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Application de l’article 11 de la Constitution

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Braouezec.
M. Patrick Braouezec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc enfin venu, à quelques mois de la fin de la législature, le temps d’aborder le dernier volet de la réforme constitutionnelle de 2008.
Totalement absente du projet de réforme constitutionnelle d’origine, l’idée du référendum est arrivée bien plus tard, par voie d’amendements dont beaucoup reprenaient la proposition n° 67 du comité Balladur, qui visait à instituer un référendum d’initiative populaire.
Alors que le volet citoyen de cette réforme est tout juste abordé, les lois organiques visant à permettre au Président de la République de nommer des PDG d’entreprises publiques et aux ministres de retrouver leur siège de député, ou encore à réformer le travail parlementaire en muselant l’opposition ont, elles, été présentées avec beaucoup de rapidité.
Tout concourt donc à penser que cette ultime réforme est réalisée à contrecœur, sans réelle volonté de remettre le citoyen au cœur de nos institutions. Si cet état de fait ne suffisait pas à démontrer cette aversion, l’ultime article du projet de loi organique montrerait bien vos intentions : il dispose que la réforme n’entrera en vigueur que le premier jour du treizième mois suivant celui de sa promulgation.
Le plus grave est qu’en lieu et place d’un référendum d’initiative populaire c’est un référendum d’initiative partagé qui nous est aujourd’hui proposé. Avec ces projets de loi organique et de loi ordinaire, vous entendez en effet partager le processus de présentation entre Parlement et citoyens, comme prend le soin de le souligner notre rapporteur et contrairement à ce que laisse penser un exposé des motifs qui recourt systématiquement au terme « populaire ».
La frilosité est donc de rigueur face à des outils de démocratie participative dont vous craignez qu’ils ne vous échappent. Or une société qui se méfie de ses concitoyens est une société moribonde, pour reprendre le mot d’Aimé Césaire.
L’exercice est donc compliqué : vous voulez donner l’impression de répondre aux attentes populaires tout en évitant de rendre effectif un droit pourtant élémentaire de la démocratie parlementaire. Tel est le mot d’ordre quasi intenable d’une majorité de plus en plus méfiante à l’égard du peuple, d’une majorité qui craint d’être dépassée par les citoyens. Pourtant, nombre de démocraties occidentales, à commencer par nos voisins européens, ont fait de cette initiative référendaire un outil de démocratie effective, reconnue et respectée.
Il suffit de revenir aux conditions de mise en œuvre de l’initiative référendaire, tellement drastiques qu’elles lui retirent le peu de caractère populaire qui lui était imparti. Le débat ne pourra en effet être ouvert que si l’initiative est présentée par un cinquième des membres du Parlement et qu’elle est soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cent quatre-vingt-cinq parlementaires et plus de quatre millions et demi d’inscrits sur les listes électorales – excusez du peu ! Ces seuils sont absolument disproportionnés et inatteignables. Ils augurent donc la non-application d’une telle procédure.
L’exemple suisse d’un très – voire trop – régulier recours au référendum est souvent repris, mais ne perdons pas de vue qu’aucun de nos voisins européens n’a fixé un taux de pétitionnaires aussi élevé : 10 % du corps électoral ! En Belgique, le nombre de pétitionnaire doit être de 3 % des électeurs ; en Suisse, il est fixé à 50 000 électeurs ; en Italie, l’initiative ne doit recueillir le soutien que de 500 000 électeurs, soit moins de 1 % d’une population totale de 60 millions d’habitants. L’exemple italien est d’ailleurs certainement, dans ses fondements et dans ses répercussions institutionnelles et politiques, celui dont nous devrions nous inspirer.
D’autres seuils sont donc envisageables pour rendre l’initiative crédible et accessible aux citoyens organisés. Ayons à l’esprit, par exemple, que le référendum sur la Poste organisé à l’automne 2009 fut, avec la participation de deux millions de personnes, un réel succès.
N’oublions pas non plus les contraintes temporelles excessivement lourdes de l’organisation d’une telle initiative : le délai incompressible est de quinze mois, quand le délai maximal est de vingt-trois mois, presque deux ans ! Une fois le contrôle de constitutionnalité de l’objet de la proposition effectué, la proposition validée par un cinquième des parlementaires et soutenue par un dixième de la population, le président ne pourra soumettre la proposition au référendum que si elle n’est pas examinée par le Parlement dans l’année qui suit. Autant dire que l’initiative référendaire ne débouchera jamais sur un référendum…
M. Jean Mallot. C’est étudié pour !
M. Patrick Braouezec. …et, surtout, que les citoyens apparaissent tels des figurants ! C’est à se demander si l’on souhaite réellement qu’ils se mobilisent.
Mme Frédérique Massat. Il n’y a même pas à se le demander !
