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Motion de rejet préalable sur le Pt sécurisation de l’emploi

Mme la présidente. J’ai reçu de M. André Chassaigne et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder le contenu de notre motion, je voudrais rappeler à M. le ministre puisqu’il a comparé ce texte avec les lois Auroux que, moi aussi, j’y étais.
J’en étais même la rapporteure et notre groupe a voté ces lois sans hésiter. Aussi, je trouve la comparaison, permettez-moi de le dire, assez osée…
M. Hervé Morin. Elle a raison !
Mme Jacqueline Fraysse. … avec un texte qui n’a pas grand-chose à voir avec celui de l’époque en termes de protection des salariés.
M. André Chassaigne. Très bien.
M. Marc Dolez. Excellent !
Mme Jacqueline Fraysse. Nous voici, avec ce bien mal nommé projet de loi de sécurisation de l’emploi, attelés à une tâche bien singulière : Légiférer sur la question centrale des préoccupations de nos concitoyens en nous transformant en chambre d’enregistrement, quitte à ignorer certains principes constitutionnels, les engagements internationaux auxquels la France a souscrits et, peut-être plus grave encore, nos engagements auprès de celles et ceux qui nous ont, voici moins d’un an, élus au sein de cette assemblée.
M. Dominique Dord. C’est surtout cela !
Mme Jacqueline Fraysse. Quelle occasion manquée alors qu’après dix-sept ans de déferlante libérale et de casse sociale, la majorité de gauche élue était attendue sur des mesures concrètes et efficaces pour mettre un terme à la toute puissance patronale qui fait chaque jour la preuve de son incompétence et de sa suffisance. Que d’envolées lyriques pendant la dernière campagne sur la lutte contre les licenciements boursiers ! Tout ça pour ça !
Mon collègue André Chassaigne reviendra, dans son intervention générale, sur notre critique des aspects les plus contestables de ce texte, …
M. Bernard Accoyer. On peut lui faire confiance !
Mme Jacqueline Fraysse. …mais je veux, quant à moi, tenter de convaincre mes collègues députés de la majorité du caractère irrecevable, au sens plein du terme, d’un projet qu’on leur demande de voter les yeux fermés. Car c’est bien là le premier vice affectant ce texte et, surtout, la manière par laquelle il nous est imposé.
Qui n’a été choqué de voir, alors que l’encre des paraphes n’était pas encore sèche sur l’accord du 11 janvier 2013, le Président de la République, par voie de communiqué, demander au Gouvernement de préparer, sans délais, un projet de loi afin de transcrire fidèlement les dispositions d’ordre législatif prévues dans l’accord ?
Passe encore que les signataires de l’accord aient fait connaître leur volonté de voir leur ouvrage respecté. Mais que dire de l’insistance avec laquelle, par la voix du Premier ministre ou du ministre du travail, nous sommes sommés de nous en tenir au texte de l’accord si controversé du 11 janvier 2013, oubliant au passage que le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement ne tiennent pas leur légitimité de quelque accord collectif, fût-il national et interprofessionnel, mais du suffrage universel et du mandat qui nous a été donné voici moins d’un an.
Cette injonction a produit ses effets jusques et y compris dans le travail de notre commission des affaires sociales. Malgré son talent et son sens du dialogue et de l’explication, notre rapporteur s’est en effet trouvé confronté à de multiples reprises à des arguments portés par des membres, non seulement de mon groupe, mais aussi du sien. Il s’est ainsi vu contraint de reconnaître que nous avions raison mais qu’il était obligé, avec un « immense regret », d’émettre un avis défavorable afin de ne pas s’écarter de l’accord.
M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’est une interprétation audacieuse de mes propos !
Mme Jacqueline Fraysse. C’est une question terrible qui se trouve alors posée, et dont l’antiparlementarisme triomphant ne manquera pas de se repaître : à quoi servons-nous ?
On nous fait grief de n’avoir pas une attitude constructive. Mais que s’est-il passé lors de l’examen en commission lorsque nous avons tenté d’améliorer le texte, ou du moins d’en réduire la nocivité ?
Proposions-nous d’augmenter la part des représentants des salariés dans les conseils d’administration : bonne idée, nous répondait-on, mais on ne peut vous suivre parce qu’on s’est engagé vis-à-vis des partenaires sociaux signataires de l’accord.
Proposions-nous de suspendre le versement des dividendes, dans le cadre d’un accord de maintien de l’emploi : vous avez raison, nous disait-on, mais les signataires de l’accord ne l’ont pas voulu ainsi.
Et je pourrais ainsi multiplier les exemples.
