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Discussions générales

2ème lect. Pn déblocage exceptionnel de la participation et intéressement

Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer sur une proposition de loi qui fait écho à une mesure annoncée par le Président François Hollande le 28 mars dernier pour relancer la consommation. Permettez-moi de citer les propos du chef de l’État : « Je propose que [la participation], pour tous ceux qui en ont l’usage – 4 millions de Français bénéficient d’un accord de participation –, puisse être débloquée immédiatement sans pénalités fiscales jusqu’à 20 000 euros, et utilisée pour quelque achat que ce soit, sans aucune raison, pour acheter un bien, une voiture [… ]. Cela durera six mois, mais cela permettra pendant ces six mois de débloquer une épargne pour l’affecter à la consommation. »
Conformément à cette annonce, la présente proposition de loi prévoit que les salariés qui ont déjà placé en épargne salariale des primes d’intéressement ou leur participation disposeront de six mois pour débloquer jusqu’à 20 000 euros nets de prélèvements sociaux.
Il est bien sûr difficile de s’opposer à une telle mesure. Elle permettra à ceux de nos concitoyens qui en bénéficieront de rehausser un peu leur pouvoir d’achat. Nous exprimons néanmoins les plus vives réserves sur l’efficacité de ce dispositif et la philosophie qui le sous-tend.
Nous regrettons tout d’abord que ces dispositions soient inscrites dans une proposition de loi. Ce choix n’est pas fortuit car il a pour effet de nous priver d’une étude d’impact, laquelle aurait probablement révélé le peu de pertinence de ce type de dispositif.
Rappelons en effet qu’une mesure identique avait été initiée par Nicolas Sarkozy. La majorité d’alors prétendait ainsi elle aussi « remettre du carburant dans la croissance française et le pouvoir d’achat ».
Le moins que l’on puisse dire est que le résultat n’a pas été à la mesure des espérances : alors que le Gouvernement espérait injecter 12 milliards d’euros dans l’économie, nos concitoyens n’ont débloqué que 3,9 milliards d’euros. Ce résultat témoigne bien de la limite de l’exercice qui consiste à stimuler artificiellement le pouvoir d’achat en incitant les salariés à puiser dans leur épargne.
Nous sommes de fait davantage dans l’effet d’annonce que face à une réelle mesure de soutien au pouvoir d’achat.
Ceux des bénéficiaires qui doivent faire face à des dépenses urgentes débloqueront sans doute leur participation, mais ils peuvent déjà le faire dans de nombreuses circonstances. La grande majorité des autres préféreront à l’évidence tout simplement conserver leur épargne. La précaution prise de faire en sorte que la participation débloquée ne soit pas réinvestie dans l’épargne sonne à cet égard comme un aveu : l’aveu de la faiblesse structurelle de ce type de mesure en période de crise.
Vous savez comme nous que les ménages modestes et moyens, qui subissent de plein fouet les conséquences de la crise actuelle, ne vont pas dilapider leur épargne. Ils n’attendent pas du Gouvernement et de la majorité qu’ils usent et abusent d’artifices comme le déblocage de la participation. Ils attendent une politique volontariste de soutien actif au pouvoir d’achat.
Le pouvoir d’achat a reculé de 0,4 % en moyenne l’an dernier, pour la première fois depuis près de trente ans. Selon l’INSEE, la consommation n’a depuis bientôt cinq ans progressé en moyenne que de 0,2 % par an.
La raison en est simple : des quatre leviers de croissance que sont la consommation, les dépenses publiques, l’investissement des entreprises et le commerce extérieur, nous avons sacrifié les deux premiers au profit des deux autres.
Ces politiques économiques uniquement fondées sur l’offre n’ont pas eu les effets escomptés : la baisse de la consommation et des dépenses publiques a entraîné non pas le redressement de notre économie mais, au contraire, la baisse de l’investissement des entreprises. Pourquoi en effet une entreprise augmenterait-elle l’investissement quand la demande qui lui est adressée, et donc son chiffre d’affaires, est en baisse ? Pourquoi voudriez-vous que le commerce extérieur se porte mieux, alors que nos partenaires les plus importants sont aussi en récession ? Pourquoi proposer un pacte de compétitivité qui accorde 20 milliards d’euros de baisse d’impôts aux entreprises si celles-ci n’investissent pas et utilisent leur surcroît de marge pour continuer à augmenter les dividendes versés aux actionnaires ?
