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Discussions générales

Pt lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et Pt org. Procureur de la République financier

La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, cette semaine, les dirigeants du G8 se sont mis d’accord sur une liste d’objectifs, notamment sur une plus grande transparence concernant les sociétés écrans et sur le renforcement des échanges automatiques d’informations entre les services fiscaux des différents pays.
Même si le communiqué final ne contient aucun engagement ferme en vue, par exemple, de créer un registre des véritables propriétaires des entreprises qui serait mis à la disposition de la justice et des services fiscaux, le Président de la République, François Hollande, a indiqué qu’un grand pas a été fait, tout en reconnaissant qu’on aurait pu aller plus loin.
Nous portons pour notre part une appréciation quasi identique sur les textes qui nous sont présentés aujourd’hui, qui font un grand pas en aggravant le régime des peines applicables et en renforçant de manière significative les capacités de contrôle de l’administration fiscale et, plus largement, l’ensemble des moyens de lutte contre la fraude aux finances publiques. Face à l’opacité et au secret, il est clair que l’État a besoin d’utiliser des moyens accrus, y compris l’utilisation des listes, quelle que soit leur provenance.
Toutefois, nous aurions pu aller plus loin, notamment en matière de lutte contre les paradis fiscaux et les structures de fructification du patrimoine telles que les trusts, qui prospèrent y compris à nos portes. À quelques encablures de Cherbourg - n’y voyez pas malice, monsieur le ministre ! (Sourires) - Jersey compte ainsi quarante-sept succursales de banques internationales et plusieurs centaines d’administrateurs de fonds, de cabinets comptables et de bureaux d’avocats, qui ont sous gestion 220 milliards d’euros d’actifs financiers.
En matière de lutte contre les paradis fiscaux, le maître mot est aujourd’hui la transparence. Or, si la transparence est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Par exemple, un échange automatique de données existe déjà entre la France et la Belgique. Cela a-t-il pour autant permis de limiter l’expatriation fiscale de groupes français ou de Français très fortunés en Belgique ? Les exemples du groupe Bernard Arnault ou d’un très célèbre acteur fournissent la réponse.
La transparence et les échanges d’informations ne mettront pas miraculeusement fin aux paradis fiscaux. Ils ne permettront pas à eux seuls d’abattre ces immeubles de cinq étages qui abritent 12 000 entreprises, comme Ugland House aux îles Caïman. À intervalles réguliers, les gouvernants des grandes puissances annoncent la main sur le cœur, avec parfois un petit haussement d’épaules : « Les paradis fiscaux, c’est terminé ». Ce fut le cas en Grande-Bretagne en 2009, puis en 2011 à Cannes, et le 22 avril dernier. Au bout du compte, les choses n’avancent que très lentement, sans que nous enregistrions pour l’heure de résultats significatifs, mis à part le fait que la question a fait son chemin dans le débat public à la faveur de plusieurs phénomènes.
D’abord, les scandales impliquant des empires financiers et industriels qui dégagent des milliards d’euros ou de dollars de bénéfices et échappent à l’impôt. Je pense aux géants de l’économie numérique : les filiales commerciales d’Apple, AOI et Apple Operations Europe, ont déclaré 30 milliards de dollars de bénéfices entre 2009 et 2012 et n’ont pourtant reversé aucun impôt à aucun État sur les cinq dernières années. Songeons également aux scandales Google, Starbucks ou Amazon.
Le deuxième de ces phénomènes est le contraste saisissant entre les plans d’austérité imposés aux peuples et l’enrichissement sans frein d’une caste de privilégiés. Au risque d’être un peu brutal, c’est la confiscation du pouvoir par les dirigeants de Goldman Sachs. C’est une véritable confusion des postes, qui confine parfois à la collusion. Elle est aujourd’hui intolérable.
Ce capitalisme financier qui prend directement en main le destin des peuples, sans égard pour leurs conditions d’existence, nous en avons constaté les conséquences dramatiques lors des événements survenus récemment au Bangladesh. C’est la réalité d’une dérive de l’oligarchie financière.
Enfin, le dernier élément déclencheur a été, bien sûr, l’affaire Cahuzac.
Chacun a finalement pris conscience de l’influence démesurée et de plus en plus grande des puissances d’argent. Ce phénomène s’est amplifié ces trente dernières années, quand le choc pétrolier a fait craindre aux détenteurs de capitaux de voir leurs marges diminuer. Une véritable guerre a dès lors été menée contre le travail. Elle a été théorisée dans ce qu’il est convenu d’appeler le néolibéralisme. Tout devait désormais aller au capital, aux dividendes, aux intérêts bancaires.
Un nouveau partage de la valeur ajoutée s’est fait sur le dos des salariés, des retraités, du service public. Il a été imposé à coup de traités européens, de libre concurrence, de dérégulation financière, d’attaques répétées contre la législation du travail.
Dans le même temps, banques et multinationales ont multiplié les outils financiers et les schémas les plus sophistiqués pour aspirer les ressources. Ils ont développé une spéculation effrénée sur les monnaies, sur les valeurs mobilières, sur les matières premières. Les cinquante plus grands groupes européens, au premier rang desquels les banques, ont créé au fil des ans pas moins de 5 848 filiales, dans les centres offshore .
C’est dans ce cadre que les paradis fiscaux ont pris une place grandissante et que se sont développés les circuits financiers opaques. Ils ne sont pas une déviance marginale du système, ils en sont le cœur.
Oui, les institutions bancaires, en lien avec les multinationales et les cabinets de conseil, ont imaginé des schémas géniaux pour que leurs clients, particuliers ou personnes morales, échappent à l’impôt.
