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CMP - Sécurisation de l’emploi

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous voici donc à nouveau saisis de ce projet de loi faussement intitulé de « sécurisation de l’emploi », après son passage au Sénat qui a donné lieu à la mise en œuvre de toutes les grosses ficelles que nous dénoncions ensemble il n’y a pas si longtemps, monsieur le ministre, mes chers collègues de l’actuelle majorité parlementaire, lorsque nous étions dans l’opposition, jusques et y compris le recours au vote bloqué… Sans doute avez-vous considéré que quatre jours de débat, c’était déjà bien assez pour un texte qui ne concerne finalement que 18 millions de salariés !
Au final, les grands traits de ce texte demeurent.
Si les premiers articles de votre projet relèvent davantage du catalogue que d’une réponse cohérente aux exigences qui se sont manifestées dans les urnes voici moins d’un an, la seconde partie est, quant à elle, parfaitement construite autour d’un projet qui irrigue toutes les prétentions patronales depuis des années : sécuriser les procédures, les licenciements, les marchés, bref, sécuriser tout, sauf l’emploi et les salariés. La droite du reste ne s’y est pas trompée !
Après le cadeau de 20 milliards d’euros offert au patronat dans le cadre du crédit d’impôt, à l’heure où la réduction de la dette est opposée à toute revendication, on était en droit d’attendre en contrepartie une exigence renforcée en matière de droits des salariés.
Parlons donc de ce que vous appelez les « nouveaux droits ».
La complémentaire santé pour les quelque 400 000 salariés qui n’y ont pas encore droit est renvoyée à une négociation collective et à une mise en œuvre ultérieure.
La fameuse surtaxation des contrats précaires est réduite à une négociation à venir sur les majorations ou les minorations de cotisations chômage selon le type de contrat. Elle ne concernera pas les contrats d’usage, c’est-à-dire le domaine essentiel de la précarité, et elle n’égratignera pas l’intérim. On verra, dans quelques semaines, fleurir les contrats de trois mois et deux jours exonérés de cette surcotisation hypothétique, beaucoup moins précaires, il est vrai, que les contrats de trois mois !
Pour lutter efficacement contre le recours abusif aux CDD, nous avions proposé de multiplier par deux l’indemnité de fin de contrat bénéficiant aux salariés concernés. Nous nous sommes heurtés à un refus catégorique – au demeurant logique puisque cette loi n’est pas faite pour eux.
La fixation d’une durée minimale de vingt-quatre heures pour les contrats de travail à temps partiel aurait pu constituer une réelle avancée si elle n’était pas limitée par une série de dérogations telles que le renvoi à la négociation, le lissage annuel et, suprême hypocrisie quand on connaît la réalité sociale des secteurs concernés, ces fameux avenants au contrat de travail qui permettent d’échapper au paiement majoré des heures complémentaires.
À qui espérez-vous faire croire qu’il s’agira réellement d’un accord de volontés correspondant au souhait du salarié ? Quelle est la liberté de choix de ces milliers de femmes salariées d’entreprises de nettoyage qui vivent à l’envers de la société et du rythme de leurs enfants, qui sont obligées de se soumettre aux exigences desdites sociétés sous peine de perdre leur maigre salaire ?
M. Michel Sapin, ministre. C’est un accord de branche !
Mme Jacqueline Fraysse. En ce qui concerne les droits collectifs, quelle est la portée de la présence symbolique d’un ou deux représentants salariés au sein des conseils d’administration des quelques entreprises concernées, ou la consultation sur les orientations stratégiques, face aux conditions draconiennes imposées désormais aux institutions représentatives du personnel et à leurs experts pour accomplir leur mission ?
M. Michel Issindou. C’est excessif, madame Fraysse !
Mme Jacqueline Fraysse. Quel salarié, électeur de l’année dernière, pouvait imaginer qu’après le traumatisme provoqué par les suicides chez France Télécom et ailleurs, un gouvernement de gauche proposerait de limiter à une expertise unique, déconnectée des réalités du terrain, l’évaluation des risques psychosociaux liés aux réorganisations qui bouleversent quotidiennement les conditions de travail et de vie de centaines de milliers de personnes ?
Il en est de même de la mobilité externe. Là aussi, assez de faux-semblant, soyons clairs : il s’agit ni plus ni moins de sécuriser le prêt de main-d’œuvre entre entreprises, une revendication du patronat bien connue.
Voilà pour les prétendues avancées et concessions patronales dont on est tellement certain qu’elles produiront des effets bénéfiques que l’on se reverra dans un an ou deux ans pour faire le point !
Quant à la facture présentée au monde du travail en termes de flexibilité, elle est bien réelle et immédiate. Vous promettiez de lutter contre les licenciements boursiers et vous affirmez aujourd’hui renchérir ces licenciements. Mais ce n’est pas la vérité. En effet, aucun article de ce projet de loi ne vient réévaluer l’indemnité versée au salarié victime d’un licenciement abusif, une indemnité de surcroît demeurée inchangée depuis 1973 !
