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Limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.
M. Jean-Jacques Candelier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi organique a pour objectif d’étendre l’accélération de la funeste réforme des retraites aux magistrats de l’ordre judiciaire.
M. Philippe Gosselin. La réforme des retraites n’a rien de funeste !
M. Jean-Jacques Candelier. Cette nouvelle entaille dans le droit à la retraite devait-elle être immédiatement appliquée aux magistrats, qui ne sont que 8 500 en France ?
M. Philippe Gosselin. Et alors ? Il n’y a pas de raison pour qu’ils fassent exception !
M. Jean-Jacques Candelier. L’examen de ce texte nous donne l’occasion de redire notre opposition la plus totale à l’accélération du recul de l’âge de départ à la retraite, que ce gouvernement a fait passer par des amendements au PLFSS.
Alors même que la réforme des retraites de 2010 a fait de la France le pays le plus sévère d’Europe en la matière…
M. Guy Geoffroy. Allons !
M. Jean-Jacques Candelier. Si vous n’êtes pas d’accord avec ce que j’affirme, je vous invite à me donner des exemples montrant que j’ai tort !
Alors même, disais-je, que la France est devenue le pays le plus sévère d’Europe en matière de retraites, vous trouvez le moyen d’enfoncer encore un peu plus la tête des salariés sous l’eau !
Parce qu’elle couple le recul des bornes d’âge avec l’allongement de la durée de cotisation, cette réforme a assené un double coup sur la tête des Français. Elle conduira, à terme, à un appauvrissement général de la population, excepté pour la minorité la plus riche et pour les gestionnaires des mutuelles privées, comme M. Guillaume Sarkozy. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Philippe Gosselin. Ah ! Ça faisait longtemps !
M. Jean-Jacques Candelier. C’est d’autant plus absurde que ceux-là mêmes qui devaient partir à la retraite sont les plus touchés par le chômage : en un an, le nombre de chômeurs de plus de 50 ans a augmenté de 14 %.
M. Marc Dolez. Eh oui !
M. Jean-Jacques Candelier. Nous refusons de retarder l’âge de la retraite de manière générale au motif d’avancer celui de ceux qui ont un travail pénible. Nous refusons aussi l’idée de l’UMP consistant à prendre à ceux qui ont un peu pour épargner ceux qui ont beaucoup. Votre politique d’austérité conduit au tassement des retraites, à l’explosion de la précarité mais aussi à l’érosion de la croissance et de l’emploi ! Nos retraites sont sacrifiées pour une seule raison : l’obéissance aux marchés. Nous ne l’acceptons pas !
Au train où vont les choses, on peut maintenant craindre le pire. Quand aura lieu le prochain assaut contre les droits des salariés ? À quand le prochain plan de rigueur qui ne règle rien ? Quant au projet de loi que nous nous apprêtons à examiner, quelle sera sa durée de vie avant d’être rendu caduc par un nouveau recul des droits ?
Les magistrats de l’ordre judiciaire vont devoir travailler entre un mois et quatre mois de plus. Certes, ils ne font pas partie des catégories les plus fragilisées par votre politique, et sont épargnés par les difficultés que rencontrent la majorité des salariés du privé ayant atteint l’âge de 50 ans et étant sans emploi.
Si le statut des magistrats oblige le législateur à s’occuper de leur cas dans une loi à part,…
M. Philippe Gosselin. C’est juridiquement nécessaire !
M. Jean-Jacques Candelier. …nous considérons que la question des retraites forme un tout.
Le recul de l’âge de départ à la retraite des magistrats entraînera mécaniquement un allongement du temps passé dans chaque échelon et retardera donc l’accès aux échelons les plus élevés. Cette dilatation des échelons conduira inévitablement à une baisse du pouvoir d’achat tout au long de la carrière.
Il convient d’ailleurs de souligner que, selon l’Union syndicale des magistrats, et compte tenu du taux de remplacement particulièrement faible du corps judiciaire – aux alentours de 50 % seulement du dernier traitement –, l’économie opérée par le présent dispositif est « probablement nulle ». Le syndicat majoritaire, pourtant assez éloigné des positions exprimées par notre groupe – ce syndicat n’est pas vraiment connu pour ses sympathies communistes – n’hésite pas à aller plus loin, affirmant qu’« il est même possible que cette réforme soit en réalité plus onéreuse pour le budget global de l’État, ce qui est pour le moins paradoxal ».
Un autre sujet de mécontentement pour les magistrats et pour nous est l’urgence irrationnelle dans laquelle nous légiférons. Je tiens à signaler que le rapport n’était pas même pas lisible vendredi 9 décembre, à l’heure finale du dépôt des amendements sur ce projet de loi organique. Comment écrire la loi dans de bonnes conditions avec un tel calendrier, sans même que les documents de base soient accessibles ? C’est d’ailleurs symptomatique de l’incroyable précipitation ayant marqué l’élaboration de ce texte.
