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Société : immigration, intégration et nationalité

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, nous discutons aujourd’hui en deuxième lecture du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, et vous avez trouvé de nouveaux arguments pour justifier ce texte. Aujourd’hui, l’afflux soudain de migrants rendrait ce texte nécessaire ; une situation exceptionnelle, selon votre expression, monsieur le ministre. Vous êtes tellement obnubilés par les questions d’immigration que vous avez perdu toute capacité d’analyse des événements. Ainsi, votre première réaction par rapport à la fantastique vague de démocratie dans les pays du Maghreb et du Machrek n’est pas de vous émerveiller de ce mouvement courageux des peuples pour la démocratie ; vous agitez la peur des migrations.
C’est ainsi que M. Goasguen, rapporteur de la commission des lois, a osé dire au début de son intervention : « La situation s’est considérablement dégradée ».
Voilà le regard que vous portez sur la chute de dictatures corrompues. C’est significatif ! Nous, nous nous félicitons de la chute de ces régimes dictatoriaux et corrompus.
Le débat que nous allons avoir sur ce texte n’aura pas simplement pour but de démontrer le caractère nauséabond de votre politique. Après la gestion catastrophique de la politique étrangère dans une période aussi importante que celle des révolutions citoyennes, après le remaniement ministériel et après le discours de Nicolas Sarkozy au Puy-en-Velay, ce débat sera aussi celui de l’image de la France. La France n’est pas un pays qui tolère que l’on attise les haines, ni pour des raisons politiciennes et électorales ni pour aucune autre raison. Elle est encore moins un pays qui accepte que des politiques xénophobes soient conduites, en son nom, par son propre gouvernement, tournant ainsi le dos au pacte républicain.
C’est pourtant ce qu’a fait Nicolas Sarkozy dans son discours du Puy-en- Velay. Il tourne le dos ouvertement au principe de laïcité lorsqu’il tente une nouvelle fois d’assimiler l’identité de la France à l’identité chrétienne, réduite d’ailleurs au catholicisme. Il attise la haine et la différence de l’autre en excluant de fait tous ceux qui ne s’y reconnaissent pas.
Il ferait mieux de se souvenir que notre identité se fonde sur des principes d’égalité et de séparation de l’Église et de l’État, principes qui ne sont pas négociables. La question qui nous est posée est de savoir si nous acceptons que la France soit le pays du rejet et de la haine ou celui qui prend exemple sur le souffle de liberté et de fraternité des peuples arabes.
En revenant sur un certain nombre de dispositions du texte, les sénateurs ont d’ailleurs a été plus sages que les députés de droite n’ont su l’être en première lecture. Ils ont repoussé l’extension de la déchéance de nationalité. Ils sont revenus sur les mesures concernant le droit de séjour des étrangers malades. Ils ont introduit des facilités de démarches pour le renouvellement des cartes d’identité des personnes nées à l’étranger. Ils avaient même cassé l’augmentation des peines encourues pour un mariage blanc. Mais la commission des lois de l’Assemblée est revenue systématiquement sur toutes les dispositions positives votées par les sénateurs, y compris les éléments relatifs à la saisine du juge des libertés et de la détention.
Aujourd’hui, un étranger en rétention dans un centre comparaît devant le juge des libertés et de la détention au bout de quarante-huit heures, avant qu’il ne soit statué sur sa libération. La commission des lois a accepté de nouveau la disposition repoussée par le Sénat qui écarte la décision du juge des libertés en reportant son intervention à cinq jours. Avec ce délai, le juge administratif interviendra avant le juge des libertés pour décider de la légalité de la mesure d’expulsion, avant que l’on ait statué sur la légalité de sa rétention.
Vous avez aussi renforcé une nouvelle fois, de façon absurde et grotesque, la condamnation des mariages blancs, repoussant à sept ans de prison et 30 000 euros d’amende les peines encourues, alors qu’il faudrait abroger ce dispositif.
D’abord, celui-ci est d’une qualité juridique tout à fait douteuse. On se demande bien comment les autorités vont pouvoir prouver qu’il y a eu « escroquerie aux sentiments ». La logique de l’article reflète bien votre idéologie. Il fait peser sur les étrangers cette idée de présomption de fraude et de tentative de tricherie permanente. Au final, cela revient à en faire un délit plus grave que celui de recel, par exemple, et plus grave que la détention du produit ou du résultat d’un crime. Vous en faites une peine équivalente à celle de l’ex-dictateur du Panama, Noriega, que le tribunal correctionnel de Paris a condamné à sept ans de prison, mais lui c’était pour le blanchiment de l’argent de la drogue !
