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Défense : pour un contrôle des armes à feu moderne, simplifié et préventif

Monsieur le ministre, l’année dernière, j’attirais votre attention sur l’ancienneté de la législation relative aux armes à feu, qui n’a pas été modifiée depuis des dizaines d’années, alors qu’un enfant de douze ans avait été tué à Lyon, que des fusillades avaient eu lieu dans un lycée de Sucy-en-Brie et à Orly, qu’un homme était mort par balles à Lille. Ma hantise, c’est que l’on en arrive à la société américaine, qui pratique le commerce des armes à tout va et où l’on ne compte plus les tragédies et les violences par arme à feu. En France, nous n’en sommes pas là, mais il est avéré que des armes dites de défense ont conduit à des dommages entraînant la mort. De même, se pose la question de l’usage et du trafic des armes à feu dans l’hexagone.
Vous aviez qualifié la législation actuelle « d’inefficace car trop tatillonne pour les honnêtes gens et impuissante face aux trafiquants ». Cet avis est très largement partagé. Des mesures ont été prises dans le sens d’une sécurisation renforcée : le décret du 8 juillet 2010 modifiant le régime des matériels de guerre, armes et munitions a institué un régime d’autorisation administrative d’ouverture pour les armuriers ; un amendement visant à soumettre les armuriers à un agrément individuel a été voté dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
Il reste à adopter cette proposition de loi, qui fait suite au rapport de la mission d’information sur les violences par armes à feu et l’état de la législation. Les conclusions de ce rapport ont été unanimement saluées à la commission des lois. Le constat, partagé par tous, est que les textes sont trop complexes et que l’encadrement juridique est insuffisamment dissuasif et proportionné. D’où le dépôt du texte que nous examinons ce soir.
Il s’agit de simplifier le cadre juridique existant, de sorte qu’il soit intelligible pour le plus grand nombre et qu’il soit plus facile pour nos concitoyens de connaître leurs obligations. Il faut faciliter l’usage des armes par les utilisateurs légitimes, tels les chasseurs, les tireurs sportifs ou les collectionneurs, tout en luttant contre les trafics d’armes. Les enjeux sont techniques, mais, incontestablement, un important travail parlementaire a été fourni. Ajoutons que le texte a été enrichi en commission, tirant profit d’avis rendus par le Conseil d’État.
Comme l’indique le rapporteur, cette proposition de loi se fixe quatre ambitions.
Premièrement, il s’agit d’établir une classification plus lisible et conforme à la réelle dangerosité des armes. À cette fin, l’article 1er réduit à quatre le nombre des catégories d’armes en s’inspirant notamment du modèle que peut offrir la directive européenne du 18 juin 1991. Il consacre le principe de classement des armes en fonction de leur dangerosité et propose des critères d’appréciation de cette notion. L’article 2 fixe au 1er janvier 1900 la date de conception et de fabrication au-delà de laquelle une arme ne peut entrer dans la qualification d’arme historique et de collection – il en va de même pour les reproductions. De même est créé un statut du collectionneur, autorisant les personnes ayant obtenu un agrément auprès du préfet à acquérir et à détenir des armes de catégorie C. L’article 3 prévoit des obligations graduelles, propres à chacune des catégories et proportionnées à la dangerosité de l’arme : outre la nécessité d’être majeur, l’acquisition et la détention des armes de catégories B et C supposent l’absence de casier judiciaire pour des crimes, délits ou contraventions témoignant de comportements violents ou incompatibles avec l’acquisition et la détention d’une arme, ainsi que la production d’un certificat médical attestant d’un état de santé physique et psychique compatible avec l’acquisition ou la détention d’une arme. Enfin, l’article 3 institue au sein de la catégorie D une sous-catégorie d’armes pour lesquelles, par exception, un décret en Conseil d’État pourra prévoir des obligations particulières telles que la présentation d’un permis de chasser, d’une licence de tir sportif ou d’une carte de collectionneur.