Je veux ici rappeler que le Parlement est, selon l’article 34 de la Constitution, seul compétent pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.
Une décision récente du Conseil constitutionnel, du 28 décembre 2011, est venue rappeler que le Parlement ne peut s’en remettre à une autre instance sans méconnaître les règles de compétences érigées par la Constitution et sans se rendre coupable d’incompétence négative. Selon le Conseil, « il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ».
Ainsi veut-on nous imposer un nouveau mode d’élaboration de la loi.
Ce n’est pas une ratification d’ordonnance, pas plus qu’une transcription de directive communautaire. C’est une ratification d’un accord collectif signé par des partenaires sociaux auxquels le Gouvernement, sans éprouver le besoin de solliciter notre accord préalable, a décidé de confier le pouvoir de créer la loi.
Pour être nouvelle, cette méthode n’en est pas moins hautement critiquable.
Par une autre décision, du 9 décembre 2004, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’« il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d’application des normes qu’il édicte en matière de droit du travail ».
Ce qui nous est proposé aujourd’hui procède de la méthode rigoureusement inverse.
Et nous voici cantonnés à une simple subsidiarité, tout juste autorisés à préciser à la marge ce que les négociateurs de l’accord auront daigné nous laisser compléter.
Choquante dans son principe lorsqu’il s’agit de définir des droits sociaux de protection des salariés dans leur rapport déséquilibré avec leurs employeurs – que vous reconnaissez, d’ailleurs, monsieur le ministre –, cette méthode devient carrément inacceptable lorsqu’il s’agit de déterminer les limites et les modalités de l’action de l’État et des autorités judiciaires et administratives.
C’est au Parlement et à lui seul, à l’exclusion de toute autre autorité, qu’il appartient de statuer sur ces questions dites régaliennes.
Or, nous voici sommés de transcrire dans la loi la mise à l’écart du juge judiciaire des procédures de licenciements collectifs, sommés aussi de réduire la durée de la prescription de l’action des salariés. Pourquoi ? Parce que l’accord l’a décidé !
Contraire à l’article 34 de la Constitution, ce projet l’est aussi au regard du droit constitutionnel à l’emploi, droit à l’emploi qui devient, à l’aune des accords de maintien de l’emploi, une monnaie d’échange pour imposer des baisses de salaire.
Un droit constitutionnel peut-il être l’objet d’un tel échange ?
On nous dit que de tels accords existent déjà – nous le savons parfaitement – et qu’il nous appartiendrait de les « encadrer ». Eh bien non ! Notre rôle n’est pas d’encadrer ce qui est aujourd’hui attentatoire à la loi mais de le combattre !
Sur ce point précis, d’ailleurs, nous pouvons prédire un avenir mouvementé à ces accords nouvelle formule qui prévoient que le contrat de travail est suspendu pendant le temps de leur application, permettant ainsi de réduire le salaire jusqu’au seuil de 120 % du SMIC.
Faut-il rappeler ici ce que nous disait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 mars 2012 relative à la loi Warsmann : « Dès lors qu’il ne s’agit pas des éléments essentiels de ce dernier (caractère à durée déterminée ou indéterminée, salaire…), et que la loi encadre cette atteinte (durée maximale d’un an), cette loi peut organiser ce rapport entre la convention collective et le contrat individuel de travail. Fondé sur un motif d’intérêt général suffisant et organisé avec des modalités adaptées, l’article 45 de la loi déférée n’a pas été jugé contraire à la Constitution. ».
Le message est parfaitement clair. Le Conseil accepte que la convention collective puisse venir se substituer au contrat de travail mais à deux conditions : que cette substitution soit fondée sur un motif d’intérêt général ; qu’elle ne porte pas atteinte à un élément essentiel du contrat, à commencer par le salaire.
Votre texte, monsieur le ministre, ignore cette mise en garde. Mais, peu importe, puisque l’accord en a décidé ainsi !
Que dire encore de l’hallucinante procédure prévue par l’article 13 du projet de loi s’agissant de l’intervention du juge administratif en matière de validation ou d’homologation d’un plan de licenciement unilatéralement négocié.
Mme Parisot avait été très claire : il ne s’agissait pas de sécuriser l’emploi mais de sécuriser les licenciements. Il fallait donc mettre fin à l’insupportable aléa judiciaire et à l’excessive durée des procédures.
Forts de cette feuille de route, vous nous avez concocté deux énormités juridiques.
