Interventions

Discussions générales

Résorption de l’emploi précaire dans la fonction publique

. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons ce soir est présenté comme la transposition du protocole d’accord portant sécurisation des parcours professionnels des agents contractuels signé le 31 mars 2011, mais le Gouvernement, par une malheureuse initiative, l’a complété par un ensemble de mesures disparates, prises au pied levé, sans laisser aux organisations syndicales le temps de la consultation.
C’est notamment le cas du volet concernant l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique. Ce sujet majeur aurait mérité à l’évidence un débat approfondi, tant entre le ministre et les organisations syndicales qu’au sein de notre hémicycle. Par ailleurs, comme il est de coutume en fin de législature, ce texte porte diverses dispositions relatives à la fonction publique.
Nous regrettons ce choix d’avoir fait du projet de loi un texte un peu fourre-tout. Nous aurions gagné en clarté à nous en tenir à son objet principal, à savoir la résorption de l’emploi précaire dans la fonction publique.
Le sujet est en effet d’une importance capitale.
Sur les 5,3 millions d’agents qu’emploient l’État, les collectivités territoriales et les hôpitaux, plus de 890 000 ne sont pas fonctionnaires. Ces non-titulaires représentent environ 20 % des effectifs de la fonction publique territoriale, 15 % de la fonction publique d’État et 16 % de la fonction publique hospitalière. Leur proportion n’a cessé d’augmenter, passant de 14,6 % en 1998 à 16,8 % en 2009. Il faut mettre à part les contrats aidés qui concernent plus de 112 500 salariés précaires sous contrats d’accompagnement dans l’emploi ou sous contrats dits d’avenir, pour lesquels l’obligation de formation n’est toujours pas respectée, en particulier par l’État.
Certes, l’emploi d’agents contractuels n’est pas en soi une anomalie. Depuis 1946, le statut général de la fonction publique prévoit l’embauche d’agents non titulaires dans certains cas spécifiques : remplacement d’un titulaire en congé, vacance temporaire d’un emploi, besoins saisonniers ou occasionnels.
Il reste que les abus sont nombreux. Une étude récente de la direction générale de l’administration et de la fonction publique a montré que 45 % des non-titulaires employés dans la fonction publique d’État en 2003 y travaillaient encore en 2007, quatre ans après. Seulement un quart d’entre eux a changé de statut, essentiellement pour devenir titulaire. Une autre enquête a révélé qu’entre 6 % et 8 % des ingénieurs, techniciens, bibliothécaires et administratifs non titulaires ont une ancienneté supérieure à dix ans dans l’emploi précaire, qu’ils soient employés dans le cadre de CDD ou de vacations rémunérées à l’heure, au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche publique.
Le protocole dont vous nous proposez ce soir la traduction législative est une étape dans la lutte contre la précarité dans la fonction publique. Il est le fruit d’une négociation engagée il y a deux ans par les organisations syndicales. Il propose des avancées attendues par ces personnels que le magazine Alternatives économiques qualifiait récemment de « galériens de la fonction publique ». Il permettra aux milliers d’agents concernés par le dispositif d’accès à l’emploi titulaire, comme à ceux dont le contrat sera requalifié en contrat à durée indéterminée, de bénéficier d’une sécurisation de leur parcours professionnel et de sortir durablement de la précarité qu’ils subissent souvent depuis des années.
Certes, ce texte comporte des avancées, …
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes. Eh oui !
M. André Chassaigne. …mais chacun sait aussi qu’il ne parviendra pas à résorber l’emploi précaire dans la fonction publique. Il souffre de graves lacunes et menace de conduire à de nouvelles dérives.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Elles ont déjà eu lieu.
