Interventions

Discussions générales

Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Disons-le d’emblée, le projet de loi dont nous avons entamé l’examen est un nouveau texte de circonstance, qui va compliquer encore un peu plus le fonctionnement de la justice. Pour notre part, nous considérons qu’il est irrecevable tant sur la forme que sur le fond.
Au prétexte de rapprocher les citoyens et la justice, de renforcer le lien devant exister entre la population et l’institution judiciaire, vous nous présentez un projet de loi élaboré à la hâte et sans aucune concertation, alors même que la réforme de la carte judiciaire aboutit à fermer des tribunaux et que le manque de moyens humains et matériels de la justice est patent.
Vous faites de ce texte une urgence, alors que nombre de ses aspects sont inquiétants, voire gravissimes s’agissant des dispositions concernant la justice des mineurs. Ce texte ne réglera rien, la question centrale des moyens réels dont dispose la justice n’étant pas au cœur de ce projet.
Si l’objectif principal est réellement d’ouvrir la justice sur la société, d’ouvrir les institutions judiciaires aux citoyens, pourquoi ne pas avoir pris le temps de mener une vraie concertation ? Pourquoi recourir à la procédure parlementaire accélérée qui ne permet qu’une seule lecture devant chaque assemblée ? Bref, pourquoi ne pas se donner les moyens d’une vraie réforme ?
Ce sont, en réalité, des considérations électoralistes à peine voilées qui, à moins d’un an de l’élection présidentielle, expliquent un projet de loi imprégné tant de cette défiance maintenant constante de l’exécutif à l’égard des magistrats que de la volonté de lutter contre le laxisme supposé des juges.
L’exposé des motifs ne laisse d’ailleurs guère de doute à cet égard, puisqu’il affirme que la participation des citoyens « assure que les décisions juridictionnelles ne sont pas déconnectées des évolutions de la société ». Il fait ainsi référence aux propos du Président de la République, souhaitant que le peuple puisse « donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter. »
Dans le cadre de notre discussion générale, et au nom des députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche, je souhaite plus particulièrement mettre l’accent sur quelques remarques sur chacun des trois volets du texte : participation de citoyens assesseurs en correctionnelle et à l’application des peines, nouvelle réforme des dispositions relatives au jugement des crimes, réforme de la justice des mineurs. Autant de modifications qui ne résoudront aucun des problèmes actuels de la justice, mais risquent au contraire de les aggraver.
Concernant d’abord la création des citoyens assesseurs, l’objectif de la participation de nos concitoyens, pour enrichir le débat judiciaire et leur permettre d’en avoir une meilleure compréhension, ne pourrait qu’être louable si les modalités de cette création le permettaient vraiment.
Mais ce n’est pas le cas, et le premier problème est celui des critères du recours aux citoyens assesseurs pour le jugement des délits, puisque le choix est fait de ne les associer que pour les affaires qui « portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population ».
Sont donc exclues, malgré les lourdes peines qu’elles font encourir à leurs auteurs, les infractions relevant du domaine économique et financier ou de la délinquance organisée.
Ces critères sont éminemment contestables, car cela revient à considérer que les juges doivent être encadrés et soumis à la pression populaire pour sanctionner les vols et les agressions, mais pas pour les délits économiques et financiers, pour lesquels, ces dernières années, se multiplient d’ailleurs les tentatives de dépénalisation ou de réduction du délai de prescription.
Il en résulte deux catégories de juridictions correctionnelles : celles comportant des citoyens assesseurs, et celles composées des seuls magistrats ; et donc une justice à deux vitesses en correctionnelle.
Les délits seront ainsi jugés par des formations différentes en fonction de la nature des faits et non du quantum de la peine encourue, ce qui pose assurément la question du respect du principe d’égalité des citoyens devant la loi.
