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Union européenne : adaptation de la législation au droit de l’UE

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons est issu d’une proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit communautaire, déposée le 6 septembre 2010 sur le bureau du Sénat par MM. Gérard Longuet, Jean Bizet et Jean-Paul Emorine. Il vise à transposer diverses directives et règlements européens dans la législation nationale. Par cette proposition de loi, le Parlement se saisit lui-même de la question du retard de transposition des textes européens. Comme l’indique Martial Saddier dans son rapport : « C’est donc dans le constat des conséquences dommageables d’un retard de transposition que ce texte-catalogue trouve sa principale justification, à défaut d’une véritable cohérence d’ensemble. » Nous partageons totalement cette analyse.
Cette proposition de loi « catalogue » suscite, pour le moins, sur la forme et sur le fond plusieurs critiques.
S’agissant de l’initiative parlementaire, nous devrions avant tout saluer la vigilance de nos collègues sénateurs, qui les a conduits à déposer cette proposition de loi afin de prévenir une sanction à l’encontre de la France dans le cadre d’une procédure en manquement initiée par la Commission européenne. Cette rigueur les honore, d’autant que l’on se trouve confronté à une détérioration du déficit français de transposition : en mars 2010, la France affichait un déficit de transposition de dix directives. Cela étant, nous déplorons que l’initiative parlementaire ait dû se substituer au Gouvernement.
Le Gouvernement est-il si négligent que l’accumulation des retards de transposition, tous secteurs confondus, l’a conduit à laisser aux membres de sa majorité le soin de présenter une proposition de loi « fourre-tout » pour transposer ces textes européens en droit français ? Le retard a déjà fait des victimes collatérales, notamment dans le domaine de l’urbanisme. L’amendement de mon collègue havrais Daniel Fidelin illustre les difficultés qui se manifestent sur le terrain : je pense notamment à la situation du SCOT – schéma de cohérence territoriale – de l’agglomération havraise.
Les auteurs de la proposition justifient que l’initiative parlementaire en vienne à se substituer à celle du Gouvernement faute de véhicule législatif adéquat. En réalité, cela résulte du fait que le Gouvernement a traditionnellement recours à la transposition sectorielle. Or cette méthode, pour le moins discutable, de morcellement de la transposition des directives laisse à l’écart nombre de dispositions très spécifiques. Il faut ensuite avoir recours à des lois « fourre-tout » ou qui s’apparentent à des catalogues pour finaliser les transpositions. La proposition de loi soumise aujourd’hui à notre approbation en est une parfaite illustration.
Dans l’urgence, elle compile « diverses dispositions » – c’est un euphémisme – d’adaptation de la législation au droit communautaire sans aucun souci de cohérence, et demande aux parlementaires de se prononcer, également dans l’urgence, sur ce patchwork de dispositions.
Cette méthode n’est pas satisfaisante, elle ne permet pas aux parlementaires et, surtout, aux citoyens d’avoir une vision globale des directives, donc d’en saisir pleinement les enjeux et de comprendre le fonctionnement de l’Europe.
À cet égard, je déplore à nouveau que le gouvernement français ait renoncé à ce qu’il avait initialement envisagé de faire : déposer un projet de loi-cadre pour transposer la très célèbre directive « services ». Sur ce point, la France s’est distinguée des autres États membres, qui ont opté quant à eux pour une loi-cadre de transposition. Nous déplorons, je le répète, que le Gouvernement n’ait pas choisi de transposer de la même manière une directive qui livre bon nombre de services aux règles de la concurrence sauvage, et qu’il ait préféré la voie sectorielle, voire, dans certains domaines, la voie réglementaire.
Non seulement la transposition, qui aurait dû être achevée le 29 décembre 2009, ne l’est toujours pas – en attestent les dispositions transposées aux articles 3 et 4 de la présente proposition de loi –, mais, surtout, le Parlement a été privé d’un débat. Pour justifier son choix, le Gouvernement a argué qu’une loi-cadre de transposition aurait pu servir d’« épouvantail » à tous ceux qui auraient été tentés d’instrumentaliser un exercice essentiellement technique à des fins électorales. Mais cela s’appelle la démocratie, monsieur le secrétaire d’État !
