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« Vous voulez la Sécurité sociale rabougrie et domestiquée ! »

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, chers collègues, « ô capitaine ! Mon capitaine ! » (Sourires. – Mme Cyrielle Chatelain applaudit), « carpe diem », « cueille le jour présent ». J’ai conscience de la fugacité de ce moment et de sa rareté autant que de son étrangeté. Nous ne savons pas encore à quel instant le fil se brisera, à quel instant l’épée s’abattra, son tranchant arrêtant nos débats, à quel instant vous imposerez votre choix. C’est toute la magie du suspense, pour autant qu’il en reste, car si les feuilles mortes se ramassent à la pelle, c’est aussi le cas des 49.3. (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC, et Écolo-NUPES.)

D’ailleurs, certains députés ont affirmé que nous avons bien mérité le 49.3 qui vient. Ah ! si la commission des affaires sociales avait sagement adopté cet Ondam inquiétant et ce budget indigent… Eh bien, non : fait inédit, elle a rejeté votre projet (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – Mme Cyrielle Chatelain applaudit également), une première depuis la création des lois de financement de la sécurité sociale, en 1996. Cela devrait vous obliger à réfléchir, à faire évoluer vos orientations, à modifier le cadre budgétaire. En réalité, ce que nous reprochait monsieur Valletoux il y a quelques minutes encore n’est rien d’autre que notre désaccord !
Que peut-on dire du PLFSS pour 2024 ? D’abord que c’est le même que le précédent, en pire ; et le précédent n’était déjà pas terrible.

En plus de n’être pas terrible, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a été marquée au fer rouge par la loi rectificative de casse du droit à la retraite, imposée par 49.3 à un pays qui n’en voulait pas.

Le texte qui nous est soumis porte les stigmates des premières conséquences ingrates de cette loi indigne ; c’est la première raison pour laquelle il provoque notre colère. Il contient au passage des dispositions bancales relatives au régime spécial des électriciens et gaziers.

Ensuite, il prévoit de continuer les exonérations massives de cotisations sociales. En commission, la majorité a fait adopter un amendement qui annule une exonération sur les bons salaires et supprime, pour le même montant, le peu de cotisations sociales qui restaient attachées aux bas salaires.

Vous êtes accros aux exos et vous encouragez les bas salaires. Alors même que vous êtes si peu enclins à augmenter le salaire net, vous ne pouvez pas vous empêcher de raboter le salaire brut et de délégitimer la cotisation, qui est pourtant le fondement de notre protection sociale. (Mme Cyrielle Chatelain applaudit.) Cette année encore, 2,5 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sur les heures supplémentaires ne seront pas compensées.

La sécurité sociale ne doit pas être la variable d’ajustement des politiques économiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Il faut arrêter de la sous-financer et investir plutôt l’argent de la compensation dans la fonction publique et dans les services publics, qui sont en crise.

Votre budget prévoit une nouvelle compression des dépenses de santé. En effet, la hausse de l’Ondam à hauteur de 3,2 % est inférieure à l’augmentation tendancielle des dépenses. Voilà des années que vous demandez des économies à l’hôpital public, qui n’en finit pas de s’enfoncer dans la crise.

J’étais récemment à Alès, où les urgences fonctionnaient en mode régulation et où les revendications ressemblaient à celles que je rencontre chez moi – monsieur le ministre de la santé, vous avez le bonjour du pays. La semaine dernière, à Martigues, se tenait un rassemblement pour défendre l’hôpital public, comme il s’en tient un peu partout dans le pays. Lorsque les participants ont appris que votre budget avait été rejeté en commission, une grande clameur a retenti. (M. Damien Maudet applaudit.)

Votre budget avait déjà été rejeté par le conseil de la caisse nationale d’assurance maladie, qui juge qu’il « n’apporte pas de réponse structurelle ». Il avait été fortement critiqué par la Fédération hospitalière de France, qui estime que 3 milliards d’euros supplémentaires au moins sont nécessaires pour boucler l’année 2023 et 5 milliards pour l’année 2024. Vous tracez pour les années qui viennent une trajectoire impossible, qui est encore moins ambitieuse ! Ce n’est pas sérieux ; ce n’est pas à la hauteur ; ce n’est pas responsable.

En fait, il n’y a que vous qui trouvez ce budget bon, et encore, c’est même pas sûr (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES), mais vous le défendez. L’un essaye de nous vendre du rêve, l’autre nous dit « Faut pas rêver », répétant, à la manière d’un tableau de Magritte, « ceci n’est pas de l’austérité ». (Mêmes mouvements.) Finalement, les contes de Ségur, ce seront Les Malheurs de Sophie.

L’hôpital public a besoin d’un nouveau souffle, de perspectives, d’un grand plan d’embauche et de déprécarisation, d’ouverture de négociations salariales. De la radiologie à la psychiatrie, en passant par les soins palliatifs, la crise est là. Ne laissons pas dépérir la radiologie hospitalière qui est un de ses atouts importants pour faire face. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.) Ne laissons pas dégringoler encore la psychiatrie, dans une société où l’humain est soumis à rude épreuve.