La deuxième ambition du texte est d’assurer la traçabilité des armes. En commission, la création d’une carte grise de l’arme à feu a été supprimée suite à certaines réticences. Espérons donc que le Gouvernement tiendra parole et renforcera l’efficacité des fichiers recensant les armes à feu et leurs détenteurs et, en particulier, l’application AGRIPPA.
La troisième ambition est la mise en place d’une action préventive à l’égard des détenteurs d’armes représentant un danger pour eux-mêmes ou pour la société. À cette fin, l’article 9 étend le champ de la saisie administrative pouvant être ordonnée par le préfet « pour des raisons d’ordre public ou de sécurité des personnes » à l’ensemble des armes, et non plus aux seules armes soumises à autorisation ou à déclaration.
De même, la mission d’information avait formulé des propositions tendant à conférer une réelle portée aux peines complémentaires relatives aux armes. Ces propositions sont reprises dans les articles 10 à 24 du texte. Ils rendent obligatoire, en cas d’infractions prévues par le code pénal et sous réserve de décision contraire de la juridiction, le prononcé des peines complémentaires relatives aux armes. Dans certains cas, ils en allongent la durée.
Sur le sujet, en tant qu’amateur de tir, en règle et conscient, je dois vous avouer que le caractère automatique de ce prononcé de peines complémentaires apparaît comme un durcissement qui pose question. Ce n’est pas le cas des contraventions de cinquième classe qui me choque le plus, mais imaginons que, sur un coup de sang, une gifle soit donnée. Qui n’a pas eu envie de me donner une gifle, parfois ? À qui n’ai-je pas eu envie d’en donner une, parfois, dans cet hémicycle ?
Un tel acte est considéré comme une violence légère, passible d’une contravention de quatrième classe. Faudrait-il pour autant interdire automatiquement à son auteur de détenir ou de porter, pour une durée de trois ans au plus, une arme soumise à autorisation ? Faut-il automatiquement décider la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ou encore le retrait de son permis de chasser, avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus ?
Je m’interroge, et vous aussi, je pense.
Bien entendu, le prononcé de la peine restera entre les mains du juge, lequel pourra toujours, par décision spécialement motivée, décider soit de ne pas prononcer la ou les peines complémentaires relatives aux armes prévues par le texte d’incrimination, soit d’en moduler la durée.
Toutefois, s’agissant de l’application automatique des peines complémentaires, on pourrait, il me semble, s’en tenir aux contraventions de cinquième classe, qui font suite à des violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou à la mise à mort volontaire et cruelle d’un animal domestique.
C’est ce qu’ont imaginé certains collègues en commission des lois. Proposant de soustraire à l’application automatique des peines complémentaires les contraventions de quatrième classe, ils notaient que, comme c’est le cas actuellement, le prononcé d’une peine complémentaire concernant l’accès aux armes resterait toujours possible pour le juge, en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité du contrevenant. Leur amendement a été rejeté en commission. Je défendrai également cette position par amendement.
Le quatrième et dernier axe de la proposition de loi consiste à réprimer plus sévèrement et efficacement les trafics d’armes. Les articles 26 à 34 traduisent cet objectif. Cet arsenal législatif n’est pas inintéressant pour lutter contre les trafics d’armes, mais il est clair qu’il ne fera pas de miracle non plus.
Un dernier mot. Je suis en désaccord complet avec l’assertion finale de l’exposé des motifs…
Je ne peux pas être d’accord sur tout, monsieur le ministre !
Selon cette assertion, « l’acquisition et la détention d’une arme à feu ne constituent pas un droit mais un privilège qui emporte certaines responsabilités ».
Non seulement c’est bien le droit des armes qui fonde les devoirs du citoyen libre, mais il semblerait que certains aient oublié que les privilèges ont été abolis par la Révolution française et par le pouvoir constituant.
Néanmoins, dans la mesure où le dispositif, à travers l’établissement d’un contrôle des armes à feu simplifié, actualisé et préventif renforce le droit de détenir une arme, nous le voterons.
 

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
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