Interventions

Discussions générales

Pt sécurité et lutte contre le terrorisme

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour notre groupe, le terrorisme sous toutes ses formes, où qu’il se produise et quels qu’en soient les responsables, doit être fermement combattu et notre détermination pour l’éradiquer est sans faille.
Parce que l’enjeu est grave, nous nous sommes toujours refusés à concevoir ce combat sous le seul prisme sécuritaire, et nous avons toujours été attentifs au respect des droits fondamentaux.
C’est donc sous l’angle de l’équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et préservation des libertés publiques que nous avons examiné les dispositions du projet de loi dont nous débattons ce soir.
Ce texte s’inscrit dans le contexte lourd qui résulte directement de la montée de la menace terroriste révélée par les tragédies de Montauban et de Toulouse, et nous avons bien noté qu’il a fait l’objet d’un travail commun entre le ministère de l’intérieur et la chancellerie.
Sur la forme, nous sommes plutôt réticents au recours à la procédure accélérée sur un sujet aussi complexe et sensible, d’autant que le gouvernement précédent n’a pas respecté l’obligation de déposer chaque année un rapport d’évaluation comme le prévoyait l’article 32 de la loi de 2006. Un seul rapport d’information a été établi en 2008, et l’un des deux co-rapporteurs, notre ancien collègue Julien Dray, s’y était d’ailleurs montré particulièrement critique.
Il nous paraît donc difficile de demander à la représentation nationale de se prononcer sur la prorogation d’un dispositif exceptionnel qui affecte les libertés publiques sans disposer d’éléments d’appréciation suffisants. L’étude d’impact, aussi fournie soit-elle, ne saurait être considérée comme une évaluation précise des résultats de l’expérimentation autorisée par la loi de 2006.
Sur le fond, le projet de loi reprend donc en son article 1er les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006 – déjà reportées en 2008 – pour en demander la prorogation jusqu’à la fin de l’année 2015.
Ces dispositions interfèrent directement avec l’exercice des libertés publiques et des droits fondamentaux. Adoptées à titre expérimental et temporaire, elles sont loin d’être insignifiantes, et la gauche dans son ensemble s’y était d’ailleurs opposée en raison de leur caractère restrictif : il s’agit de contrôle d’identité sur les lignes ferroviaires internationales, de communication de données, d’identification ou de connexion à des services de communication électronique ainsi que d’accès direct à des fichiers.
L’article 3 de la loi de 2006 n’a pas pour unique objet de prévenir ou de réprimer le terrorisme. Il se situe dans le cadre général des contrôles d’identité destinés à compenser la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen. Comme cela avait été souligné à l’époque, cet article dépasse largement l’objectif de prévention et de répression du terrorisme ; il est utilisé principalement pour lutter contre l’immigration clandestine, ce qui établit un amalgame que l’on ne saurait évidemment admettre entre terrorisme et immigration.
Nous ne pouvons pas non plus soutenir la prorogation de l’article 6 de la loi de 2006 qui permet la réquisition administrative des données de connexion en dehors de tout contrôle du juge judiciaire : la CNIL et la CNCDH avaient d’ailleurs émis des réserves sur cette procédure lors de l’examen du texte initial.
Concernant l’article 9 de la loi de 2006 relatif à l’accès aux fichiers administratifs par les services de police et de gendarmerie, la CNIL et la CNCDH avaient particulièrement attiré l’attention sur la traçabilité des consultations, et insisté sur la nécessité de veiller à ce qu’il s’agisse de simples consultations de fichiers sans qu’aucun croisement ni aucune extraction de données ne soient possibles.
J’ajoute que la question de la constitutionnalité de ces dispositions expérimentales prorogées pour la seconde fois nous semble se poser au regard de l’article 37-1 de la Constitution, qui prévoit la possibilité, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental. Dans notre cas, l’expérimentation en viendrait à durer près de dix ans.
L’article 2 du projet de loi créé un nouvel article 113-13 dans le Code pénal qui permettra de poursuivre en France un délit terroriste commis à l’étranger dès lors que son auteur est de nationalité française.
Nous sommes dubitatifs sur l’utilité de la création de ce nouveau délit. D’une part, le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste permet déjà de couvrir la plupart des situations, l’association de malfaiteurs étant une notion très large qui laisse beaucoup de souplesse au régime antiterroriste français. D’autre part, il est difficile de réunir les preuves concernant les activités concrètes auxquelles une personne a pu se livrer à l’étranger, d’autant plus que dans ce cas, les magistrats devront recourir à la coopération pénale internationale dont les résultats dépendent de la bonne volonté des autorités du pays.
Enfin, comme l’a indiqué le juge d’instruction Marc Trévidic lors d’une audition au Sénat, il est à craindre que l’on se contente d’interpeller dès son retour en France une personne soupçonnée d’avoir effectué un séjour à l’étranger à visée terroriste sans chercher à mener une enquête approfondie permettant d’identifier un éventuel réseau et ses activités. Il s’agirait alors d’une action préventive a minima.
Concernant l’article 3 et la commission d’expulsion, nous sommes défavorables à l’instauration d’un délai impératif pour l’émission de ses avis, car cela ferait inévitablement peser négativement sur les ressortissants étrangers les conséquences des encombrements des audiences. En outre, l’introduction de la notion de rejet implicite revient à amoindrir encore le rôle de la commission, pourtant essentielle dans la garantie des droits de la défense, sachant que depuis la loi du 24 août 1993, ses avis n’ont plus qu’un caractère facultatif.
Enfin, nous sommes satisfaits de la suppression de l’article 2 bis qui créait une incrimination spécifique de recrutement en vue de participer à un groupement terroriste ou de commettre un acte terroriste. La création de cette nouvelle infraction aurait en effet fragilisé la définition de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Nous sommes en revanche défavorables à la création de l’article 2 bis A qui mentionne expressément le chantage dans la liste des infractions pouvant être qualifiées d’actes de terrorisme en raison du but animant l’auteur : comme l’a justement indiqué la garde des sceaux lors de la discussion des articles au Sénat, « le droit en vigueur satisfait cette demande dans la mesure où les extorsions comprennent d’ores et déjà le chantage. »
Pour conclure, et comme vous l’aurez compris, nous sommes très attachés à trouver un juste équilibre entre l’efficacité de la législation antiterroriste et le respect des libertés fondamentales. Cet équilibre est délicat et nous admettons naturellement que des circonstances exceptionnelles puissent appeler des mesures exceptionnelles.
Cela étant, comme l’a très récemment souligné de son côté la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, on peut s’interroger sur l’opportunité même d’apporter des modifications à la législation antiterroriste.
C’est pour toutes ces raisons que les députés du Front de gauche s’abstiendront sur ce projet de loi.

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)

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