Un an pour un rendez-vous dans un centre médico-psychologique, c’est tout simplement inacceptable.
Au lieu de vous entêter dans le dispositif MonParcoursPsy qui est un échec, embauchez des psychologues à l’hôpital et dans la fonction publique. Ne laissons pas dans l’ombre la question essentielle des soins palliatifs qui devraient être un droit (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES) et qui ne le sont pas parce que, depuis des années, on s’est refusé à y mettre réellement les moyens, comme la Cour des comptes elle-même le reconnaît. Or ce budget ne propose rien en la matière.

Quant aux besoins de rénovation et de construction, ils seront moins bien pris en compte encore avec une réduction programmée de l’enveloppe. C’est d’autant plus problématique que la sortie annoncée de la tarification à l’acte n’aura pas lieu : les mesurettes que vous proposez feront passer la part du financement à l’activité de 54 à 49 % pour la médecine, la chirurgie et l’obstétrique en 2026. Le volume de soins n’est toujours pas revenu à son niveau d’avant-covid. En revanche, même dans les hôpitaux qui, au prix d’efforts considérables, ont accru leur volume d’activité, comme celui de Martigues, le déficit est toujours au rendez-vous.

De toute évidence, il faudrait se donner les moyens d’agir sur les déserts médicaux, déclencher un plan de soutien et de développement des centres de santé à but non lucratif, s’attaquer avec méthode aux défis du médicament, l’un des vecteurs de la marchandisation et de la financiarisation de la santé.

Alors que les pénuries n’en finissent pas, vous augmentez encore les marges des grands laboratoires et vous vous refusez à mettre en chantier la construction d’un pôle public du médicament.

Nous en aurions pourtant bien besoin pour faire face au défi des pénuries mais aussi à celui des médicaments biologiques, dont la fabrication devrait s’appuyer sur les outils publics et sur une relance ambitieuse de la dynamique du don avec l’Établissement français du sang (EFS).

Le droit à l’autonomie n’est toujours pas pris au bon niveau. On peut se féliciter de la démarche modestement entreprise pour fusionner le forfait soins et le forfait dépendance mais on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur le forfait hébergement. Nous avons besoin de garantir une meilleure protection sociale et un meilleur service aux personnes, que ce soit à domicile ou en établissement. Nous sommes loin, très loin de répondre aux besoins parce qu’il n’y a pas de véritable volonté politique.

Vous mettez en avant la vaccination contre le papillomavirus et la gratuité des préservatifs, qui sont des mesures que nous soutenons mais qui ne suffisent pas à faire une politique de santé et de protection sociale à la hauteur. Au bout du compte, votre projet est assez simple à résumer : c’est aux salariés de passer à la caisse pour financer un système affaibli.

Vous vous en prenez aux arrêts maladie pour récupérer 300 millions d’euros, en donnant le pouvoir au médecin diligenté par l’employeur face au médecin qui suit le salarié ; vous court-circuitez ainsi le médecin-conseil, c’est-à-dire la sécurité sociale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)

Vous allez également limiter les arrêts prescrits par téléconsultation alors même que vous encouragez par ailleurs ce système dont il faudrait mieux encadrer la pratique pour qu’elle ne soit pas le cheval de Troie d’une financiarisation de la médecine de ville.

Vous feriez mieux de vous interroger sur les causes des arrêts maladie. Nous ferions mieux d’agir vraiment pour la prévention, de faire de la santé au travail une grande cause nationale, de nous occuper de santé environnementale, de transformer nos modes de vie, de production, de vie, de consommation.

Nous avons également ouï dire que vous envisagiez de multiplier par deux les franchises, mais vous louvoyez en attendant sans doute que nous ayons le dos tourné pour le faire.

Mais ce n’est pas tout. Après vous être acharnés à maintenir un top niveau d’exonérations pour le capital, vous venez piquer dans les cotisations des salariés, celles des retraites complémentaires de l’Agirc-Arrco et celles de l’Unedic.

Pour l’Agirc-Arcco, dont la gestion est paritaire, alors que les cotisations ont pour seule destination les retraites complémentaires qui peinent à suivre l’inflation, vous vous servez, tranquille Émile, en expliquant que le régime vous doit bien ça puisque les assurés cotisent plus longtemps à cause de vous. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)

Vous voulez gagner au grattage et au tirage ! C’est d’autant moins défendable qu’en augmentant les pensions, comme c’est prévu, les partenaires sociaux vont contribuer à faire épargner au régime général des versements du minimum contributif.

Pour l’Unedic, après avoir réduit les droits des assurés, vous entendez prélever 11 milliards d’euros d’ici à 2027 sur les cotisations chômage des salariés pour financer votre mauvais projet France Travail. Vous devenez des spécialistes du hold-up sur les cotisations, des orfèvres du casse social.

Comment voulez-vous que nous soutenions un tel projet ? Comment voulez-vous, même, qu’il trouve ici une majorité ? En réalité, vous n’en avez cure.

Vous voulez la sécurité sociale rabougrie et domestiquée. Fidèles à Ambroise Croizat, nous voulons la voir porter haut ce principe essentiel : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. » (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

« Tandis que nous parlons, le temps jaloux s’en va », écrivait Horace. « Carpe diem. Cueille le jour et crois le moins possible au lendemain. » Avec ce que vous semez, il n’y aura pas grand-chose à cueillir. Nous ne vous suivrons pas. Nous voulons croire au lendemain, au lendemain où on prend soin, si je puis m’exprimer ainsi.

(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES. – Plusieurs députés du groupe LFI-NUPES se lèvent et applaudissent.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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