Tout d’abord, la décision implicite d’acceptation. Au mépris d’un séculaire principe général du droit selon lequel le silence gardé par l’administration constitue un refus, huit jours de silence de l’administration permettront de valider un accord, le plus souvent obtenu sous la menace d’un chantage à la fermeture et de dizaines de licenciements !
Mais il y a encore plus fort : le système qui veut que, lorsque le tribunal administratif n’a pas statué dans les trois mois, il soit dessaisi au profit de la cour administrative d’appel, et ainsi de suite jusqu’au Conseil d’État, qui pourrait donc se retrouver la seule juridiction ayant statué.
Ce faisant, vous ne craignez pas de porter atteinte au principe du double degré de juridiction dont le Conseil constitutionnel a fait un principe constitutionnel par sa décision n° 80-127 des 19 et 20 janvier 1981 en décidant que, dans les contentieux où existe la règle du double degré de juridiction, le législateur ne peut y déroger.
Qui prétendra que le double degré de juridiction n’existe pas dans le contentieux dont nous parlons ?
La volonté qui vous anime de vous aligner coûte que coûte sur le contenu de l’accord du 11 janvier 2013 vous a conduits à d’autres inepties juridiques.
Ainsi en est-il, s’agissant des accords de maintien de l’emploi, de cet article qui réserve aux seuls syndicats signataires de l’accord le droit de saisir le juge en cas de non-respect par l’employeur de ses obligations.
Ainsi en est-il encore, s’agissant du nouveau régime des licenciements économiques collectifs, de cet article qui exclut la compétence du juge judiciaire pour toute contestation relative à un plan de sauvegarde de l’emploi prévu par accord collectif, transférant ainsi le contentieux d’une convention de droit privé – conclue entre personnes morales de droit privé – au juge administratif, au mépris des principes constitutionnels régissant la séparation des pouvoirs et les compétences respectives des juges judiciaires et administratifs.
Contraire à la Constitution, votre projet est aussi contraire aux engagements internationaux pris par la France, en particulier vis-à-vis des conventions de l’Organisation internationale du travail, l’OIT.
La seule et unique vraie liberté que vous avez cru pouvoir prendre avec le texte de l’accord du 11 janvier 2013 est de prévoir que le salarié qui refuse de voir soumettre son contrat de travail à un accord de mobilité interne ou à un accord de maintien de l’emploi sera licencié, non pas pour un motif personnel – absurdité qui montre bien à la fois les intentions et les limites de ce sacro-saint accord – mais pour un motif économique.
Le diable se nichant toujours dans les détails, vous nous avez concocté aussi bien dans l’article 10 relatif aux accords de mobilité que dans l’article 12 relatif aux accords de maintien de l’emploi une rédaction ambiguë aux termes de laquelle le licenciement des salariés concernés « repose sur un motif économique ».
Cela signifie – et pas seulement à nos yeux – que ce licenciement serait présumé reposer sur un motif économique et échapperait donc au contrôle de causalité exercé par le juge.
Lorsque je vous ai interrogé sur ce point, vous m’avez répondu, monsieur le rapporteur, que tant le Conseil d’État que les juristes que vous aviez consultés vous avaient rassuré. Vous avez ainsi déclaré en commission – je cite le compte rendu : « Dire que le licenciement “repose sur un motif économique” ne signifie pas que l’on considère qu’il existe une “cause réelle et sérieuse”, c’est au juge judiciaire qu’il appartiendra d’en décider ».
Afin de clarifier les choses, nous avons donc proposé par amendement de renvoyer au texte de l’article L. 1233-3 du code du travail qui définit le motif économique du licenciement. Et c’est alors que vous m’avez répondu, pour rejeter cet amendement : « L’amendement de Jacqueline Fraysse propose un renvoi à l’article L. 1233-3 du code du travail, qui définit le licenciement pour motif économique. Mais les situations visées ici ne sont pas celles où l’entreprise est en difficulté et envisage des restructurations, il s’agit seulement de garantir au salarié les protections applicables aux licenciements pour motif économique. Avis défavorable également. »
M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’était à propos de l’article 10.
M. Alain Bocquet. Le rapporteur ne comprend pas grand-chose au droit du travail !
Mme Jacqueline Fraysse. Alors, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me pose une question : que serait donc ce « motif économique » qui échappe à la définition légale du motif économique dans le droit du travail ? Le motif se réduirait-il, finalement, à l’existence de l’accord de maintien de l’emploi ou de l’accord de mobilité ?
Nous sommes donc – et les travaux en commission n’ont pu que renforcer nos craintes à cet égard – face à une rédaction délibérément ambiguë qui aboutit à un licenciement « pré-causé ».
