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MRC : simplification du droit et allègement des démarches administratives

La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Nous examinons aujourd’hui la quatrième proposition de loi dite de simplification du droit. Pourtant, preuve a déjà été faite que les lois de simplification compliquent plus souvent qu’elles ne simplifient. Le professeur Bertrand Seiller note à cet égard que « la simplification [...] peut être paradoxalement elle-même une source de complexité [...] ».
Il n’est pas seul. Une grande partie de la doctrine pointe les limites et carences de la simplification du droit. Le professeur Pierre Delvolvé considère, pour sa part, qu’elle est une « formule si creuse et si vague qu’elle ne peut donner son unité à un dispositif qui part dans tous les sens ».
Karine Gilberg, enseignante en légistique à l’université Paris 2, souligne également que ces propositions de simplification « souffrent de différents problèmes : disparates par essence, elles ne peuvent avoir de cohérence globale ; de multiples acteurs contribuent à leur rédaction, surtout elles opèrent souvent des modifications partielles, d’où, une fois encore, des problèmes de cohérence ».
La proposition de loi que nous examinons en fait, une fois de plus, la démonstration. Nous partageons probablement tous le constat selon lequel notre droit doit faire face à un mouvement de complexification.
Dès 1991, le Conseil d’État, dans son rapport public annuel consacré à la sécurité juridique, a exprimé ses préoccupations sur la complexité du droit, caractérisée par la prolifération désordonnée des textes, l’instabilité croissante des règles et la dégradation manifeste de la norme. Allant de pair avec l’insécurité juridique et la dégradation de la qualité de la réglementation, l’inflation législative atteint aujourd’hui des proportions démesurées, inégalées, qui menacent l’état de droit.
Cette dérive a, de nouveau, été mise en lumière en 2006 par le rapport du Conseil d’État sur la sécurité et la complexité juridique. De 2000 à 2005, l’augmentation est en moyenne, par an, de soixante-dix lois, cinquante ordonnances et 1 500 décrets. Cette augmentation entraîne une instabilité de la norme telle que, en moyenne, 10 % des articles d’un code sont modifiés chaque année – et cette tendance ne s’est pas inversée ces derniers temps.
Si nous sommes convaincus que la représentation nationale doit se saisir de ce problème, nous contestons, en revanche, la façon de s’y atteler. Nous ne sommes, d’ailleurs, pas les seuls, puisque le sénateur Hervé Maurey, dans son avis émis le 5 octobre dernier au nom de la commission de l’économie du Sénat, souligne que la France est le seul pays à opter pour des lois de simplification « fourre-tout » aussi denses.
Le rapporteur de notre commission des lois entame son rapport en citant Montaigne : « […] nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Épicure [...]. [Les lois] les plus désirables, ce sont les plus rares, plus simples, et générales. »
La citation est belle et la problématique parfaitement résumée. Mais les lois dites de simplification qui nous sont soumises ne sont ni rares, ni simples, ni générales.
M. Roland Muzeau. Très bien !
M. Marc Dolez. Notre rapporteur affirme aussi que ces lois de simplification successives visent à agir « contre la propension française à la stratification et à la complexification du droit », que ces textes visent à abroger des lois obsolètes pour créer « les conditions d’une meilleure intelligibilité de la législation à travers une codification plus large et actualisée ».
Or la proposition de loi du président de la commission des lois Jean-Luc Warsmann vise un tout autre objectif. Elle simplifie parfois, elle allège aussi certaines procédures administratives mais, et c’est là l’essentiel, nombreuses sont les dispositions qui consistent en des modifications de fond.
Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, n’en faites pas mystère, puisque, lors de votre audition devant la commission des lois, vous nous avez indiqué ceci : « Alors que la RGPP tend à simplifier du haut vers le bas, il s’agit ici de simplifier du bas vers le haut ».
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Eh oui !
M. Marc Dolez. Nous ignorions que la RGPP était une mesure de simplification… Le non-remplacement du départ à la retraite d’un fonctionnaire sur deux n’est évidemment pas une mesure de simplification mais un choix politique majeur aux conséquences désastreuses. Nous le mesurons chaque jour.