En réalité, le Gouvernement a préféré une méthode de transposition privant les parlementaires et, surtout, les citoyens d’une vision d’ensemble du texte et de la possibilité de débattre réellement de ses enjeux. C’est inadmissible ! La représentation nationale aurait au contraire dû débattre spécifiquement de cette question majeure, afin de contrer le déficit démocratique inhérent à la construction européenne.
Permettez-moi de regretter vivement que la lecture au Sénat ait été, pour le Gouvernement, l’occasion de présenter une série d’amendements l’habilitant à prendre par voie d’ordonnance plusieurs mesures de transposition. Comme l’a indiqué notre rapporteur, M. Saddier, « c’est ce qui donne au texte cet aspect de “train d’habilitations” : près de la moitié de ses articles se bornent à renvoyer à une ou plusieurs ordonnances à venir ».
Par principe, vous le savez, nous dénonçons le recours aux ordonnances, qui dessaisit le Parlement de ses droits. Vos collègues de la majorité eux-mêmes l’ont regretté. La rédaction des ordonnances, quand bien même les parlementaires y seraient associés, risque en effet de ne pas prendre en considération certaines spécificités nationales, voire de plus larges préoccupations. Il appartient au Parlement de discuter les textes au fond, afin de souligner ces spécificités, et seul un tel débat garantit une appréciation globale, dans le respect de nos valeurs.
En ce qui concerne spécifiquement les textes européens, le débat de fond est plus nécessaire encore, tant la marge de manœuvre du législateur national est encadrée par les directives et les règlements de l’Union. Aussi est-il tout à fait regrettable que le Parlement soit par exemple privé de débat sur les directives du paquet « énergie-climat », qu’il est proposé de transposer par voie d’ordonnance. Trois directives sont en cause : la première est relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables ; la deuxième vise à améliorer et à étendre le système communautaire d’échange des quotas d’émission de gaz à effet de serre ; la troisième concerne la qualité des carburants. Il s’agit donc de dispositions qui touchent de près l’organisation de notre secteur énergétique et celle des réseaux de transport d’électricité et de gaz.
De même, il est inacceptable que l’on dessaisisse le Parlement de ses prérogatives en prévoyant de transposer par ordonnance six règlements et une directive dans les domaines suivants : la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances et des mélanges ; l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances ; les dispositions relatives à certains gaz à effet de serre fluorés ; les dispositions relatives aux polluants organiques persistants ; les exportations et les importations de produits chimiques dangereux ; les dispositions relatives à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone ; la mise sur le marché de produits biocides. Ces sujets ne sont pas secondaires, eux non plus.
Le titre II de la proposition de loi comprend des dispositions relatives à des professions et activités réglementées. Je l’ai dit, deux des quatre articles composant ce titre correspondent non seulement à des articles de la proposition de loi Warsmann, mais également à la transposition de la directive « services ». Ils concernent la profession de géomètre-expert, visée à l’article 3, et l’activité de direction ou de gérance d’une auto-école, à l’article 4. Cette méthode, que j’ai dénoncée, montre que le Gouvernement veut adopter en catimini des dispositions que nous n’avons de cesse de combattre, et qui mettent toutes les activités humaines en concurrence frontale.
Enfin, les dispositions du titre III, relatif aux transports, soulèvent à nos yeux bien des problèmes. Ainsi, nous craignons que l’article 7 ne constitue un premier pas vers un alourdissement des charges pesant sur les collectivités en matière de gestion des routes départementales. Aujourd’hui, en effet, l’essentiel du réseau est composé de ces routes. Il n’est donc pas exclu que le Gouvernement souhaite, dans un second temps, étendre à ce réseau les obligations d’audit. Si telle n’est pas votre intention, monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous apporter quelques éclaircissements.
Par ailleurs, nous regrettons l’introduction de deux nouveaux articles figurant également dans la proposition de loi Warsmann et qui concernent la poursuite de la libéralisation du secteur aérien. L’article 10, notamment, risque d’encourager les compagnies françaises à recruter dans des pays où les contraintes de qualification et d’aptitude médicale qui s’imposent à elles seront moindres, voire inexistantes.
Vous le savez, nous demandons régulièrement un bilan sur les directives communautaires d’ouverture à la concurrence. Nous souhaitons que, dans ce cadre, la politique communautaire des transports soit réétudiée et réorientée, afin que la question du service public devienne centrale. Nous n’avons obtenu aucune réponse à ce jour.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que notre groupe vote contre cette proposition de loi.
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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