On ne peut plus accepter les distinctions scolastiques entre fraude fiscale et évasion fiscale, comme s’il y avait un bon et un mauvais évitement fiscal. Pour nous, c’est l’évitement fiscal sous toutes ses formes qu’il faut combattre. C’est la source qu’il convient de tarir.
C’est d’abord une question de justice, de respect de la Déclaration des droits de l’homme qui fait un devoir à chacun de s’acquitter de ce qu’il doit en fonction de sa capacité contributive. Le consentement à l’impôt et, au-delà, notre pacte républicain, sont à ce prix.
C’est ensuite une exigence budgétaire. Les études les plus sérieuses, menées dans le cadre de commissions parlementaires comme celle du sénateur Éric Bocquet, ou émanant d’universitaires reconnus comme Christian Chavagneux, voire de la plateforme associative de lutte contre la fraude fiscale, font état de 60 à 80 milliards d’euros de moins-values de recettes fiscales pour notre pays. C’est considérable ! Et des chiffres du même ordre sont estimés pour tous les pays européens, soit un total de 1 000 milliards d’euros à l’échelle du continent.
Face à de tels enjeux et de tels chiffres, on peut légitimement s’interroger sur la prétendue nécessité de dégrader notre système de retraite solidaire pour économiser 7 milliards, de corseter les budgets des hôpitaux et des collectivités territoriales, ou même de geler le point d’indice des fonctionnaires.
La lutte contre l’évasion et la fraude fiscale est un combat décisif pour toute la gauche et les progressistes, un combat qui permettrait la conquête de nouveaux progrès sociaux, un nouvel équilibre des richesses source d’efficacité économique.
Les textes qui nous sont proposés ce soir s’intéressent centralement à la poursuite et à la répression des fraudes avérées. C’est une étape indispensable, mais les quelque 2,5 milliards d’euros de recettes supplémentaires que le Gouvernement attend de ces mesures souligne la nécessité d’élargir le débat à l’optimisation fiscale dans son ensemble, aux questions telles que les frais de transferts. Sur ces sujets, nous sommes nombreux à gauche à attendre des avancées, et je ne doute pas que nos débats le permettront.
Bien sûr, pour être efficaces, nombre de décisions ne pourront se prendre qu’au niveau européen et international, mais nous considérons que la France doit continuer de jouer un rôle moteur, faire preuve de davantage d’audace. Peut-être faudrait-il aussi que nous n’ayons plus de petits cailloux ou de petits rochers dans notre soulier pour avancer.
C’est pourquoi nous regrettons avec d’autres que le présent projet de loi n’offre pas plus de souplesse sur le plan procédural. Nous regrettons également que la mise en œuvre de ce texte ne s’accompagne pas de moyens renouvelés en personnel et en matériel. Car vous pouvez échanger toutes les informations du monde, si le personnel manque pour les traiter, cela sera dramatique. La direction générale des finances publiques a perdu plus de 15 % de ses effectifs en dix ans. Nous espérons que le projet de loi de finances pour 2014 sera à la hauteur des annonces de ce jour, avec un renforcement considérable des effectifs affectés à la lutte contre la fraude fiscale.
Il faut enfin ouvrir un débat plus large sur les moyens dont nous nous dotons pour nous attaquer à la source de la gangrène financière qui ronge nos économies et nourrit la spéculation et les trafics.
C’est ce qui justifie entre autres notre souhait d’une véritable séparation bancaire et notre volonté de doter notre pays d’un arsenal de dispositions contre les produits spéculatifs les plus toxiques, tous ces instruments qui font de l’ingénierie financière l’adversaire et non l’alliée de l’économie réelle.
C’est également ce qui, à notre sens, exige que l’on redonne au pouvoir politique le pouvoir de création monétaire. Car, si la Banque centrale européenne est indépendante du pouvoir politique et donc du peuple, elle ne l’est ni des banques ni des marchés financiers, et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de la voir aujourd’hui contribuer par l’injection massive de liquidités à la reconstitution d’une bulle spéculative qui, un jour ou l’autre, éclatera.
Nous sommes enfin face à la nécessité de construire une coopération fiscale européenne mutuellement avantageuse. En clair, si rien ne change en matière d’harmonisation fiscale, l’optimisation fiscale qui permet de favoriser la filiale irlandaise ou luxembourgeoise perdurera, tout comme la course au moins-disant salarial.
Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est porteur de propositions concrètes et dans une volonté constructive que notre groupe aborde ce débat. Nous en approuvons les dispositions et la philosophie, et je veux saluer le travail des deux rapporteurs, leur grande ouverture d’esprit et l’écoute attentive dont ils ont fait preuve.
Nous porterons des amendements visant à améliorer la rédaction du texte et à formuler des propositions en matière de lutte contre les carrousels à la TVA, le blanchiment, l’opacité des schémas d’optimisation fiscale.
Ces amendements soulignent notamment l’importance qu’il y a à tirer collectivement tous les enseignements des différents rapports parlementaires qui ont ou ont eu pour thème l’évasion et la fraude fiscales internationales.
Les députés et sénateurs du Front de gauche ont pris et continuent de prendre une part active à la rédaction de ces rapports, qui ont débouché sur la formulation de propositions concrètes et novatrices.
M. Yann Galut, rapporteur. C’est vrai ! M. Bocquet, par exemple !
M. Nicolas Sansu. Je veux aussi saluer les associations qui, avec obstination, portent ce débat jour après jour depuis des dizaines d’années.
Il n’est pas possible de répondre aux défis actuels en se bornant à réinstaller, même en bon état de marche, les outils précédents pour reproduire les mêmes schémas.
L’histoire est émaillée de véritables ruptures face à l’ordre établi. Faisons en sorte que 2013 marque une rupture avec l’arrogance et la domination des forces de l’argent. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

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Nicolas
Sansu

Député de Cher (2ème circonscription)

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