Autre conséquence du recours aux citoyens assesseurs : une procédure plus lourde, plus lente, et qui va dégrader les conditions du jugement, en raison de l’oralité nécessaire des débats, pour que le citoyen assesseur comprenne la réalité des faits et les problèmes juridiques posés. Pendant le délibéré, il sera nécessaire de lui fournir davantage d’informations sur les points techniques afin qu’il puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause. Au final, le temps ainsi passé conduira immanquablement à une réduction du nombre de dossiers traités par audience, et donc au ralentissement de la durée de traitement des affaires.
La réforme va ainsi au moins doubler le nombre d’audiences pénales, et pour reprendre les termes utilisés par le président de l’Union syndicale des magistrats : « Elle risque de faire exploser le système judiciaire. C’est une folie et tout le monde le sait ».
S’agissant de l’introduction de citoyens assesseurs pour l’application des peines, le projet de loi prévoit qu’ils siégeront aux côtés des magistrats du tribunal d’application des peines et des chambres d’application des peines pour toutes les décisions relatives notamment à la libération conditionnelle ou au relèvement de la période de sûreté, dès lors que la peine est supérieure à cinq ans d’emprisonnement. À vrai dire, l’intérêt de cette innovation est difficilement perceptible car la société civile est déjà représentée à la chambre de l’application des peines en appel, sa composition étant désormais élargie, en plus des trois magistrats professionnels, à deux personnes : un responsable d’une association d’aide aux victimes et un responsable d’une association de réinsertion des condamnés.
Nous ne comprenons pas la nécessité d’introduire des citoyens assesseurs non spécialisés. Nous le comprenons d’autant moins que la pratique de l’application des peines est une matière très complexe, qui suppose des compétences techniques et un suivi de la personne détenue. Les citoyens assesseurs auront évidemment le plus grand mal à s’intégrer dans un processus de suivi et d’évaluation d’un détenu, ce qui demande une culture à la fois juridique et pénitentiaire et ne se construit pas en quelques heures de formation.
À la différence de la détermination de la lourdeur d’une peine, qui fait appel à des notions morales et qui renvoie à des valeurs sociales dont chaque citoyen a vocation à être le porteur et l’interprète, la décision de libération conditionnelle s’appuie nécessairement sur des savoirs criminologiques, juridiques, sociologiques, médicaux et psychiatriques.
En bref, nous ne voyons qu’une seule raison à l’introduction de tiers dans le domaine de l’application des peines : la volonté de rendre plus difficiles les libérations conditionnelles, alors que la libération conditionnelle, bien encadrée, est un facteur de prévention de la récidive.
La mise en place progressive de ces nouvelles dispositions relatives aux citoyens assesseurs, telle que prévue à l’article 31 du projet, pose enfin la question de l’égalité des citoyens. Deux cours d’appel appliqueront le dispositif à titre expérimental en juillet 2012, dix au plus tard au 1er janvier 2014. À quelques kilomètres de distance, pour des faits identiques, des personnes pourront être jugées devant des formations différentes en attendant la généralisation de la procédure sur l’ensemble du territoire.
Si le débat peut exister sur le point de savoir si une telle expérimentation est rendue possible ou non par l’article 37-1 de la Constitution, il semble en tout cas évident que le choix de l’expérimentation ne vise rien d’autre qu’à concilier l’obligation de respecter la volonté présidentielle d’instituer le dispositif dès 2012, et l’obligation de dégager les importants moyens budgétaires qu’imposerait la généralisation immédiate.
Concernant le jugement des crimes et la composition de la Cour d’assises, je veux d’abord souligner l’incohérence de la version initiale du projet, même si celle-ci a un peu évolué depuis le début de la discussion parlementaire, au point que sur ce plan trois versions coexistent : celle du Gouvernement, celle du Sénat, et celle de notre commission des lois.