Ceci est tout simplement contraire à l’article 8 de la convention de l’OIT qui prévoit qu’« un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement injustifiée aura le droit de recourir contre cette mesure devant un organisme impartial tel qu’un tribunal » et surtout à son article 9, qui prévoit que ces organismes impartiaux « devront être habilités à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié ».
M. André Chassaigne. C’est la France des Lumières !
Mme Jacqueline Fraysse. Je vous invite à méditer l’exemple du contrat nouvelle embauche, qui nous avait, lui aussi, été présenté comme parfaitement bordé juridiquement et qui a fini, pour reprendre les termes d’un dirigeant syndical de l’époque, « dans d’atroces souffrances judiciaires ».
Que dire encore de l’article 13, qui réduit les délais de prescription opposables aux actions des salariés ? Une telle restriction de l’accès au juge nous apparaît contraire à plusieurs textes internationaux, dont l’article 6, alinéa 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui affirme le droit effectif à un recours.
La Cour européenne des droits de l’homme a, dans l’arrêt Golder du 21 février 1975, érigé ce principe au nombre des « principes fondamentaux du droit universellement reconnus ». Si la Cour européenne n’exclut pas que le législateur aménage l’exercice du droit d’agir en justice, encore faut-il qu’il ne soit pas atteint dans sa substance même et que les limitations apportées poursuivent un but légitime.
Quel est, en l’occurrence, le but légitime poursuivi ? Pourquoi cette mesure, sinon pour satisfaire le souhait du MEDEF de bénéficier au plus vite de l’oubli judiciaire ?
Les conseillers prud’homaux, avocats et magistrats que nous avons pu consulter nous ont fait part de leur indignation devant cette réduction de la prescription. Tous nous ont parlé de leurs nombreuses expériences concernant des salariés les plus faibles, travaillant dans des entreprises peu syndicalisées ou dépourvues de toute représentation et qui, pour certains d’entre eux, sont rémunérés depuis des années en deçà du salaire minimum conventionnel sans même le savoir, et le découvrent à l’occasion de la contestation de leur licenciement.
Lorsque, avec d’autres collègues, je demandais le retour à une prescription de cinq ans, à l’instar de ce qui est accordé par exemple à un propriétaire pour réclamer des loyers impayés à son locataire, les deux arguments qui m’ont été opposés reflétaient la gêne à défendre l’indéfendable.
Premier argument : les négociateurs de l’accord du 11 janvier 2013 en ont décidé ainsi. On serait tenté d’ajouter : « circulez, il n’y a rien à voir ! »
Second argument, et je cite le texte du rapport de la commission : « les salariés n’ont rien à gagner dans des contentieux trop longs qui augmentent les frais d’avocats ». Comme si la durée de la prescription avait un quelconque rapport avec la durée des procédures et leur coût !
Ce sujet mérite un peu plus de sérieux. La vérité est tout simplement que pour satisfaire l’exigence d’impunité portée par le MEDEF, ce projet passe par-dessus bord les principes les plus élémentaires, comme le droit pour chaque salarié d’ester en justice et de défendre ses droits, a fortiori lorsqu’ils ont été violés pendant plusieurs années.
Au-delà des libertés prises avec les principes constitutionnels et les engagements internationaux, j’ai rappelé en introduction de mon propos qu’il y avait sans doute plus grave encore, à savoir l’oubli si rapide des engagements pris avant les élections – ce genre d’oubli dont les conséquences sont dramatiques, tant elles sont porteuses de discrédit de la parole publique, comme la récente élection législative partielle dans l’Oise l’a encore démontré à ceux qui l’auraient oublié.
Permettez-moi de m’adresser à mes collègues du groupe socialiste qui, compte tenu de leur nombre, sont ici décideurs et ont encore la possibilité de se joindre à nous pour refuser l’inacceptable. Toutes les décisions du Conseil constitutionnel que j’ai citées ont pour origine une saisine de votre groupe et du nôtre. Les principes que nous défendions alors ensemble auraient-ils disparu ?
Tout citoyen peut aller, aujourd’hui encore, consulter le site internet du parti socialiste, où est encore accessible le projet intitulé « Le changement » en vue des élections législatives de 2012.
Je ne citerai que deux exemples issus de ce texte. Il y est tout d’abord écrit qu’il faut « lutter contre les licenciements boursiers ». Quel article de ce projet de loi répond à cet objectif ? Non seulement il ne fournit aucune définition restrictive du motif de licenciement ou de l’alourdissement des sanctions en cas de licenciement abusif, mais il vise au contraire à sécuriser les procédures de licenciements et à limiter le recours au juge.