M. Patrick Braouezec. L’ensemble de ces éléments et les limites constitutionnelles de l’exercice imposé montrent à quel point cette initiative référendaire a été vidée de son sens, de peur que des mécanismes de démocratie directe conduisent à des solutions contraires aux décisions du pouvoir législatif. Ces réticences sont symptomatiques d’un corps politique qui craint de se voir confisquer une partie de son pouvoir.
Il existe des exemples réussis en la matière. Je pense, bien évidemment, au succès du référendum de mai 2005 qui a soumis au débat le traité constitutionnel européen. Ce fut effectivement un succès, non seulement en raison de son résultat, mais surtout du fait des débats de fond qu’il a suscité. C’est justement leur réappropriation hors des canaux classiques et institutionnels qui en a fait la richesse.
Le référendum de 2005 représente la parfaite reprise en main citoyenne du débat politique dans ce qu’elle a de plus noble. Au-delà du résultat, c’est en effet l’incroyable mobilisation des Français, militants ou non, syndicalistes, responsables associatifs, élus, jeunes et moins jeunes, qui doit être retenue. Ils ont manifesté leur volonté de se donner les moyens d’étudier, d’analyser un projet qui ne leur convenait pas, tout en envisageant et esquissant les grandes lignes d’un autre programme que vos prédécesseurs ont balayé, avec mépris, d’un revers de main. On en paie clairement, aujourd’hui, les pots cassés tant au niveau de la forme, avec la dépossession des citoyens du débat politique, qu’au niveau du fond, avec une crise financière qui est très clairement liée à cette construction européenne. Dérouté, le corps politique dans sa quasi-intégralité a choisi de passer outre, en passant par une validation parlementaire, majoritairement acquise à la cause.
À quelques mois d’échéances politiques majeures, dans un contexte économique et financier très troublé, de taux d’abstention croissants, de défiance des citoyens vis-à-vis des responsables politiques et, plus généralement, de la chose politique, le corps politique, une fois encore, se révèle incapable de transformer le succès d’une mobilisation citoyenne institutionnelle en action politique majeure et souveraine. Pourtant, il suffit de voir aujourd’hui le succès des livres et réunions publiques traitant de la question économique – dette publique, crise financière et autres termes techniques n’ont plus de secret pour nombre de Français – pour comprendre que les citoyens veulent être de la partie.
À nous, législateur, de nous saisir de ces mobilisations en leur offrant un cadre institutionnel constructif et proactif ! Si l’élection reste l’un des fondements de la démocratie, la participation citoyenne ne doit pas se réduire à l’unique acte de vote, bien au contraire. Participer à la vie de la cité, s’engager au quotidien, manifester, faire grève, pétitionner, agir directement et dans le respect d’autrui, cela relève aussi, en-dehors et au cours des temps électoraux, de la participation politique qu’il conviendrait de respecter en tant que telle, tout à la fois intervention publique et miroir de la vivacité de notre société.
Nombre de débats de société pourraient ainsi prendre forme et sortir des cadres d’experts et des logiques de lobbying : les retraites, la privatisation de la Poste, la sortie du nucléaire sont autant de questions essentielles qui, si elles étaient traitées et investies par le plus grand nombre, permettraient une réconciliation évidente des Français avec leurs institutions et enrichiraient nos discussions parlementaires.
Tout préalable à une réforme de la Constitution aurait dû passer par l’introduction d’une citoyenneté active et responsable, décidément inconciliable avec la Ve République dans sa forme actuelle. Lors du débat institutionnel de 2008, j’étais revenu sur l’importance de garantir, par des moyens d’actions efficaces et réels, que « vivre ensemble » résonne pour tous de la même façon. Depuis 2008, notre groupe n’a eu de cesse de défendre les principes d’une autre république, où le pouvoir du Parlement, comme le pouvoir des citoyens, serait réel, où la démocratie serait insufflée à tous les échelons de l’État et du débat politique et où le pluralisme assurerait la vitalité de notre vie politique. Or ces principes n’ont eu aucune traduction, ni avec ce principe de ce référendum d’initiative partagée, ni avec les lois précédentes.
Ce texte aurait pu concevoir le référendum tel un contre-pouvoir salutaire, stimulant, actif et productif, où le citoyen aurait toute sa place. Bien évidemment, il n’en a pas été ainsi.
Cette proposition a, de plus, l’inconvénient d’inscrire dans le marbre constitutionnel un droit inapplicable sauf à le modifier dans notre débat – je doute qu’il en aille ainsi – en le transformant en un référendum d’initiative populaire qui, seul, a sa place dans une démocratie digne de ce nom.
Dans l’état actuel, nous voterons contre ce texte-alibi qui se fonde sur une vision archaïque de notre démocratie et de ses institutions politiques et, surtout, qui prend les citoyens pour ce qu’ils ne sont pas : des imbéciles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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Patrick
Braouezec

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