En fait, ce texte vise au développement de l’activité et de la croissance qui, je cite notre rapporteur, « ne sauraient attendre le renouvellement des mandats de l’exécutif et de l’Assemblée nationale, au printemps prochain ». Il indique également : « il a été délibérément choisi d’inclure un nombre significatif de mesures pertinentes pour la dynamisation des entreprises françaises et la création d’emplois. Cette ambition ne poursuit qu’un seul objectif : accompagner dans les meilleures conditions possibles la reprise économique ». Où est-il question de simplification du droit ?
Je ne dresserai pas ici la longue liste de tous ces articles qui ne simplifient pas notre droit mais visent, en réalité, à mettre en œuvre la politique du Gouvernement.
Mes collègues Roland Muzeau et Martine Billard reviendront en détail dans leurs interventions sur les sujets touchant notamment à la vie sociale des entreprises. Ils dénonceront notamment ces articles qui entament significativement les droits des salariés.
Pour illustrer mon propos, je citerai l’article 84 qui tend à faciliter plus encore la cession du patrimoine HLM et qui contribue donc à réduire le volume du parc social.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. C’est faux ! C’est l’inverse !
M. Marc Dolez. Je citerai aussi l’article 88 qui porte sur le seuil à partir duquel les marchés publics doivent faire l’objet d’une procédure formalisée de publicité et de mise en concurrence préalable.
M. Jean-Charles Taugourdeau. Oui, c’est bien.
M. Marc Dolez. À travers l’élévation de ce seuil, ce sont les principes mêmes du droit de la commande publique qui s’en trouvent atteints. En effet, les collectivités, en particulier les plus petites d’entre elles, pourront désormais dépenser des parts importantes de leur budget de gré à gré, sans procédure de contrôle ni de traçabilité.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Oh !
M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est la société de défiance !
M. Marc Dolez. Les possibilités de conflits d’intérêts et de clientélisme risquent de s’en trouver multipliées.
Déjà en 2008, le Gouvernement avait tenté de remonter ce seuil à 20 000 euros par décret mais la mesure avait été annulée par le Conseil d’État. Celui-ci s’était rendu aux arguments des requérants, selon lesquels ce relèvement de seuil violait les grands principes de la commande publique, à savoir la liberté d’accès, l’égalité de traitement et la transparence des procédures.
M. Michel Issindou. Exactement !
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Le Conseil d’État a donné un avis favorable !
M. Marc Dolez. Une telle question ne relève d’ailleurs pas du domaine de la loi.
Ces quelques exemples attestent que cette proposition de loi n’est pas simplement un exercice de toilettage de dispositions obsolètes ou redondantes, mais bel et bien une série de mesures de fond, touchant à des domaines variés et aux répercussions significatives.
Si ces mesures peuvent, dans certains cas, se justifier, elles ne sauraient être traitées au détour d’un texte fourre-tout de plus de quatre-vingt-dix articles. Elles nécessitent en effet de la concertation, des études d’impact et un réel débat démocratique.
Ce texte n’est pas une loi de simplification, il aurait donc mérité d’être examiné comme une loi ayant pour objectif, comme vous le prétendez, la croissance et la compétitivité, bref comme une loi à visée économique.
L’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire est un principe constitutionnel explicitement reconnu, depuis 2006, par le Conseil constitutionnel. Cette exigence aurait commandé que les diverses dispositions du texte, rassemblées de manière disparate, soient examinées au fond par les commissions concernées, ce qui aurait été aussi en cohérence avec la refonte de notre règlement, qui accorde une large place au travail des commissions.
La commission des finances aurait ainsi pu se prononcer sur les dispositions ayant de lourdes incidences financières. La commission des affaires culturelles aurait pu examiner les articles ayant trait à la presse et aux médias, ainsi qu’au patrimoine, notamment les articles 75 à 79, relatifs à des sujets aussi sensibles que le statut des agences de presse ou la représentation syndicale dans les entreprises de presse.
Chacun conviendra, en outre, que les conditions d’examen de cette proposition de loi n’ont pas été vraiment satisfaisantes. Le rapport n’a été publié que le jour même de la clôture du délai de dépôt des amendements, obligeant le Gouvernement à déclarer l’urgence sur ce texte pour ne pas enfreindre le règlement de notre assemblée.
Pour toutes ces raisons, les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche, demandent à l’Assemblée d’adopter cette motion de renvoi en commission qui, vous l’aurez compris, équivaut pour eux à une motion de renvoi tout court tant ce texte leur paraît irrecevable sur la forme comme sur le fond. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)
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