Avec la Cour d’assises simplifiée telle qu’elle était proposée par le Gouvernement, la composition de la juridiction destinée à juger les crimes était la même que celle destinée à juger les délits. Les infractions, qu’elles soient qualifiées de délit ou de crime, seraient toutes poursuivies, introduites et renvoyées selon la même procédure et sur le fondement des mêmes règles d’audiencement devant des instances différenciées par leur seul nom. La Cour d’assises classique, en sa formation actuelle, serait dès lors devenue exceptionnelle et imposée aux accusés poursuivis en état de récidive légale ou pour les crimes passibles d’une peine de réclusion criminelle supérieure à vingt ans.
En proposant un tel dispositif, le Gouvernement a introduit une différenciation en fonction de la qualité de l’auteur et non en fonction de l’infraction. Pour lutter contre la pratique de la correctionnalisation, le Gouvernement proposait ainsi de faire juger la grande majorité des crimes comme s’il s’agissait de délits, de mettre en place une forme de correctionnalisation des assises, et comme le souligne très justement le Syndicat de la magistrature, en quelque sorte, on correctionnalise au nom de la lutte contre la correctionnalisation.
Ces assises simplifiées n’ont pas rencontré l’accord du Sénat, qui a préféré une réduction du nombre de jurés, sans distinction des catégories de crimes. Mais notre commission des lois a repris l’inspiration du texte initial avec la création d’une formation simplifiée de la Cour d’assises, composée de trois magistrats professionnels et de trois jurés. Outre le problème d’inconstitutionnalité posé par cette disposition – problème que le Gouvernement a lui-même soulevé, mais qui existe aussi pour la disposition qu’il avait proposée –, ce détricotage du dispositif de la justice en matière criminelle ne réglera pas le problème de la correctionnalisation et, en définitive, le nombre de jurés aux assises sera diminué, ce qui entraînera une moindre représentation de la société. Ce n’est pas, vous l’avouerez, le moindre des paradoxes de ce texte.
Mme Delphine Batho. Exactement !
M. Marc Dolez. J’aborde maintenant le troisième et dernier volet du projet de loi relatif à la justice des mineurs, sur lequel mon collègue Michel Vaxès reviendra plus particulièrement dans son intervention. Je veux cependant, d’ores et déjà, faire part de notre opposition résolue aux dispositions proposées, qui conduisent à vider de leur sens les principes de priorité éducative et de spécialisation de la procédure applicable aux mineurs. Comme le déplore l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille : « le projet de loi achève la déconstruction de l’ordonnance de 1945 et la consécration d’une justice des mineurs qui ne s’intéresse plus qu’aux actes commis par ces derniers et non plus à l’évolution durable d’une personnalité en construction ».
Nous ne comprenons pas la nécessité de procéder à une énième réforme ponctuelle de l’ordonnance de 1945, qui ne sera que la trente-cinquième, alors même que tout le monde s’accorde sur le fait que ces modifications nuisent à la lisibilité et à la cohérence de l’ordonnance et contribuent à un état d’insécurité juridique, tant pour les professionnels que pour les justiciables.
Nous ne comprenons pas non plus le caractère urgent d’une telle réforme, alors qu’un code de la justice pénale des mineurs est en préparation depuis 2008, et que vous nous dites, monsieur le garde des sceaux, qu’il est « quasiment achevé ».
Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à être dubitatifs, puisque, comme nous, tous les professionnels s’interrogent sur les raisons pour lesquelles on modifie les textes applicables aux mineurs, en urgence, partiellement et sans lisibilité d’ensemble. Vous avez répondu, monsieur le garde des sceaux, devant la commission des lois. que « le terme très proche de la législature » ne permettait pas d’envisager dans l’immédiat la discussion du code de la justice pénale des mineurs. C’est donc bien le calendrier électoral qui justifie cette réforme partielle. C’est là aussi tout simplement inadmissible, tant sur la forme que sur le fond.
Votre réforme vise à supprimer un droit pénal spécifique pour les mineurs. Les dispositions du projet de loi tendent à nier aux mineurs délinquants leur statut d’enfant, d’enfant « particulièrement vulnérable » selon le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, et qui bénéficient, à ce titre, de droits spécifiques en justice : spécificité des juridictions et procédures, traitement éducatif adapté avant tout, détention comme mesure de dernier ressort.
