui ne s’offusquent pas qu’il y ait plus de riches ou plus d’inégalités en France. Thomas Philippon juge ces mesures inefficaces et vous reproche « d’inventer une usine à gaz qui va créer des effets d’aubaine et ne profitera qu’aux conseillers fiscaux ».

Ce paquet fiscal sera source d’injustices fiscales et sociales supplémentaires. En raison de son coût, il servira d’alibi supplémentaire à une instrumentalisation de la dette, puisque vous avez déjà prévenu, madame la ministre : « Ces engagements doivent aussi se mesurer à l’aune de ceux que la France a souscrit auprès de ses partenaires européens. Il lui faudra en contrepartie faire preuve d’une rigueur budgétaire sans faille et voir comment des économies pourront être réalisées dans le cadre de projets ultérieurs. »

La question du sens et de la valeur du travail dans notre société est centrale et ne saurait être réduite à de simples slogans simplistes, voire populistes. Les Français – enfin, certains – ont été séduits par celui qui prétendait être « le Président du pouvoir d’achat » ; celui qui, contraint par la colère des salariés privés d’une prime de participation digne de ce nom, tempêtait contre « les pratiques détestables » du patron d’Airbus-EADS, PDG qui a empoché 8,5 millions d’euros d’indemnités de départ et annoncé, dans la foulée, la suppression de 10 000 emplois.

Comment ne pas être tenté par le « gagner plus », lorsqu’il est de plus en plus difficile tout en travaillant dur, de plus en plus précairement, tout en cumulant deux, trois petits boulots, de se loger, de se nourrir, tout simplement de vivre dignement ?

Le MEDEF peut laisser exploser sa joie. Les salariés, eux, dans leur grande majorité, se rendront malheureusement à l’évidence. S’ils sont imposables, l’impact annuel du nouveau dispositif relatif aux heures supplémentaires sur leurs revenus sera, en effet, très en deçà d’un treizième, voire d’un quatorzième mois, qu’a très imprudemment promis M. Xavier Bertrand. En premier lieu, c’est l’employeur seul qui décide et propose les heures supplémentaires que, sous la pression et faute d’être protégé en cas de refus, le salarié « accepte ». En second lieu, tous ne pourront pas travailler plus, sauf à sacrifier leur santé et leur vie de famille. Avez-vous réfléchi aux pluriactifs, soit un million de salariés, dont 80 % sont des femmes, qui jonglent péniblement dans le secteur des services et qui déjà, non visés par les 35 heures, cumulent les heures pour gagner à peine l’équivalent d’un SMIC ? Avez-vous pensé aux employées du commerce sous-employées ?

Pensez-vous vraiment que les ouvriers annualisés subissant de plein fouet l’intensification du travail, la pénibilité, l’exposition à des produits chimiques, cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques ont envie de travailler plus et en sont capables physiquement ? Pour beaucoup, se faire rémunérer des heures supplémentaires, cela signifie travailler plus de 48 heures hebdomadaires.

Enfin, l’impact sur le salaire sera faible parce que certaines heures supplémentaires resteront majorées à un taux inférieur à 25 % pour les huit premières heures, et là, mesdames, messieurs de la majorité, votre responsabilité est entière. Depuis la loi Fillon de 2003, pour les employeurs, ces heures sont moins chères. N’est-ce pas vous qui, d’année en année, avez prorogé un taux de rémunération dérogatoire des heures supplémentaires pour les entreprises de moins de vingt salariés ? N’est-ce pas cette même majorité qui, sous la précédente législature, a validé par la loi un accord annulé par le Conseil d’État qui limitait à 10 % la majoration des heures supplémentaires dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants ?

Non, la défiscalisation des heures supplémentaires n’est pas le moyen pour augmenter le pouvoir d’achat de tous les salariés. Le Conseil d’analyse économique a d’ailleurs épinglé l’option retenue par ce projet de loi. Selon lui, en effet, si un allégement des prélèvements obligatoires sur les heures supplémentaires accroît le pouvoir d’achat de ceux qui travaillent au-delà de la durée légale, en contrepartie, le financement de cet allégement réduit le revenu des salariés qui ne font pas d’heures supplémentaires. In fine donc, les salariés exclus du dispositif paieront à la place des employeurs.

Rien de surprenant à ce que le MEDEF juge cette réforme décisive alors que les syndicats de salariés dans leur ensemble n’acceptent pas ce marché de dupes.

Écueil supplémentaire, le nouveau régime fiscal et social des heures supplémentaires aura un effet négatif sur l’emploi, puisque, toujours selon le CAE, il incitera les entreprises à substituer des heures de travail aux hommes. Le surchômage des jeunes et l’éviction des « quinquas » du marché du travail ne seront pas enrayés. Et le CAE craint, comme si cela ne suffisait pas, que les employeurs ne profitent de l’occasion pour supprimer des éléments de rémunération pour gonfler le nombre d’heures supplémentaires, bref que votre texte ne favorise la fraude.

Vos postulats libéraux sont dangereux, vos affirmations souvent fausses. Les Français ne sont pas feignants, ils sont parmi les plus productifs au monde et leur durée du travail se situe dans la moyenne européenne. D’autres choix sont possibles pour redonner au travail toute sa valeur, nous en ferons la preuve à travers nos propositions d’amendements. Cela passe notamment par la lutte contre les causes du développement des formes d’emploi précaire, par une autre répartition des richesses, un transfert des revenus financiers vers les salaires, par la revalorisation du SMIC.

Madame la ministre, monsieur le haut-commissaire, vous l’avez compris, nous n’approuverons pas votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical et citoyen.)

 

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Roland
Muzeau

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