Interventions

Discussions générales

Pn déblocatge exceptionnel de la participation et de l’intéressement

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer sur une proposition de loi qui fait écho à une mesure annoncée par le Président François Hollande le 28 mars dernier, afin de relancer la consommation : « Je propose que la participation, pour ces 4 millions de Français qui en ont l’usage, » avait expliqué le chef de l’État, « puisse être débloquée immédiatement sans pénalité fiscale jusqu’à 20 000 euros pour quelque achat que ce soit, sans aucune raison, pour acheter un bien, une voiture, etc. Cela durera six mois mais cela permettra pendant ces six mois de débloquer une épargne pour l’affecter à la consommation ».
Conformément à cette annonce, le dispositif que vous nous présentez prévoit que les salariés qui ont déjà placé en épargne salariale des primes d’intéressement ou leur participation versée par l’entreprise pourront débloquer leur plan d’épargne entreprise en une seule fois.
Je précise tout de même que les salariés dont les salaires sont bas ne placent jamais l’intéressement, puisqu’ils peuvent le débloquer tout de suite moyennant des cotisations supplémentaires. Vous ne vous adressez pas, avec cette mesure, aux personnes qui touchent de bas revenus.
Les salariés disposeront de six mois, à compter de la publication de la loi, pour débloquer jusqu’à 20 000 euros nets de prélèvements sociaux. Les sommes ainsi débloquées, y compris les intérêts, bénéficieront d’une exonération d’imposition sur le revenu, sous réserve de la CSG et de la CRDS sur les intérêts. Le déblocage ne sera toutefois pas autorisé pour les sommes gérées sur un PERCO – plan d’épargne de retraite collectif – ni pour celles investies sur un fonds solidaire.
À l’heure actuelle, le salarié ne peut débloquer les sommes versées sur un PEE que cinq ans après leur versement, ou en cas d’événement exceptionnel, strictement encadré par la loi – mariage, divorce, naissance d’un troisième enfant, achat immobilier, cessation du contrat de travail ; etc.
Il nous est bien sûr difficile de nous opposer à une mesure visant à permettre à nos concitoyens qui en bénéficient de puiser dans leur épargne pour améliorer leur pouvoir d’achat. Cette mesure appelle néanmoins un certain nombre de remarques.
Nous regrettons tout d’abord que ces dispositions nous soient soumises dans le cadre d’une proposition de loi, ce qui nous prive d’une étude d’impact préalable.
On nous annonce un chiffre de 96 milliards, mais à quoi correspond-il ? On nous annonce que des primes ont été versées pour un montant correspondant à un treizième mois, mais c’est très loin de la réalité. Je travaillais encore dans le secteur industriel il y a quelques mois, je sais de quoi je parle.
Une mesure identique avait été initiée par Nicolas Sarkozy en 2008 avec l’efficacité que l’on sait. La majorité d’alors avait prétendu, par ce moyen, « remettre du carburant dans la croissance française et le pouvoir d’achat ». Le moins que l’on puisse dire est que le résultat n’a pas été à la mesure des espérances de ses promoteurs, qui escomptaient par ce moyen injecter 12 milliards d’euros alors que les Français ont finalement débloqué leur épargne pour un montant n’excédant pas 3,9 milliards d’euros. Ce résultat témoigne bien de la limite de l’exercice qui consiste à stimuler artificiellement le pouvoir d’achat en incitant les salariés à puiser dans leur épargne.
Notre crainte est que cette mesure relève davantage de l’effet d’annonce que d’une authentique mesure de soutien au pouvoir d’achat. Tout porte à penser qu’elle n’aura probablement que peu d’efficacité et nous ne pouvons que rejoindre sur ce point l’analyse que proposait un chroniqueur du quotidien Les Échos : « De deux choses l’une : ou cette mesure vise les salariés les plus aisés, et c’est un coup dans l’eau, car ils n’ont nul besoin de puiser dans leur épargne pour leurs dépenses courantes, ou alors, et c’est le plus vraisemblable, cette mesure vise ceux qui ont des revenus faibles ». Force est alors de constater que cette moitié de nos concitoyens qui gagnent moins de 1 800 euros par mois ne peuvent guère épargner. Ceux qui doivent faire face à des dépenses urgentes débloqueront sans doute leur participation – ils le peuvent déjà dans de nombreuses circonstances –, les autres auront tendance à le réinvestir dans l’épargne, comme ce fut massivement le cas lors des précédentes mesures de déblocage.
Nous doutons donc de l’efficacité et de la pertinence de ce dispositif au regard de l’objectif poursuivi de stimulation du pouvoir d’achat.