Dans ce même projet, on peut lire ceci : « La négociation collective sera renforcée à tous les niveaux et la hiérarchie des normes en matière de droit social rétablie. Nous réhabiliterons la négociation de branche, réduite par la droite à une fonction supplétive de la négociation d’entreprise. »
Qu’en est-il de cet engagement, dans un projet qui fait de l’accord d’entreprise le vecteur des remises en cause du code du travail et du contrat de travail, et n’envisage la négociation de branche que comme un moyen de déroger aux principes prévus par la loi ?
Ce projet de loi, loin de rétablir la hiérarchie des normes garante de l’ordre public social, lui porte le coup de grâce, et par là même, un coup fatal à l’image de la négociation collective dans l’esprit des salariés. La négociation de branche n’y est envisagée que comme moyen d’échapper aux quelques rares avancées, comme la durée minimale de 24 heures pour les temps partiels.
Quant à la négociation d’entreprise, par nature favorable au patronat, elle est la grande gagnante de ce projet. C’est elle qui permet aux employeurs de réduire les durées des procédures de consultation, d’associer les organisations syndicales aux licenciements, et surtout de faire sauter le seul point de résistance que la jurisprudence avait maintenu jusqu’ici : le contrat de travail.
On nous parle d’un équilibre global du texte de l’accord qu’il faudrait respecter. En réalité, le seul équilibre véritablement menacé est celui qui a présidé à la construction de notre droit du travail, par la hiérarchie des normes – de la Constitution au contrat de travail en passant par la loi et les accords collectifs, sous l’égide de l’ordre public social.
À qui faut-il apprendre ici que ce principe est celui qui permet d’affranchir le contrat de travail des règles du code civil en prévoyant des protections de nature à compenser le déséquilibre né du pouvoir de direction de l’un des cocontractants sur l’autre ? Mesurez-vous bien à quoi vous êtes en train de toucher, et les conséquences graves qui en résulteront ?
Les employeurs ont toutes les raisons de se réjouir de cette perspective puisque, après avoir poussé à l’individualisation des relations de travail pour venir à bout des garanties et protections collectives, ils obtiennent par ce projet de loi le droit de mettre à bas les garanties individuelles.
Et le plus inacceptable est que ce droit ne leur est pas donné seulement dans les entreprises en difficulté économique, et sous la condition d’un accord majoritaire, mais aussi dans celles qui ne connaissent aucune difficulté et au simple moyen d’un accord de type classique !
Et ce n’est pas tout ! Le plus fort est d’avoir obtenu, dans le même projet, que le rapport individuel s’efface quand il s’agit des droits, mais reprenne le dessus quand il s’agit des procédures, comme c’est le cas aussi bien pour les salariés ayant refusé la mobilité géographique ou professionnelle que pour ceux ayant refusé la baisse de leur rémunération dans le cadre d’un accord de maintien de l’emploi.
M. André Chassaigne. Eh oui !
Mme Jacqueline Fraysse. Quel que soit leur nombre, ils seront licenciés dans le cadre d’une procédure individuelle, évitant ainsi à l’employeur un débat avec les représentants du personnel et le contrôle de l’administration. On comprend la vigilance du MEDEF pour que son texte soit transcrit sans modification ! Cela s’appelle un carton plein !
Alors, j’en appelle à mes collègues de la majorité, et je leur pose la question : avons-nous été élus pour cela ? Pensez à ces salariés que nous recevons dans nos permanences, avec lesquels nous manifestons, que nous soutenons et qui, aujourd’hui, parviennent encore à mettre en échec des plans de licenciements inconsistants, qui peuvent encore peser avec le peu de droits que le précédent quinquennat leur a laissés. Que leur direz-vous demain ? Que leur direz-vous lorsqu’ils prendront conscience des conséquences concrètes de ce qui sera décidé ici sous le masque trompeur d’un projet prétendument équilibré ? Que vous avez protégé leurs droits et sécurisé l’emploi ? Nous savons tous que c’est faux !
Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, disait Albert Camus.
M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est vrai !
Mme Jacqueline Fraysse. Appeler ce projet de loi « sécurisation de l’emploi », c’est tromper la confiance de ceux qui nous ont élus.
M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est un mensonge, nous sommes d’accord !
Mme Jacqueline Fraysse. Pour ce qui concerne les députés du Front de gauche, ce sera sans nous et personne dans cette assemblée ne pourra dire demain : « Nous ne savions pas ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. André Chassaigne. Excellent !

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Jacqueline
Fraysse

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