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Nvelle lect. - Protection de l’identité

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis son dépôt en juillet 2010, cette proposition de loi a fait l’objet d’un long feuilleton marqué par l’obstination du Gouvernement à établir une base de données à lien fort. Notre conviction est à la hauteur de cette obstination. La carte d’identité biométrique associée à un fichier central de grande ampleur, portant sur plus de 40 millions de Français, pourrait se transformer en outil dangereux voire liberticide.
La traçabilité des individus est susceptible de générer des contrôles et surveillances à leur insu, comme l’a brillamment démontré l’ancien président de la CNIL, le sénateur du Nord Alex Türk, dans un ouvrage intitulé La vie privée en péril, des citoyens sous contrôle.
Les données biométriques ne sont pas des données à caractère personnel comme les autres. Elles présentent la particularité de permettre à tout moment l’identification de la personne concernée sur la base d’une réalité biologique qui lui est propre, permanente dans le temps, et dont elle ne peut s’affranchir. Cette spécificité implique une vigilance toute particulière quant à leur utilisation ; en respectant les deux principes fondateurs du droit à la protection des données à caractère personnel : la finalité et la proportionnalité.
Or c’est précisément à cet égard que cette proposition de loi suscite de vives inquiétudes. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui n’a pas été consultée sur cette proposition de loi, a pris l’initiative de présenter des observations le 25 octobre dernier. Si elle n’est pas hostile par principe à l’utilisation de la biométrie dans le cadre de la délivrance des titres d’identité, la CNIL estime en revanche que « la proportionnalité de la conservation sous forme centralisée de données biométriques, au regard de l’objectif légitime de lutte contre la fraude documentaire, n’est pas à ce jour démontrée ».
Cet avis est également partagé par le Comité consultatif national d’éthique et par la Commission nationale consultative des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme, par un arrêt du 4 décembre 2008, a jugé que la pratique du « fichage génétique », comportant notamment les empreintes digitales de la population, était incompatible avec la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a ainsi estimé que « le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées [...] ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».
Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure qu’il vient systématiser autour de trois propositions principales, comme le relève le professeur Frédéric Sudre. En premier lieu, la mémorisation des données relatives à la vie privée d’un individu constitue une ingérence dans le droit garanti par l’article 8, que ces données soient utilisées par la suite ou non.
En second lieu, pour déterminer si les données conservées relèvent de la « vie privée », et donc du champ protégé par l’article 8, la Cour recourt à plusieurs critères : la nature des données et le contexte dans lequel elles ont été consignées ; les modalités de leur conservation et de leur traitement ; la finalité de leur utilisation.
En troisième lieu, rappelant que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, la Cour affirme le principe, déjà énoncé à propos des informations relatives à la santé, du contrôle rigoureux de la proportionnalité de l’ingérence au but poursuivi.
Cela implique que, pour être conformes à l’article 8, la conservation et l’utilisation de données à caractère personnel sans le consentement de la personne concernée doivent s’accompagner de garanties adéquates contre les abus, lesquelles sont précisées par la Convention du Conseil de l’Europe de 1981 sur la protection des données.
Si elle était adoptée, cette proposition de loi s’exposerait donc à des recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, et le risque est grand que la France soit condamnée.
Le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France et la Ligue des droits de l’homme ont vivement dénoncé dans un communiqué commun ce fichage à terme de l’ensemble de la population française qui représente, selon eux, « une disposition démesurée et dangereuse pour les libertés publiques, unique dans les pays démocratiques, et qui laisse la porte ouverte à toutes les dérives. »
M. Pierre Lang. Si les syndicats l’ont dénoncée, alors c’est une bonne proposition de loi !
M. Marc Dolez. En dépit de toutes ces critiques et mises en garde, le Gouvernement reste hélas déterminé à rétablir le lien fort qui permet techniquement d’utiliser le fichier à d’autres fins que la protection contre l’usurpation d’identité. Il suffit de se référer à l’article 5 pour comprendre que la finalité du fichier n’est pas simplement administrative.
Même si des assouplissements ont été insérés en deuxième lecture, tendant à consolider le régime juridique d’accès au fichier central, ceux-ci ne sont guère suffisants pour garantir la protection des libertés individuelles, car le cœur du dispositif reste identique. D’ailleurs, après la deuxième lecture, la CNIL a réitéré son opposition en ces termes : « Sur la carte d’identité biométrique, nous avions considéré que la création d’une base centrale était disproportionnée au regard de l’objectif de sécurisation des titres. Si toutefois la base centrale est constituée, la meilleure garantie contre les utilisations détournées serait la garantie technique, celle du lien faible. C’est pourquoi la CNIL est inquiète : les restrictions juridiques seront toujours moins efficaces que les restrictions techniques, qui rendent impossibles l’utilisation de la base à des fins détournées. »
Pour notre part nous contestons la création de ce type de fichier central, qui constitue une menace pour les libertés publiques. C’est pour cette raison essentielle que le groupe GDR votera une nouvelle fois contre ce texte.

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)
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