Notre seconde réserve porte bien évidemment sur l’absence de toute politique de relance du pouvoir d’achat des ménages modestes et moyens, qui subissent les conséquences les plus violentes de la crise actuelle. Une crise qui, en l’absence d’une politique volontariste de soutien de la demande intérieure, s’aggrave dans des proportions extrêmement inquiétantes.
Des quatre leviers de croissance que sont la consommation, les dépenses publiques, l’investissement des entreprises et le commerce extérieur, vous avez décidé de sacrifier les deux premiers pour privilégier les deux autres.
Or, la plupart des économistes soulignent à juste titre que la baisse de la consommation et des dépenses publiques ont pour effet une baisse de l’investissement des entreprises.
Pourquoi, en effet, une entreprise augmenterait-elle l’investissement quand la demande qui lui est adressée, et donc son chiffre d’affaires, est en baisse ? Pourquoi voudriez-vous que le commerce extérieur se porte mieux, alors que nos partenaires les plus importants sont aussi en récession ? Pourquoi proposer un pacte de compétitivité qui accorde 20 milliards d’euros de baisse d’impôts aux entreprises si les entreprises n’investissent pas et utilisent leur surcroît de marge pour continuer à augmenter les dividendes versés aux actionnaires ?
Nous préconisons, pour ce qui nous concerne, une tout autre stratégie, fondée sur la relance de l’investissement public et celle, plus importante encore, de la consommation.
Lorsque le précédent gouvernement avait fait une proposition analogue à la vôtre en 2008, l’actuel rapporteur général de la commission des finances, Christian Eckert, s’était exprimé au nom du groupe socialiste pour dénoncer le fait de répondre à la baisse du pouvoir d’achat par le déblocage de l’épargne à long terme car telle n’était pas la vocation de la participation. Il s’agissait, en d’autres termes, de souligner que le déblocage de la participation ne saurait tenir lieu de politique salariale, qu’il ne saurait remplacer un relèvement significatif du SMIC, des pensions et des minima sociaux.
Les dix années de politique de droite se sont soldées par une aggravation des inégalités. La dernière étude de l’INSEE l’a montré, cette politique s’est traduite par des pauvres plus pauvres et des riches plus riches. Le niveau de vie de la majorité de la population a globalement stagné, voire baissé. L’étude montre, de surcroît, que la crise de 2008 a touché plus spécifiquement les personnes modestes. Le niveau de vie des 5 % des Français les plus riches a progressé de 1,3 % en 2010 alors que celui des 20 % des Français les moins aisés a baissé de plus de 1,2 %.
Les Français des classes populaires attendaient de l’alternance une amélioration de leurs conditions de vie, de leurs conditions de travail, un meilleur partage des richesses qui sont le fruit de leur travail. Or la consommation a continué de reculer en France en 2012 pour la deuxième fois de l’après-guerre et le pouvoir d’achat par unité de consommation va diminuer en 2013 pour la troisième année consécutive. La droite a une grosse part de responsabilité dans la situation actuelle, messieurs !
Cette situation n’affecte pas seulement la vie quotidienne de millions de nos concitoyens, elle est aussi ruineuse économiquement.
Il est plus que temps, selon nous, de revenir sur les 20 milliards de cadeaux fiscaux consentis aux entreprises dans le cadre du plan de compétitivité, car il bénéficie à toutes les entreprises, sans distinction et sans contrepartie. Les banques, les assurances, la grande distribution, les cliniques privées, pour ne citer que les secteurs les plus emblématiques, vont ainsi se voir attribuer un crédit d’impôt injuste.
Vous refusez obstinément de cibler le dispositif pour en diminuer le coût et consacrer en contrepartie un véritable effort sur les rémunérations, les pensions et les minima sociaux.
Nous n’aurons de cesse, pour ce qui nous concerne, de vous convaincre que c’est pourtant la voie à suivre, qu’il n’y aura pas de croissance sans relance de la consommation, pas d’avenir pour la gauche si elle persiste à appliquer les recettes de ses prédécesseurs et ne s’applique pas à répondre aux attentes et aux espoirs qui l’ont portée au pouvoir.
Pour l’ensemble de ces motifs, les députés du Front de gauche s’abstiendront sur ce texte.

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Patrice
Carvalho

Député de Oise (6ème circonscription)

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