Il est temps selon nous de nous interroger en profondeur sur les choix qui continuent d’orienter notre politique économique malgré leur échec évident. Ce qui est en faillite, c’est non pas notre pays, mais son modèle de développement.
Nous préconisons pour ce qui nous concerne une tout autre stratégie fondée sur la relance de l’investissement public et, ce qui est plus important encore, de la consommation.
Nous ne croyons pas aux vertus d’un prétendu socialisme de l’offre. C’est la demande qu’il faut stimuler…
M. Patrick Ollier. Très bien !
M. André Chassaigne. … et il faut pour cela redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens par le moyen le plus sûr et le plus efficace : l’augmentation des rémunérations. Je ne suis pas certain que vous approuviez ce dernier point, monsieur Ollier.
Le déblocage de la participation ne saurait tenir lieu de politique salariale. Il ne saurait remplacer un relèvement significatif du SMIC, des pensions et des minima sociaux.
Les Français des classes populaires attendaient de l’alternance une amélioration de leurs conditions de vie et de travail, un meilleur partage des richesses, lesquelles sont le fruit de leur travail. Les dix années de politique de droite ont été vécues à juste titre comme des années noires, des années qui ont vu se multiplier les injustices criantes. Elles se sont soldées par une aggravation des inégalités. Comme l’a montré la dernière étude de l’Insee, cette politique s’est traduite par l’appauvrissement des pauvres et l’enrichissement des riches. Le niveau de vie de la majorité de la population a globalement stagné, voire baissé, nous l’avons dit. Mais l’étude montre par surcroît que la crise de 2008 a touché plus spécifiquement les couches modestes, les personnes les plus fragiles. Le niveau de vie des 5 % des Français les plus riches a progressé de 1,3 % en 2010 alors que celui des 20 % des Français les moins aisés a baissé de plus de 1,2 %.
Il faut aujourd’hui une politique active en faveur d’une nouvelle répartition des richesses, capable non seulement d’améliorer le niveau des ménages modestes et moyens, mais encore d’irriguer le tissu économique. La question des rémunérations est au cœur des enjeux centraux de la transformation de notre agriculture et de la transition écologique, qui sont gravement entravées aujourd’hui par la course au moins-disant salarial et social.
Nous sommes donc inquiets d’apprendre qu’il n’y aura pas de nouveau coup de pouce au SMIC cette année et que les salariés de ce pays devront donc se contenter d’une augmentation de 0,6 % sur deux ans. Nous sommes inquiets de la décision de gel du point d’indice des fonctionnaires annoncée mardi par la ministre de la fonction publique. Nous sommes inquiets du renoncement à plafonner la rémunération des dirigeants et cadres dirigeants d’entreprise. Ce n’est pas uniquement une question de morale ou de justice, c’est une question économique, car la concentration sans cesse accrue des richesses dans les mains de quelques-uns n’est pas un facteur d’embellie économique. Cette concentration souligne au contraire combien la fièvre du profit contrarie l’intérêt général.
Nous pensons également qu’il est plus que temps de revenir sur les 20 milliards d’euros de cadeaux fiscaux consentis aux entreprises dans le cadre du plan de compétitivité, car ils bénéficient à toutes les entreprises sans distinction et sans contrepartie : les banques, les assurances, la grande distribution, les cliniques privées, pour ne citer que les secteurs les plus emblématiques, vont ainsi se voir attribuer un crédit d’impôt injuste.
Vous refusez obstinément de cibler le dispositif pour en diminuer le coût et de consentir en contrepartie un véritable effort sur les rémunérations, les pensions, les minima sociaux et l’investissement des PME, qui sont notre poumon économique.
Nous n’aurons de cesse de vous convaincre que c’est la voie à suivre, madame la ministre, vous convaincre qu’il n’y aura pas de croissance sans relance de la consommation, vous convaincre qu’il n’y a pas d’avenir pour la gauche si elle persiste à appliquer les recettes de ses prédécesseurs et ne s’emploie pas à répondre aux attentes et aux espoirs qui l’ont portée au pouvoir.
Pour l’ensemble de ces motifs, les députés du Front de gauche s’abstiendront sur ce texte, comme ils l’ont fait en première lecture.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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