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PnR Modèle économique des entreprises de crèches et qualité d’accueil des jeunes enfants

Dans une période où le Parlement se fait marcher dessus à peu près tous les deux jours, l’Assemblée nationale doit avoir l’obsession d’exister, l’obsession de faire ce pour quoi elle a été élue, l’obsession de ne pas subir, l’obsession de faire vivre tout ce qu’elle peut de démocratie. La création de cette commission d’enquête n’y suffira pas, mais elle est ô combien bienvenue.

En avril 2023, l’Igas alertait sur la qualité d’accueil « particulièrement hétérogène » dans les établissements et services d’accueil de la petite enfance, « le secteur présentant des établissements de grande qualité […] comme des établissements de qualité très dégradée ». L’Igas rappelait une réalité simple : les crèches doivent être urgemment resituées comme des lieux prenant en charge des êtres dans une situation d’extrême vulnérabilité et dépendance. Il en va des crèches comme des Ehpad, et il n’est peut-être pas nécessaire d’attendre de nouveaux scandales pour réagir. Car les causes, nous les connaissons, et elles produisent malheureusement toujours les mêmes effets : le sous-investissement public chronique et la déréglementation organisée ont fait la part belle au secteur privé lucratif dont l’exigence de rentabilité se heurte à une activité dont la nature première est l’accompagnement, le soin et déjà – oui, déjà – l’éducation, soit des actes qui cadrent mal avec une logique purement marchande, sinon financière. Ce secteur, pourtant, bénéficie d’un très haut niveau de financement public.

La pénurie de professionnels est tout à la fois un symptôme et une conséquence du désengagement de l’État dans l’accueil de la petite enfance : « Les faibles niveaux de rémunération, la qualité de vie au travail, le sentiment de ne pas pouvoir accorder à l’enfant le temps dont il a besoin ne permettent pas d’attirer et de fidéliser le personnel », notait le rapport de l’Igas. C’est dans ce contexte que Mathieu Périsse a publié, en septembre dernier, son ouvrage Le Prix du berceau, mettant en exergue et interrogeant fort à propos les modalités de financement de quatre grands groupes gérant des crèches et leurs conséquences en matière de qualité d’accueil.

La commission d’enquête proposée par le groupe LFI s’inscrivait dans le droit fil de ces enquêtes. En commission, les députés du groupe LR ont souhaité étendre le périmètre de l’enquête au modèle économique de l’ensemble des crèches, aussi bien publiques que privées. Le sujet n’est pas le même, mais pourquoi pas. À défaut d’avoir pu mener ces débats dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), cette proposition de résolution permettra de clarifier le modèle économique des crèches et de mettre en exergue les différences entre un modèle public et un modèle à visée lucrative, ainsi que les conséquences de celui-ci sur l’accueil des enfants, les conditions de travail des professionnels et la nature de la relation contractuelle entre les parents et le lieu d’accueil.

De plus, cette commission d’enquête pourra aller plus loin en matière d’investigation. Elle viendra utilement compléter certaines recommandations formulées par la mission flash portant sur les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, qui a été présentée à l’Assemblée nationale en novembre dernier. Il faudra naturellement s’appuyer sur ce travail antérieur.

Enfin, si le Parlement a adopté l’article 10 bis du projet de loi dit pour le plein emploi, qui visait à renforcer le contrôle des crèches, il avait d’abord rejeté l’article 10, réintroduit subrepticement en commission mixte paritaire (CMP), qui instaurait un prétendu « service public de la petite enfance ». Il n’y avait pas besoin d’une loi pour mettre le perroquet sur l’épaule des collectivités, désormais désignées « autorités compétentes » en matière d’accueil de la petite enfance – mais sans bénéficier de moyens nouveaux pour assurer ce service public. Ce n’est donc pas un service public qui est créé, mais une contrainte sans moyens qui va mettre le secteur privé en position de force pour venir vendre ses produits en disant : « Attention, maintenant la loi vous oblige ! » Nous qui défendons depuis bien longtemps l’idée du service public de la petite enfance ne pouvons tomber dans ce panneau. La commission d’enquête est également bienvenue dans ce contexte nouveau pour les communes puisqu’elle formulera une série de recommandations à destination des décideurs publics.

Chères et chers collègues, notre assemblée décidera-t-elle de ne pas enquêter sur ces enjeux importants qui ne manqueront pas de ressurgir sur le devant de la scène dans les temps qui viennent ? Qu’y a-t-il à craindre, qui voudrait-on protéger ? Pour notre part, voilà plusieurs mois que nous souhaitons une commission d’enquête sur le sujet.

(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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