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Pt convention sur la protection physique des matières nucléaires

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Madame la présidente, madame la ministre déléguée, monsieur le rapporteur, chers collègues, ce projet de loi d’approbation de l’amendement à la convention sur la protection physique des matières nucléaires nous permet de débattre à nouveau de la question de l’énergie nucléaire.
Bien évidemment, tout doit être fait pour assurer un niveau maximal de sûreté pour nos installations, qu’elles soient militaires ou civiles, sans oublier les convois de transport de matières nucléaires.
La catastrophe de Fukushima, provoquée par un séisme, a été révélatrice de graves carences. L’incapacité du gestionnaire privé, TEPCO, a rappelé l’exigence d’une amélioration drastique des processus de sûreté en vigueur sur les sites de production d’énergie nucléaire pour maîtriser cette technologie.
Mais les événements naturels exceptionnels – séismes, inondations, canicules – ne sont pas les seuls dangers. Tout l’objet de ce projet de loi est de prendre en compte d’autres formes de périls : les sabotages et les attentats dits terroristes. C’est bien la sécurisation des sites qui est en jeu.
Restaurer la confiance du public envers l’énergie nucléaire, tel est le défi auquel l’ensemble de la filière nucléaire doit s’atteler d’urgence, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui affirme vouloir « responsabiliser » les opérateurs industriels, censés tirer les premiers les conclusions de la catastrophe de Fukushima.
Quant à l’amendement à la convention de 1979, que nous examinons aujourd’hui, il trouve son origine dans les événements du 11 septembre 2001, qui ont suscité des inquiétudes fortes et qui lui ont donné toute sa pertinence. Force est de le constater : aucune de nos installations nucléaires n’est conçue pour résister à un attentat semblable à celui du 11 septembre.
Du reste, les stress tests de l’autorité de sûreté nucléaire ne prennent pas en compte ce cas de figure.
Cette insuffisance est d’autant plus regrettable que la chute d’un avion n’est pas nécessairement terroriste. Elle peut être purement accidentelle.
Certes, pour empêcher qu’un crash aérien se double d’un accident nucléaire, le survol des sites nucléaires les plus importants est aujourd’hui interdit en France, dans un rayon de 10 kilomètres et à une hauteur de 1 000 mètres, mais cette interdiction n’est que théorique. Les survols de sites censés être hautement sécurisés interviennent à intervalles réguliers. Ils sont le fait d’organisations non gouvernementales désireuses de prouver les failles des dispositifs de sécurité en vigueur sur les sites concernés. Ainsi, à la fin de l’année 2011, un engin est parvenu à survoler pendant plusieurs minutes, sans être inquiété, le site de La Hague où sont stockés des centaines de tonnes de déchets radioactifs en attente de retraitement. La centrale de Nogent-sur-Seine, qui a la particularité d’être la plus proche de la capitale, a également été le lieu d’une intrusion collective. Il y a moins de trois mois, en mai, c’est la centrale de Bugey qui était survolée grâce à un parapente à moteur avec atterrissage sans encombre sur le site.
D’autres actes, d’un tout autre ordre, parce que purement malveillants, sont à déplorer. On dénombre dans le monde, selon un expert indépendant, des centaines de cas de vol de matières radioactives, qui sont ensuite vendues sur le marché noir. Des malfaiteurs tentent parfois de faire passer leur butin, en général des déchets radioactifs, pour des matières utilisables dans la fabrication d’explosifs nucléaires. Il s’agit parfois même réellement d’uranium enrichi ou de plutonium.
À l’heure où la question de la sécurité des installations nucléaires fait régulièrement la une de l’actualité, en France comme ailleurs, les enjeux sont considérables.
L’amendement dont nous débattons contient plusieurs éléments visant à mieux protéger les matières nucléaires. Il définit les principes généraux que les États parties doivent mettre en œuvre, étend la liste des infractions qui doivent être incriminées dans la législation nationale des États parties, élargit à toutes les installations nucléaires le dispositif de protection initial, et améliore la coopération internationale aussi bien entre les parties qu’entre ces dernières et les organisations internationales, principalement en ce qui concerne les échanges d’information.
Bien entendu, ce programme est faiblement contraignant pour les États. Les susceptibilités des uns et des autres ont en effet été soigneusement ménagées, afin qu’un consensus international se dégage. Cela donne une idée des difficultés rencontrées par l’AIEA pour convaincre ses 151 membres de lui confier, en matière de sûreté des installations nucléaires, le même pouvoir coercitif qu’elle exerce en matière de lutte contre la prolifération. Elle pourrait ainsi forcer les États à coopérer, à suivre des recommandations strictes et à satisfaire aux critères de sécurité internationaux les plus rigoureux. L’AIEA n’a, à l’heure actuelle, toujours pas résolu ce problème.
