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Pn réseaux de soins pour les mutuelles

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis vise à autoriser les mutuelles à mettre en place des réseaux de soins dans le cadre de conventions conclues entre les organismes de protection sociale complémentaires et les professionnels de santé, comme peuvent le faire actuellement les institutions de prévoyance et les sociétés d’assurance. Il s’agit donc de modifier le code de la mutualité pour autoriser les mutuelles à moduler la prise en charge de leurs adhérents selon qu’ils auront consulté un praticien dans le réseau de soins ou hors de celui-ci, autrement dit un praticien ayant passé convention avec la mutuelle concernée ou pas.
Ce « bougé » n’est pas anodin, puisqu’il remet en cause un principe fondateur du système mutualiste selon lequel les mutuelles « ne peuvent instaurer de différences dans le niveau des prestations qu’en fonction des cotisations payées ou de la situation de famille des intéressés ». Est ainsi remis en cause un principe d’égalité essentiel – à cotisation égale, prestation égale – pour autoriser finalement une prise en charge complémentaire à deux vitesses. Nous avons bien compris qu’il s’agit de répondre à une demande de la mutualité française, qui redoute de « perdre des parts de marché face aux institutions de prévoyance et aux sociétés d’assurance », dans la mesure où ces dernières utilisent largement les réseaux de soins dont sont théoriquement privées les mutuelles. Théoriquement, car, en fait, beaucoup d’entre elles fonctionnent déjà avec des réseaux de soins, ce qui les fragilise sur le plan juridique, puisqu’elles peuvent être mises en cause par leurs adhérents.
Vous nous dites, madame la rapporteure, qu’il s’agit de supprimer une inégalité de traitement entre organismes complémentaires, de « sécuriser » juridiquement les mutuelles, de peser sur le marché pour faire baisser les prix et de faciliter l’accès aux soins pour les patients en diminuant leur reste à charge. Autant de bonnes intentions qu’a priori nous ne saurions contester. Mais, lorsque l’on creuse un peu le sujet, on s’aperçoit que les choses ne sont pas si simples, loin de là.
Tout d’abord, parce que la modification proposée du code de la mutualité créerait une complémentaire à deux vitesses, donc une rupture d’égalité, d’autant plus dommageable qu’elle vient s’ajouter à l’inégalité liée au fait qu’un nombre non négligeable de nos concitoyens n’ont pas ou plus les moyens de s’offrir une mutuelle.
Ensuite, cette disposition contrevient dans les faits au libre choix du praticien par le patient,…
M. Bernard Accoyer. Vous avez raison !
Mme Jacqueline Fraysse. …dans la mesure où ce dernier n’aura véritablement le choix d’aller, ou non, consulter dans le réseau de soins que s’il peut le supporter financièrement.
Cette atteinte au libre choix, déjà très discutable pour les prothèses dentaires, les lunettes et les dispositifs auditifs, devient très préoccupante lorsqu’il s’agit des médecins – surtout pour les patients, mais aussi pour les praticiens, qui n’ont d’ailleurs pas manqué de le faire savoir. J’ajoute que ce dispositif, s’il permettra des économies d’échelle, ne fera pas pour autant baisser le prix des cotisations, puisque les mutuelles ne s’y sont pas engagées. Peut-être augmenteront-elles leur part de remboursement ? Nous n’avons aucune certitude sur ce point.
Enfin, il convient de souligner que le conventionnement et la constitution de réseaux auront un coût non négligeable, qui poussera à la concentration au détriment de petites mutuelles, donc du pluralisme mutualiste, ainsi que du service de proximité, que seules les mutuelles de taille moyenne peuvent assurer.
En permettant aux mutuelles de pratiquer des remboursements différenciés, ce texte tend à placer assurances et mutuelles sur un pied d’égalité, alors que les mutuelles sont des sociétés de personnes à but non lucratif. Elles ne versent donc pas de dividendes, contrairement aux sociétés d’assurances.
À cet égard, nous déplorons que la législation européenne ne distingue pas les mutuelles des assurances privées. Je rappelle la revendication légitime, portée notamment par la Fédération nationale indépendante des mutuelles – la FNIM –, de la création d’un statut de mutuelle européenne.
Telles sont, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nos préoccupations à propos de ce texte qui, il faut bien le reconnaître, entérine une atteinte aux notions de liberté et d’égalité qui, dans les faits, sont souvent déjà mises à mal.
M. Julien Aubert. Bravo !
Mme Jacqueline Fraysse. Notre groupe tient à souligner l’urgente nécessité d’augmenter le niveau de remboursement et d’élargir le périmètre de prise en charge des soins par la sécurité sociale de base, particulièrement, bien sûr, pour les soins dentaires, auditifs et d’optique, qui sont très coûteux – vous ne m’applaudissez pas, chers collègues de l’UMP ? C’est pourtant un point important : durant les dix années où vous avez été au pouvoir, vous auriez pu faire quelque chose !
Nous craignons vivement que ce texte n’ouvre la voie inverse en transférant toujours plus de dépenses vers les mutuelles, organisant ainsi un véritable glissement du principe de prise en charge socialisée et universelle par l’assurance maladie vers une logique contractuelle et individuelle, sur le modèle assuranciel, marquant un pas de plus vers la privatisation rampante de la sécurité sociale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Notre rapporteure a tenu à souligner le caractère partiel et l’ambition limitée de ce texte, qui ne saurait remplacer, disait-elle, une politique d’ensemble, notamment une meilleure prise en charge des soins par la sécurité sociale.
Nous en prenons acte, et nous voulons la croire, même si nous restons très dubitatifs sur ce point après le PLFSS pour 2013 qui, non seulement n’envisage aucune recette nouvelle sérieuse, mais ne revient sur aucune des mesures prises par les précédents gouvernements – je dis cela à l’intention de nos collègues de droite, dont on remarque, ce soir, le dynamisme –, des mesures qui alourdissent le reste à charge pour les patients.
Nous estimons en effet que, pour diminuer le reste à charge et faciliter ainsi l’accès aux soins de l’ensemble de la population, la seule vraie réponse réside dans l’augmentation des remboursements par la sécurité sociale de base et l’élargissement de son périmètre.
Le texte qui nous est proposé ne peut pas apporter de réponse à la situation de plus en plus préoccupante de l’accès aux soins, dont est privée une part sans cesse croissante de la population (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI) faute de moyens – une situation résultant de la politique que vous avez menée, mesdames et messieurs de la droite.
Cette proposition de loi se contente de gérer une situation qui existe et qui n’est pas satisfaisante. Ce faisant, elle soulève de nombreux problèmes que je viens d’évoquer et sur lesquels je ne reviendrai pas. Nous avons bien noté les précisions qui ont été apportées pour tenter de les surmonter avec l’adjonction des articles 2 et 3 à l’article unique du texte prévu initialement. Cette rédaction apporte effectivement des précisions utiles, que nous espérons améliorer encore par nos amendements.
C’est en tenant compte de tous ces aspects, dans l’attente d’un grand texte traçant une véritable politique de santé, et en dépit d’extrêmes réserves, que les députés du Front de gauche s’abstiendront sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Jacqueline
Fraysse

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