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Indemnisation des victimes d’accidents du travail et des maladies professionnelles

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’amélioration de l’indemnisation des victimes du travail est une question qui se pose légitimement, et depuis de très longues années.
Nul ne nie l’acquis social important qu’a constitué le compromis de 1898, sur lequel s’est construit notre régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. En échange de la reconnaissance d’une présomption d’imputabilité libérant le salarié d’avoir à faire la preuve de la responsabilité de l’employeur, fut retenu le principe d’une réparation forfaitaire différente du droit commun.
Pour autant, nombreux sont ceux qui se demandent si ce compromis n’est pas dépassé, si ces conditions singulières et spécifiques, lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, ne conduisent pas à traiter différemment – sous-entendu moins bien – les victimes du travail. En effet, ce régime reste à mi-chemin entre la réparation de droit commun et la réparation forfaitaire.
En 2001, le rapport du professeur Masse a conclu au « décalage complet » du « caractère forfaitaire de la réparation […] avec les évolutions sociales et juridiques à l’œuvre depuis la loi de 1898, et qui se sont accélérées ces dernières années. »
M. Xavier Bertrand, ministre. Très bien ! Je n’aurai même pas besoin de répondre à M. Mallot ! (Sourires.)
M. Roland Muzeau. En 2002, celui de M. Yahiel reconnaissait « l’obsolescence » de la législation des accidents du travail et des maladies professionnelles et, dans ces conditions, considérait comme « inéluctable » le passage à la réparation intégrale « avec un périmètre large, au sens du droit commun ».
En 2004, le rapport Laroque, remis à François Fillon, alors ministre des affaires sociales, a proposé les éléments de méthode pour cette évolution et développé les trois scénarios de réforme que sont la modernisation du système actuel, sa mutation par la mise en œuvre de la réparation de droit commun ou la réparation intégrale d’assurance sociale.
Plus récemment encore, le Médiateur de la République a demandé de reconsidérer le système de réparation forfaitaire des AT-MP afin de mettre un terme aux inégalités entre, d’une part, les différentes victimes du travail – celles de l’amiante, par exemple, vis-à-vis des autres - et, d’autre part, entre les victimes du travail et celles d’un dommage environnemental ou d’un accident de la circulation.
N’est-il pas injuste, en effet, qu’une victime soit indemnisée différemment pour des préjudices identiques selon qu’elle se trouve aux abords d’une usine ou à l’intérieur de celle-ci, sous la direction de son employeur ? N’est-ce pas choquant qu’une victime ne puisse demander à son employeur réparation de l’ensemble des préjudices subis, alors même qu’il a commis une faute inexcusable ? En dehors de toute faute inexcusable, ne doit-on pas parfaire l’indemnisation des victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles afin d’arrêter de les pénaliser financièrement durant leur arrêt de travail ?
Ces exigences de débat et de progrès en matière d’indemnisation des victimes du travail ont pris un relief tout particulier quand, en 2009, vous avez accepté sans broncher du gouvernement Fillon la décision scandaleuse fiscalisant les indemnités journalières. À ce moment, d’ailleurs, l’engagement avait été pris d’améliorer l’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Encore une promesse non tenue de ce quinquennat !
Difficile aussi d’ignorer la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 qui, certes, reconnaît conforme à la Constitution le régime de sécurité sociale existant en matière d’AT-MP, mais tranche en faveur de la réparation intégrale des préjudices subis par la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ou ses ayants droit dès lors que la faute inexcusable de l’employeur est reconnue. Il est vrai que la réserve émise alors ne porte pas sur le caractère forfaitaire des indemnités. Toutefois, en privant de son caractère limitatif ou exclusif l’énumération de la liste des préjudices indemnisables dont la victime peut demander réparation à l’employeur devant les juridictions de la sécurité sociale, le Conseil nous invite à modifier la législation pour garantir l’indemnisation de l’ensemble des préjudices de droit commun en cas de faute inexcusable. Si volontaire quand il s’agit d’assurer la défense des droits des victimes, la majorité de droite semble ignorer le sort de celles du travail, en l’occurrence l’atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs actée par le Conseil constitutionnel.