FO-Magistrats se demande ainsi « pourquoi recourir à la procédure d’urgence pour un texte dont certaines dispositions sont élaborées depuis plusieurs mois (…) si ce n’est pour limiter le temps consacré aux débats parlementaires ». L’USM enfonce le clou en s’étonnant « de l’ajout au dernier moment, et avec l’utilisation de la procédure accélérée, d’une partie des dispositions figurant dans le projet de loi organique de juillet dernier, dans un projet de loi organique à l’objet très différent ».
Les syndicats n’ont même pas été consultés sur le report de l’âge limite des magistrats, et encore moins sur les autres dispositions ajoutées en commission. Ainsi, vous profitez du présent texte pour faire passer pas moins de quatre réformes : une réforme du statut des magistrats placés ; une réforme de la règle dite des 25 %, qui prévoit une priorité d’affectation à la Cour de cassation des anciens conseillers et avocats généraux référendaires à ladite Cour ; une réforme de la mobilité externe pour le passage hors hiérarchie ; enfin, une réforme du comité médical national. Il s’agit pour vous de faire passer ces dispositions à la va-vite, sans véritable débat, sans étude d’impact et en catimini.
À l’évidence, les articles 2 à 6 sont des cavaliers législatifs purs et simples – des cavaliers de l’ombre ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il sera intéressant de voir ce qu’en pense le Conseil constitutionnel, qui semble se pencher avec beaucoup d’attention sur ce genre d’articles sans rapport, même indirect, avec le sujet du projet de loi qui les « héberge ».
Au sujet de l’interdiction des décorations pour les magistrats au cours de leur carrière, votée en commission,…
M. Guy Geoffroy. C’était un amendement de la gauche !
M. Jean-Jacques Candelier. …tenons compte de la revendication du Syndicat de la magistrature. Celui-ci souhaite en effet que le législateur aille plus loin et proscrive « l’attribution de plusieurs autres hochets aux magistrats, au premier rang desquels les médailles de l’administration pénitentiaire ou de la protection judiciaire de la jeunesse, surtout lorsqu’elles viennent “récompenser” ceux d’entre eux qui ont notamment pour mission de contrôler ces administrations ».
Quand on connaît la facilité avec laquelle l’exécutif offre la Légion d’honneur à ceux qui peuvent lui rendre des services – je peux vous donner des noms, si vous voulez, par exemple dans l’affaire Bettencourt (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) –, la disposition paraît salutaire.
M. Guy Geoffroy et M. Philippe Gosselin. Et Guérini ?
M. Jean-Jacques Candelier. Elle conforterait l’indépendance des magistrats. Pour moi, ce ne serait pas vexatoire ; ce serait encore moins une insulte. Mais ce point semble presque secondaire, face aux tensions qui règnent aujourd’hui dans le monde judiciaire. La Conférence nationale des procureurs de la République a rendu publique une résolution signée par 126 des 163 procureurs, ce qui représente quand même, monsieur le ministre, une proportion importante.
M. Marc Dolez. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Candelier. Le texte, un appel de détresse sans précédent, clame « l’urgence de leur donner les conditions d’exercer dignement leurs nombreuses missions » et demande « la restauration de l’image de leur fonction, gravement altérée auprès de nos concitoyens par le soupçon de leur dépendance à l’égard du pouvoir exécutif ». Là aussi, je peux vous donner un nom ! Ils appellent à renforcer le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature sur les nominations. Aujourd’hui, celui-ci n’a qu’un avis consultatif sur les choix du garde des sceaux.
M. Philippe Gosselin. Cela fait un an que le garde des sceaux fait des auditions !
M. Jean-Jacques Candelier. Mais la question la plus urgente est celle des moyens de la justice, notamment ceux dont disposent les procureurs. La situation des juridictions, des établissements pénitentiaires et des services de la protection judiciaire de la jeunesse n’a jamais été aussi difficile. Il faut impérativement augmenter les effectifs…
M. Philippe Gosselin. Avec vous, il faut toujours augmenter les effectifs !
M. Jean-Jacques Candelier. …et allouer les moyens techniques et financiers nécessaires à l’accomplissement des missions de notre justice.
Cette ambition, qui fait si cruellement défaut à droite, est portée par notre groupe. Loin des plans de rigueur et de l’appauvrissement organisé du service public de la justice, nous défendons une justice capable d’exercer enfin ses missions et clairement indépendante de l’exécutif.
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, c’est donc avec conviction que les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche voteront contre ce texte.
M. Marc Dolez. Très bien !

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
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