M. Patrice Martin-Lalande. Rien n’est parfait tant qu’on ne fait rien !
M. André Chassaigne. Permettez que j’analyse le texte, s’il vous plaît !
Il prévoit en premier lieu que l’administration sera désormais tenue d’offrir le bénéfice d’un CDI aux agents titulaires d’un CDD dès lors que ceux-ci auront exercé leurs fonctions pendant une durée minimale de six ans, sur les huit dernières années, pour des postes d’emploi permanent. Il prévoit, en outre, d’ouvrir aux agents contractuels des voies d’accès spécifiques à l’emploi titulaire pendant une durée de quatre ans à compter de la publication de la loi. Seront concernés les agents employés sur la base d’un CDI ou d’un CDD appelé à être requalifié en CDI ainsi que l’ensemble des agents en CDD occupant un poste répondant à un besoin permanent du service public, dès lors que ceux-ci auront justifié d’une durée de service totale de quatre ans sur une période de six années consécutives. À cet effet, vous proposez de définir des « modes de sélection professionnalisés ». Les modalités de cette sélection consisteront, pour l’essentiel, dans des examens professionnels mais pourront aussi prendre la forme des concours réservés, notamment dans la catégorie A, ou de recrutements sans concours fondés sur la seule reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle, notamment dans la catégorie C.
Au total, selon vos estimations, monsieur le ministre, quelque 40 000 à 50 000 agents pourraient être concernés par le dispositif d’accès à l’emploi titulaire et quelque 100 000 agents pouvaient voir leur contrat de plus de six ans requalifié en contrat à durée indéterminée.
La première remarque qui s’impose est que vous proposez davantage un plan de conversion de l’emploi public en emploi contractuel qu’un plan de titularisation de la fonction publique. Je reprends là les termes du syndicat national de l’enseignement supérieur.
De fait, si ce projet recueille votre assentiment aujourd’hui, c’est avant tout parce qu’il banalise le recours aux contrats à durée indéterminée et accompagne en réalité l’entreprise de démantèlement du statut de la fonction publique. Vous nous répondrez que le recours aux contrats à durée indéterminée n’est pas chose nouvelle et qu’à l’occasion de l’adoption de la loi du 11 janvier 1984, les agents qui n’avaient pas demandé ou pas obtenu leur titularisation, ont pu continuer à être employés suivant les stipulations du contrat, le cas échéant à durée indéterminée.
Il reste que le recours aux CDI doit demeurer une procédure exceptionnelle car il malmène dangereusement le principe d’indépendance du fonctionnaire. Ce principe, rappelons-le, conduit à distinguer le grade, propriété du fonctionnaire, de l’emploi. Il vise à protéger l’agent public, et, par là, le service de l’intérêt général, de l’arbitraire administratif. C’est ce que l’on appelle le système de la carrière, opposé au système de l’emploi en vigueur dans nombre de pays anglo-saxons, qui a de longue date votre faveur.
D’un côté, vous banalisez les CDI ; de l’autre, vous assortissez la titularisation de conditions si restrictives que votre projet de loi laissera en réalité sur le bord du chemin les plus précaires parmi les précaires.
En l’état, votre dispositif écarte en effet les agents recrutés à titre temporaire et les contractuels à temps incomplet, majoritairement des femmes, qui sont les premières cibles des procédures de recrutements abusives et les personnels les plus directement exposés aux situations de précarité.
De même, le changement d’employeur au sein de chacune des trois fonctions publiques aura pour effet d’interrompre l’ancienneté, privant du bénéfice du dispositif les très nombreux contractuels contraints de cumuler les emplois auprès de différents employeurs publics successifs.
M. Bernard Roman. Très juste !
M. André Chassaigne. Vous créez ainsi une situation d’inégalité de fait entre ceux qui occupent un même poste depuis plus de quatre ans et ceux, les plus précaires, qui ont été contraints de changer d’employeur entre-temps.
M. François Sauvadet, ministre. Il y aura portabilité pour les CDD !
M. André Chassaigne. Soulignons enfin que toutes celles et ceux qui remplissent les conditions de la titularisation ne seront pas mécaniquement titularisés puisque le nombre de postes ouverts correspondra aux besoins recensés par les services, et non pas au nombre d’agents titularisables.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ce n’est pas vrai !