L’amélioration de leur sort semblait faire consensus sur l’ensemble de nos bancs. Mais, comme dans bien d’autres domaines, la majorité peine à passer de la parole aux actes. Le sujet est intéressant, nous dit-on du bout des lèvres, mais le texte n’en poserait pas moins un certain nombre de problèmes, à commencer par celui du respect des partenaires sociaux.
Beau prétexte venant de ceux-là mêmes qui, chaque fois qu’ils souhaitent modifier le code du travail, utilisent justement les propositions de loi pour contourner les partenaires sociaux ! Ont-ils été consultés sur la dernière simplification du droit ? Bien sûr que non ! Les conseils des différentes branches de la sécurité sociale donneront-ils leur avis sur les amendements du Gouvernement introduits dans le PLFSS pour 2012 en nouvelle lecture, en lieu et place d’une loi de financement rectificative ? Non, une fois encore.
Il y aurait aussi, selon vous, un problème de coût. La situation financière de notre pays nous imposerait aujourd’hui de hiérarchiser les urgences, dites-vous.
M. Xavier Bertrand, ministre. Oui !
M. Roland Muzeau. Y avait-il donc urgence à alléger l’impôt sur la fortune de 1,8 milliard en juillet dernier ?
M. Alain Vidalies, rapporteur. Voilà !
M. Roland Muzeau. La seule vraie inquiétude pourrait concerner le transfert à l’assurantiel de cette indemnisation relevant de la sécurité sociale. Or, sur ce point, le rapporteur du texte a levé les réticences que nous pouvions avoir à la lecture de l’article 1er rendant l’assurance obligatoire pour les employeurs afin de garantir la sécurité sociale contre les défaillances éventuelles des employeurs.
Disparue, la cinquantaine de députés de droite signataires d’une PPL quasi identique à celle que nous examinons aujourd’hui et qui revendiquaient haut et fort, il y a peu encore, leur souhait de voir dépasser cette législation ! La représentation nationale ne peut ignorer cette décision alors que, l’année dernière, elle avait adopté le principe d’une fiscalisation des indemnités journalières au motif d’une plus grande justice fiscale. « C’est bien une contrepartie morale à donner à “la France qui se lève tôt” ». « À défaut, le Parlement manquerait à ses devoirs », peut-on lire dans l’exposé des motifs de la proposition de nos collègues UMP.
Je regrette que chacun ne soit pas allé au bout de ses engagements et qu’aujourd’hui, faute d’un vote unanime en commission, le Gouvernement ne se sente pas davantage investi de l’obligation d’agir. Une pétition nationale lancée par la FNATH, forte déjà de 20 000 signataires, témoigne, si besoin en était encore, de l’espoir et de l’intérêt que suscitent nos initiatives pour des centaines de milliers de personnes – en 2010, 817 000 personnes souffrent des conséquences d’AT-MP, dont 75 256 avec une incapacité permanente.
Pour notre part, nous faisons preuve de constance. En début de législature, la PPL que j’ai déposée sous le numéro 342 afin d’améliorer la santé au travail des salariés et de prévenir les risques professionnels traite, dans son titre VIII, de l’indemnisation intégrale des victimes du travail.
Nous avons défendu en vain, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, le principe de l’indemnisation intégrale en cas de faute inexcusable. Nous avons aussi préconisé un autre mode de calcul des indemnités journalières afin de garantir le maintien de la totalité du salaire pendant les arrêts de travail consécutifs à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. Nous avons également demandé la suppression du taux d’incapacité requis – 25 % – pour voir reconnaître une maladie professionnelle par la voie complémentaire, ce qui permettrait de se rapprocher de l’indemnisation des maladies psychiques d’origine professionnelle. Aujourd’hui, nous soutiendrons donc pleinement et sans ambiguïté la démarche positive de nos collègues du groupe SRC. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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Roland
Muzeau

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