Interventions

Discussions générales

Simplification du droit et allègement des démarches administratives

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à défaut de résultats probants en matière économique et sociale, le Gouvernement, qui légifère pourtant avec boulimie, n’en finit pas d’imposer la simplification de notre droit comme un remède indispensable à la croissance et à l’emploi.
Après l’adoption de trois lois dites de simplification du droit et des procédures, qui, en réalité, ont modifié le droit en maints domaines, M. Warsmann récidive en défendant aujourd’hui un quatrième texte pour le moins touffu, comprenant plus de quatre-vingt-dix articles hétéroclites visant globalement les entreprises, une vingtaine d’entre eux touchant directement à la législation du travail et au droit de la sécurité sociale en allant au-delà d’ajustements sémantiques.
En attente, nous avons aussi la proposition de loi du sénateur Doligé ambitionnant rien de moins, sous prétexte de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales, que de permettre de déroger au principe d’accessibilité consacré par la loi du 11 février 2005 sur le handicap.
Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que nous prenions garde à ces initiatives, loin d’être anodines, comme l’épisode douloureux de la scientologie nous le rappelle, surtout quand elles touchent au domaine sensible de notre droit social.
Depuis 2004 et le rapport Virville plaidant en faveur de la modernisation du droit du travail, qui ne remplirait plus sa double mission de protection du salarié placé dans une situation de subordination juridique et de développement de l’emploi et de l’activité économique, en donnant à l’employeur un vrai pouvoir de direction, il faut dire que vous vous êtes montrés particulièrement sensibles aux arguments du MEDEF. Celui-ci a fait de la simplification du droit du travail son cheval de Troie pour que soient revues notamment des règles présentées comme archaïques, complexes, rigides, en matière de durée du travail et de licenciements économiques, pour que s’impose la séparation à l’amiable dont on connaît les dégâts.
Oubliant la spécificité du droit du travail par rapport aux autres branches du droit, son ancrage dans les rapports sociaux, gommant les raisons de son épaisseur historique, de sa dimension symbolique, de sa complexité, ses sources législatives, unilatérales, négociées ou jurisprudentielles, nationales, communautaires ou internationales, loin d’alléger et de stabiliser ce droit, vous l’avez complexifié davantage, renforçant l’insécurité juridique.
En 2004, M. Fillon, alors ministre du travail, inversait la hiérarchie des normes, ouvrait largement la voie aux accords collectifs dérogatoires dans un sens défavorable aux salariés, développant la flexibilité. Depuis, nous vous avons beaucoup entendu plaider en faveur de la force du contrat, de l’individualisation de la relation de travail. La jurisprudence sociale s’est construite, affirmant les droits de l’homme au travail, notamment le droit de mener une vie familiale normale, faisant en quelque sorte du contrat de travail un moyen de résistance au service du salarié face aux accords d’entreprise dérogatoires aux accords de branche ou au code du travail.
Aujourd’hui, pour mettre à mal la jurisprudence de la Cour de cassation du 9 septembre 2010 permettant au salarié de refuser l’application d’un accord de modulation de son temps de travail bouleversant son contrat de travail et portant également atteinte à sa vie privée, sans scrupule aucun, vous avancez la tradition juridique, les risques de réduction de l’autorité et de l’efficacité de l’accord collectif en matière d’organisation du travail.
Nous reviendrons dans la discussion sur cet article 40, le plus emblématique de la philosophie politique qui anime cette proposition de loi, de l’aveu même du rapporteur pour avis, parce qu’il ne se contente pas de simplifier le droit mais qu’il le modifie et constitue un recul important et grave pour les droits des salariés afin de permettre aux entreprises d’appliquer sans difficulté un accord de modulation du temps de travail et d’imposer aux salariés des périodes hautes et basses sans leur accord.
Outre le scandaleux amendement de la droite populaire sur les heures supplémentaires, citons l’article 46 permettant d’alléger la charge incombant aux employeurs des TPE d’évaluer les risques professionnels auxquels les salariés sont exposés, amoindrissant la protection des salariés dans un million de TPE ; l’article 48 imposant la transmission systématique du procès-verbal de l’inspecteur du travail à l’employeur en cas d’infraction au droit du travail de nature contraventionnelle, risquant d’entraver l’action pénale de l’inspection du travail.
M. Michel Issindou. Cela fait beaucoup !
M. Roland Muzeau. Nous montrerons, comme ce fut le cas lors de la recodification du code du travail en 2008, qui ne s’est pas faite à droit constant, qu’en fin de compte, derrière le présent texte de simplification, il y a d’autres projets. Ces articles ont une portée substantielle, ils modifient la législation existante, les droits qu’elle confère aux salariés, et devraient au moins être soumis à l’avis des partenaires sociaux, ce que la loi impose et dont vous vous êtes pourtant exonérés une nouvelle fois.
Nous proposerons la suppression de ces dispositions, mais également celles des articles 32 et 33 qui, sous couvert d’harmonisation de la définition des seuils d’effectifs entrant dans la détermination de la majoration de la réduction de cotisations sociales employeur, conduisent à étendre le champ des entreprises bénéficiant du coefficient majoré de la réduction des cotisations sociales dite Fillon, des groupements d’employeurs auxquels est appliqué le coefficient maximal de cette réduction, une initiative privant, de surcroît, la sécurité sociale de 20 millions d’euros de recettes.
Enfin, l’article 40 bis porte l’intégration dans le code du travail d’une disposition de l’accord national interprofessionnel de 2005 relative au télétravail. Une organisation signataire de cet accord, FO-cadres, s’inquiète d’une rédaction laissant à penser que le caractère volontaire du télétravail est amoindri, fragilisé, au détriment de l’intérêt du salarié.
Déjà, à l’occasion de l’épidémie de grippe A, monsieur le secrétaire d’État, alors que vous siégiez encore sur ces bancs en tant que député, vous vous étiez particulièrement impliqué pour faire avancer le principe d’obligation. La rédaction incriminée porte la notion de « circonstances exceptionnelles », notion élastique, donc porteuse d’abus. Nous en demandons le retrait. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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Roland
Muzeau

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