Quant à la déchéance de nationalité, non seulement il s’agit au départ d’une mesure absurde à usage politicien, mais vous avez même été tentés d’en étendre encore le périmètre aux délinquants condamnés trois fois à la prison. Cette mesure, quel qu’en soit le périmètre, aurait créé une nationalité à deux vitesses. Il est parfaitement scandaleux de prétendre mettre en tel système en place. Démagogique, il est par ailleurs parfaitement contraire à la Constitution qui stipule, dans son article 1er, que tous les Français sont égaux devant la loi quelle que soit leur origine. En effet, la déchéance de nationalité propose de classer les personnes entre « Français de souche » et « Français d’origine étrangère », rompant ainsi avec la logique d’égalité et créant des « Français en sursis ».
Enfin, l’instauration de cette double peine est contraire à la Convention du Conseil de l’Europe que la France a signée, qui interdit la déchéance de nationalité pour des motifs de droit pénal général.
La commission des lois a également rétabli les mesures à l’encontre des sans-papiers souffrant d’une pathologie grave. Cela fait des années que vous essayez de revenir sur les dispositions existantes. Le texte revient ainsi sur la possibilité de régularisation des sans-papiers malades. Il remet également en cause la disposition introduite en 1997 qui interdit l’éloignement des personnes gravement malades. Il s’agit là d’un recul considérable qui va encore plus loin que ce que la loi prévoyait initialement, qui est très éloigné de ce que proposent les directives européennes et condamne de fait des milliers de personnes à une mort certaine. En remplaçant l’idée d’accessibilité par la notion de disponibilité des soins, vous renvoyez les étrangers résidant habituellement en France à une profonde inégalité. Les soins sont formellement disponibles partout dans le monde, sans qu’il soit pour autant possible de se faire soigner ou de se payer les traitements. Combinée à la réforme de l’AME, une telle disposition nous expose à de graves problèmes de santé publique. Les microbes n’ont que faire des frontières ou de savoir si le porteur a des papiers en règle. Il relève de la santé publique, si ce n’est de l’intérêt général, de soigner ces personnes. Toutes les associations se sont alarmées de cette mesure, qui est par ailleurs tout à fait contraire, encore une fois, à vos engagements. Je me souviens des débats en première lecture, notamment des engagements du Plan national de lutte contre le sida.
Au final, vous créez un véritable régime d’exception pour les immigrés. À vouloir sans cesse détourner l’attention des causes du chômage et de la précarité, vous cassez durablement le tissu social. Vous feriez mieux de vous occuper de tous ceux qui cherchent à échapper à l’impôt, plutôt que des migrants qui cherchent simplement à fuir la misère et la pauvreté.
Si le sujet n’avait pas été aussi grave, on aurait presque pu ironiser lorsque le Président de la République a déclaré au Puy-en-Velay que « ce sont ceux qui contribuent à toute la chaîne de solidarité qui participent de l’image et de l’identité de la France ». C’est pourtant le même Gouvernement qui n’hésite pas à engager des poursuites contre celles et ceux qui viennent en aide aux personnes fuyant la misère, les guerres et les violences en tout genre.
Au final, ce quatrième texte en sept ans est celui qui souffle sur les braises du Front national, celui du racisme libéré, celui qui légitime l’idée que l’immigration serait coupable de tous les dégâts causés par les politiques libérales, depuis trop longtemps maintenant. À décomplexer ce sentiment, vous embourbez la France dans une scandaleuse image d’elle-même. C’est ainsi que Mme Brunel, députée UMP, n’hésite pas à emboîter le pas au Front national en proposant de remettre les immigrés dans les bateaux, quand Marine Le Pen propose de les repousser dans les eaux internationales. Comment peut-on oublier toute humanité au point de renvoyer consciemment à la mort des êtres humains qui ne sont coupables que de rechercher une vie meilleure ?
Votre panique à la perspective de perdre les élections vous amène aux surenchères les plus sinistres au point d’en être prisonniers et de ne plus pouvoir vous démarquer du Front national. À quoi bon ? N’avez-vous pas appris depuis le temps que les électeurs racistes préfèrent l’original à la copie, le Front national à l’UMP ? Malheureusement, la situation actuelle risque de nous donner raison avec un seul point positif : vous faire perdre les élections de 2012 et nous les faire gagner. Nous refusons donc globalement ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
 

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Martine
Billard

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