M. André Chassaigne. Dans ces circonstances, comment ne pas regretter que vous n’élaboriez pas un véritable plan de titularisation ? Convenez que votre texte n’a que peu de chances de permettre de résorber durablement l’emploi public précaire.
Ce n’est sans doute pas votre ambition, du reste. Comment, en effet, résorber l’emploi précaire sans sortir de la logique de la RGPP, de la logique de la réduction du nombre des fonctionnaires, de la logique de la baisse des dépenses publiques ?
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. Chiffon rouge !
M. François Sauvadet, ministre. C’est un système gagnant-gagnant !
M. André Chassaigne. Vous savez fort bien que l’équation est impossible à résoudre sans l’ambition de redonner à l’État, aux collectivités locales, aux hôpitaux, les moyens d’accomplir leurs missions au service de l’intérêt général – moyens que vous n’avez cessé de leur refuser, car vous n’envisagez l’avenir de nos services publics qu’au prisme d’une logique comptable qui n’est qu’une caricature de la logique économique, et avec la perspective de remplacer les services publics par des services marchands.
En ne proposant qu’une titularisation très partielle, vous poursuivez, monsieur le ministre, dans la même direction, celle de la réduction de la dépense publique. Vous continuez à ne considérer les services publics que comme des coûts, alors qu’ils sont la richesse de notre pays.
Du fait de ses graves insuffisances, votre projet de loi laissera plus des deux tiers des agents précaires sur le carreau, sans réponse et sans solution ; et je ne parle même pas des enseignants vacataires, rémunérés à l’heure, souvent avec plusieurs mois de retard, sur la base d’un taux horaire inchangé depuis 1989, comme le rappelait le médiateur de la République en 2010. Et comment ne pas évoquer d’autres oubliés, comme les auxiliaires de vie scolaire dont les contrats, comme tant d’autres, ne sont pas renouvelés, au mépris de leur expérience et de leur investissement dans leur métier ?
Comment, enfin, prétendre endiguer à l’avenir le recours aux emplois contractuels, alors que les obligations dont fait mention le projet de loi ne sont assorties d’aucune sanction, et que les employeurs publics sont par ailleurs soumis à l’injonction gouvernementale de limiter les dépenses, c’est-à-dire de puiser dans le vivier de cette main-d’œuvre malléable et à moindre coût que nous venons d’évoquer ? Comment croire que votre dispositif ne sera pas lui-même détourné, que des employeurs ne seront pas tentés de recruter systématiquement des agents publics différents, toujours en CDD, pour accomplir une mission qui relèverait en réalité d’un poste permanent, dans l’unique but de n’avoir pas à leur proposer un CDI ?
Vous le constatez, mes chers collègues – vous l’avez, je n’en doute pas, constaté en m’écoutant –, ce projet de loi ne nous satisfait pas – du moins pas complètement.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes, M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur, et M. François Sauvadet, ministre. Ah !
M. André Chassaigne. Je dirai que l’atterrissage ne répond pas aux attentes nées de l’envol.
Nous constatons que vous tirez prétexte de l’aggravation des situations de précarité, qui est essentiellement le fruit de la politique de baisse drastique des dépenses publiques, pour promouvoir la contractualisation au mépris des principes fondateurs de notre fonction publique. Nous aurons, je n’en doute pas, l’occasion d’y revenir au cours de nos débats.
Pour autant, le groupe des députés du parti communiste, citoyens et du parti de gauche ne peut se résoudre à priver les agents concernés, même s’ils sont à notre sens trop peu nombreux, de mesures qu’ils attendent. Nous serons donc conduits à nous abstenir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean Proriol. Encore un effort !
M. André Chassaigne. Encore ne faudrait-il pas que des amendements gouvernementaux du crépuscule restreignent encore davantage l’application de ce projet de loi, notamment dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
M. Pierre Morel-A-L’Huissier, rapporteur. C’est une menace ! (Sourires.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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