Avec les accords de maintien dans l’emploi, vous permettez aux employeurs, au terme d’une négociation d’entreprise menée sous la menace de la fermeture, de jouer sur la seule variable d’ajustement qu’ils connaissent : les salaires.
Certes, il est fait état d’un effort proportionné demandé aux dirigeants. Nous avions demandé, qu’au moins pendant la durée de l’accord, le versement des dividendes soit suspendu. Vous avez catégoriquement refusé, au motif que le texte prévoit déjà un effort similaire demandé aux actionnaires. Encore un faux-semblant, puisque l’accord en question sera conclu « dans le respect des compétences des organes d’administration et de surveillance » !
Qu’en sera-t-il en cas de rachat de l’entreprise par un repreneur en cours d’exécution de l’accord ? Le repreneur ne sera nullement tenu par l’engagement de ne pas procéder à des licenciements économiques, mais la baisse de salaire consentie par les salariés sera quant à elle acquise et de manière irréversible.
La réforme en profondeur du droit des licenciements économiques collectifs se caractérise par deux obsessions patronales : éviter le juge et aller le plus vite possible aux licenciements.
Il suffit pour s’en convaincre, de lire le texte : aucun contrôle en amont sur le motif économique ; une tentative d’associer les représentants salariés au licenciement de leurs collègues ; des délais dérisoires accordés à l’administration pour effectuer les contrôles nécessaires ; la dérogation à tous les étages avec la décision implicite d’acceptation et un juge administratif potentiellement dessaisi parce qu’il ne statue pas assez vite.
En fait de retour des salariés et de l’État, une seule phrase montre ce qu’il en est en réalité, le texte que vous proposez pour l’article L. 1233-57-7 du code du travail : « En cas de décision de refus de validation ou d’homologation, l’employeur, s’il souhaite reprendre son projet, présente une nouvelle demande après y avoir apporté les modifications nécessaires et consulté le comité d’entreprise. »
Évoquant à la fois la validation et l’homologation, cette phrase envisage notamment de la situation où un accord collectif portant le plan de sauvegarde de l’emploi ne serait pas validé par l’administration.
Que se passerait-il alors, selon les termes même du texte : « L’employeur, et lui seul, serait habilité à reprendre son projet et à y apporter des modifications. » Cette précision s’appelle une gaffe, mais elle a le mérite d’être révélatrice : c’est donc bien le chef d’entreprise qui, en cas de désaccord et in fine, décide seul de son projet retravaillé.
Enfin, si nous ne devions retenir que deux mesures symptomatiques du caractère à la fois nocif et profondément injustifiable de ce texte, il s’agirait d’abord des accords de mobilité interne qui vont devenir le moyen de procéder à des licenciements collectifs en dehors de toute difficulté économique et dans le cadre de procédures individuelles, sans même avoir à recourir au plan de sauvegarde de l’emploi.
En refusant obstinément de rattacher le motif économique de ces licenciements à la définition qui figure actuellement dans le code du travail, vous créez un motif spécifique qui ne pourra être, et vous le savez bien, que le seul refus du salarié d’accepter une mobilité, c’est-à-dire un motif personnel que vous prétendez avoir fait sortir par la porte et que vous faites finalement revenir par la fenêtre.
C’est cela, la différence avec la situation actuelle où, en pareil cas, l’employeur est obligé de donner la justification économique de la mobilité qu’il prétend imposer au salarié. Et si le juge considère que cette mobilité ne repose pas sur un motif économique au sens de l’article L. 1233-3 du code du travail, le licenciement résultant du refus du salarié sera jugé abusif.
Nous reposons donc solennellement la question et nous attendons une réponse précise, monsieur le ministre : quel est ce motif économique ?
Enfin, quelle justification pouvez-vous donner à la réduction à trois ou deux ans de la prescription de l’action des salariés devant les prud’hommes ? Quel est le rapport avec la sécurisation de l’emploi ? En quoi cette mesure va-t-elle faciliter les embauches ? Comment pouvez-vous ignorer qu’il est très difficile, lorsque l’on est encore dans l’entreprise, d’agir en justice contre son employeur sans s’exposer à des représailles ? Pourquoi introduire, encore et surtout sur le dos des salariés, cette dérogation au régime de droit commun d’une prescription de cinq ans ?
Cela s’appelle l’impunité garantie pour les employeurs qui ne respectent pas le code du travail.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s’estime en phase avec le monde du travail, avec nos engagements mais également, faut-il le rappeler, avec les vôtres en s’opposant avec fermeté à ce texte de régression sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Jacqueline
Fraysse

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