En proposant de mettre en œuvre une justice plus expéditive, axée sur la seule sanction pénale, le texte porte gravement atteinte à ces principes car, comme le souligne très justement la Défense des Enfants Internationale : « Ces jeunes ont besoin d’une prise en charge rapide et d’un accompagnement humain, pas d’une condamnation rapide et encore moins d’un enfermement plus fréquent. »
C’est ainsi que la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs, qui statuera dans des délais plus brefs que le tribunal pour enfants, conçu pour les mineurs récidivistes de plus de seize ans, porte atteinte au principe fondamental d’une juridiction spécialisée pour les enfants et devient de fait une juridiction d’exception pour les adolescents de seize à dix-huit ans.
De plus, la composition de cette juridiction ne garantit en rien la spécialisation de la justice des mineurs puisqu’un seul juge des enfants est appelé à y siéger aux côtés de deux magistrats non spécialisés. Plus inquiétant encore, deux jurés citoyens pourront, dans le cadre des infractions visées à l’article 2 du projet de loi, composer cette juridiction, à l’instar du tribunal correctionnel pour majeurs.
De ce fait, alors que la spécialisation de la juridiction des mineurs est assurée au tribunal pour enfants par la présence de deux assesseurs choisis pour l’intérêt qu’ils portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences, cette garantie disparaît purement et simplement : les assesseurs sont remplacés par des citoyens, dont il n’est absolument pas exigé un quelconque intérêt pour les problématiques spécifiques des mineurs.
En réalité, la création du tribunal correctionnel est une nouvelle tentative d’aligner le traitement des mineurs sur celui des majeurs et de parvenir à un abaissement déguisé de la majorité pénale.
Le projet prévoit également la convocation par officier de police judiciaire à comparaître devant le tribunal pour enfants et permet ainsi la saisine directe de cette juridiction, alors même que le Conseil constitutionnel a censuré, le 10 mars dernier, une disposition analogue de la LOPPSI 2, qui prévoyait que le Procureur de la République pouvait faire convoquer directement un mineur par un OPJ devant le tribunal pour enfants, sans saisine préalable du juge des enfants. Il s’agit là encore d’une disposition qui porte atteinte au principe fondamental de spécificité de la justice pénale des mineurs, reconnu par les lois de la République et par les engagements internationaux ratifiés par la France. Le recours accru au placement en centre éducatif fermé des délinquants de moins de seize ans, l’assignation à résidence sous surveillance électronique mobile des mineurs de treize ans, la stigmatisation des parents de mineurs délinquants, l’instauration d’un dossier unique de personnalité sous le contrôle du Parquet sont autant de mesures que nous refusons.
L’idéologie sécuritaire nous enferme dans un cercle vicieux de répression, alors que les professionnels ne manquent pas d’outils juridiques répressifs, mais plutôt de moyens pour faire correctement leur métier et mettre à exécution les décisions qu’ils croient bonnes.
Ce n’est pas d’une nouvelle réforme que ces professionnels ont besoin, mais de moyens en personnels, en temps, en places disponibles dans des structures, en possibilités d’insertion professionnelle. Là est la véritable urgence, et ce texte n’y répond pas. C’est pourquoi nous le combattons. C’est aussi pourquoi, dans la discussion des articles, nous défendrons des amendements de suppression et des amendements destinés à combattre les régressions introduites depuis dix ans dans la justice des mineurs.
Vous l’aurez compris, monsieur le garde des sceaux : les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche sont farouchement opposés à ce projet qu’ils jugent inutile et inquiétant ; un projet qui, pour reprendre, monsieur le garde des sceaux, l’expression de l’un de vos illustres prédécesseurs, « relève du populisme judiciaire ».
Notre assemblée s’honorerait à le rejeter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)
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