La France, par rapport aux autres pays, se doit d’être doublement vigilante en matière de protection des matières nucléaires. Notre positionnement dominant en matière de retraitement des déchets nous expose en effet à plus de risques.
L’avance de la France sur le marché du retraitement des déchets nucléaires se traduit par de fréquents transports de combustible nucléaire usé, de matières recyclées et de déchets, en provenance et à destination des clients d’AREVA, qui traversent une partie de la France et d’autres pays. La protection de ces convois est d’ailleurs également visée par la convention.
Le site de La Hague lui-même a été survolé sans aucune difficulté, comme l’a rappelé Denis Beaupin il y a un instant. Selon un rapport – certes contesté – datant de la fin de l’année 2001, le crash d’un avion de ligne sur une seule des piscines de refroidissement de cette centrale pourrait conduire à un relâchement de césium dans l’atmosphère 60 fois supérieur à celui qu’a provoqué la catastrophe de Tchernobyl. On mesure dès lors l’importance des efforts à fournir pour garantir véritablement la sécurité du site.
À ce titre, la durée de vie des déchets nucléaires nécessite une sécurisation sur plusieurs dizaines d’années, et même sur des durées pouvant dépasser les centaines d’années. Comment envisager la protection physique des déchets radioactifs sans maîtrise publique de l’industrie nucléaire ?
La maîtrise publique est indispensable pour empêcher le captage par les appétits privés des ressources financières nécessaires à la recherche et au développement d’énergies nouvelles. Elle est aussi indispensable à la péréquation des tarifs, aux mutualisations et aux coopérations industrielles. Elle est seule à même de soutenir l’ambition des programmes de transition énergétique, en faisant prévaloir l’intérêt général et le droit de tous à l’énergie sur les logiques financières de rentabilité.
C’est précisément la logique court-termiste de la rentabilité qui conduit à l’abaissement des procédures de sécurité. Sous-traitance, filialisation, privatisation, réduction des coûts et des personnels : tout concourt, dans la logique du profit, à corroder l’exigence de sécurité. Ainsi, l’industrie nucléaire française fait appel à un nombre croissant de prestataires de service pour effectuer des opérations de maintenance aussi cruciales que dangereuses, en un temps toujours plus réduit, sous une pression toujours plus forte, et avec un personnel à la formation souvent insuffisante. Vingt mille personnes seraient employées par ces prestataires, dont 17 % d’intérimaires et de CDD sur lesquels se reporte désormais la responsabilité des dysfonctionnements. EDF se décharge en effet sur eux par le jeu de la sous-traitance.
Alors que la présente convention organise la coopération internationale en matière de protection physique des matières nucléaires, l’Union européenne, par le biais des directives sur l’énergie, organise concomitamment la mise à bas des normes de sécurité en promouvant la filialisation et la privatisation du secteur de l’énergie dans les pays membres.
Il y a quelque chose de paradoxal à autoriser, d’un côté, le dégagement de profits et de dividendes pour les actionnaires des grandes multinationales de l’énergie, et de l’autre, à vouloir renforcer la lutte contre les incursions, les sabotages ou les actes terroristes visant des installations nucléaires !
La recherche de la sécurité maximum pour l’industrie nucléaire exige la maîtrise publique à 100%, excluant ainsi tout critère de gestion de type privé. Vous l’avez compris, pour les députés que je représente, la seule réponse qui vaille aux défis de la sûreté et de la sécurité nucléaires est la création d’un véritable service public, à travers la constitution d’un pôle public de l’énergie émancipé des logiques financières.
Ce pôle serait doté des capacités d’investissement nécessaires pour soutenir la recherche, promouvoir un plan industriel de développement des énergies renouvelables, et développer de nouvelles capacités de production, tout en maintenant un coût d’accès à l’énergie acceptable pour tous les usagers.
Il s’agirait également de fédérer tous les acteurs de la filière énergétique, qu’ils relèvent de la recherche, de la production ou de la distribution de l’énergie – et en premier lieu EDF, GDF, le CEA et AREVA – pour aller vers une nouvelle forme de nationalisation. L’Autorité de sûreté nucléaire, et l’Institut de recherche en sûreté nucléaire qui lui apporte un soutien technique, doivent rester, en toute indépendance, les outils de contrôle de la sûreté et de la radioprotection.
L’ASN rappelle, à juste titre, que la sûreté ne dépend pas seulement de conditions technologiques, mais repose fondamentalement sur les hommes. Ainsi nous exigeons, à nouveau, le renforcement des effectifs qualifiés et un haut niveau de garanties sociales pour l’ensemble des salariés concernés par l’exploitation, la maintenance et la sécurité des centrales, comme pour les installations du cycle du combustible, de la mine au traitement des déchets.
Les députés du Front de Gauche voteront en faveur du présent texte, comme l’ensemble du groupe GDR. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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