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Société : immigration, intégration et nationalité

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’abandon de certains reculs dans le droit des étrangers lors de l’examen du projet de loi au Sénat, nous voici revenus à la case départ, après le passage du texte en commission des lois.
Pour commencer, je voudrais revenir sur la question de la déchéance de nationalité. Supprimer cette disposition n’efface pas pour autant le discours de Grenoble, véritable honte pour la République. Aux termes de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Nous n’avons pas de différence à faire entre Français naturalisés et Français nés français.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’acquisition de la nationalité, la vérification de la maîtrise de la langue française n’est pas une solution. Quels moyens mettons-nous en œuvre pour offrir la possibilité aux immigrants non francophones d’acquérir facilement et rapidement la maîtrise de notre langue ? Non seulement notre pays, tout comme l’Union européenne, se referme sur lui-même, mais ceux que nous accueillons sont pour vous des sous-citoyens, comme le montre la suspicion permanente et systématique que vous voulez instaurer à propos des « mariages gris », triste appellation.
Inhumaine est la suppression du séjour pour soins dans le cas de la disponibilité d’un traitement dans le pays d’origine. En effet, le caractère disponible ou non d’un traitement n’a aucune valeur. Ce qui compte, c’est la possibilité d’accès réelle à ce traitement ! Or dans de nombreux pays, comme en France d’ailleurs, tout le monde n’a pas accès à un traitement, même s’il existe ! Et à l’étranger, lorsque ces traitements sont disponibles, ce sont des médicaments d’ancienne génération, moins efficaces et comportant plus d’effets secondaires indésirables. Avec ce texte, des personnes vont courir le risque d’être condamnées par défaut de soins.
L’autre cas de figure serait celui où les malades choisiraient de vivre en France de manière clandestine. Le fait de ne pas pouvoir se soigner correctement entraînera alors l’aggravation de la maladie, ce qui aura des répercussions catastrophiques. Plus on traite tard, plus l’addition est lourde, n’en déplaise à ceux qui souhaitent, par ce stratagème, alléger les dépenses publiques de l’AME – aide médicale d’État. Sa restriction serait un crime et un danger pour la santé publique. Les virus et les microbes ne se préoccupent pas de la nationalité des malades, les députés UMP, oui !
On comprend que de nombreuses associations de lutte contre le sida se soient prononcées contre cette disposition en raison des problèmes qu’elle entraînerait à la fois en France et dans le pays d’origine. Avec cette politique de courte vue, ce n’est rien de moins qu’un coup de pouce à l’épidémie que vous donnez.
Dans le même chapitre des traitements inhumains, je ne m’étendrai pas sur les centres de rétention, qui sont de véritables univers carcéraux destinés à des non-criminels dont la seule faute aura été de naître au mauvais endroit.
La majorité et le Gouvernement proposent des moyens renforcés et étendus seulement pour la partie du monde judiciaire qui met en application l’expulsion de toujours plus d’hommes et de femmes, ainsi que de leurs enfants, dans des conditions toujours plus expéditives et plus brutales, indignes de notre République. Quand la justice a pour fonction de renvoyer un certain nombre d’hommes et de femmes en dehors de nos frontières, alors vous la respectez et la dotez de moyens suffisants !
La commission des lois a également rétabli les mesures visant à réduire le rôle du juge des libertés et de la détention. En France, nous sommes censés appliquer le principe de la séparation des pouvoirs. S’il y a, comme l’estime le Gouvernement, trop de libérations, c’est qu’il y a des décisions de justice. Ces décisions sont fondées sur notre droit, fruit de la délibération politique, et sont le fait d’une autorité constitutionnelle indépendante, l’autorité judiciaire. C’est tout cela que vous remettez en cause ! En fait, s’il y a, comme vous le pensez, trop de libérations, ce n’est pas parce qu’il y a trop de laxisme ; c’est parce que trop de gens se retrouvent devant un juge alors qu’ils n’auraient jamais dû l’être !
Ajoutons que la généralisation de l’obligation de quitter le territoire français sans délai permettra, une fois encore, de restreindre le droit des étrangers à contester la décision prise par l’administration à leur encontre. La personne de nationalité étrangère ne disposera plus que d’un délai de quarante-huit heures pour introduire un recours lui-même complexe et nécessitant les conseils de spécialistes.
Ce projet de loi complexifie sciemment la défense des personnes étrangères. C’est un recul de l’État de droit et du droit à une juste défense. Au fond, vous assimilez la question de l’immigration à celle de la sécurité publique, du chômage ou de la « dérive des comptes publics et sociaux ».
Vous dites vouloir régler le problème de l’immigration. C’est la sixième loi – si j’ai bien fait le compte – sur le sujet en neuf ans... J’en conclus que votre politique est non seulement inhumaine et xénophobe, mais aussi inefficace ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Elle s’inscrit dans le droit-fil des déclarations du chef de l’État, qui ne voit dans les révolutions arabes qu’un « risque migratoire » alors qu’il faudrait saluer et encourager sans réserve les mouvements des peuples pour la démocratie et la liberté.
Face à l’action répressive persistante et aux violations des droits humains fondamentaux, on en oublie la vraie question : pourquoi notre pays peut-il apparaître à ces immigrés comme un refuge ?
Il faudrait respecter le droit d’asile, qui est une considération élémentaire d’humanité et une obligation internationale de la France, au lieu de le mettre à mal ! Les migrants fuient des situations économiques dramatiques, mon cher collègue, la pauvreté extrême, des guerres, des pressions incessantes sur eux, leur famille, leur travail.
Tout cela est dû aux déséquilibres régionaux et internationaux auxquels la France contribue activement.
Sans aucune considération pour le droit à l’autodétermination et à la liberté des peuples, la France envoie ses armées aux quatre coins du monde – 4 000 hommes en Afghanistan. Il est par exemple injustifiable de renvoyer, comme cela se fait aujourd’hui, des immigrés afghans dans un pays dans lequel nous faisons la guerre.
La France protège, y compris par la force, ses « intérêts économiques » comme l’exploitation par Areva ou Bolloré des mines d’or ou des plantations en Afrique. C’est l’entreprise française Total qui exploite le pétrole en Libye. Une intervention militaire contre Kadhafi viserait-elle à protéger le peuple libyen ou le pétrole libyen ?
C’est l’économie capitaliste mondialisée, avec le concours de gouvernements comme celui de la France, qui contribue à l’organisation d’un monde invivable pour la majorité de ses habitants. À partir du moment où nous ouvrons des brèches dans nos valeurs et notre droit, celles-ci ne pourront que s’agrandir. Qui peut dire où cela nous mènera ?
Stigmatiser les étrangers et, de manière plus générale, les immigrés se retournera bientôt contre toute notre société, contre tous nos concitoyens. Cela risque de nous entraîner dans un gouffre. Contrairement à ce que vous voulez nous faire croire, les frontières, les barrières, les murs existent moins entre les cultures et les religions qu’entre les riches et les pauvres. Un Malien riche sera toujours le bienvenu en France. Nous n’avons pas vu de riches étrangers arrêtés à leur travail, raflés aux sorties des écoles ou chargés dans des charters. Les seuls contre qui se dirige votre politique répressive sont ceux qui sont venus pour sauver leur vie ou en trouver une meilleure, et à qui on refuse cette possibilité.
Vous êtes les chantres de la liberté de circulation mondiale des capitaux, mais pas des hommes : une liberté à géométrie variable qui démontre que vous placez l’humain après l’argent ! C’est le cas dans la Constitution européenne, rebaptisée traité de Lisbonne, que vous avez ratifiée contre l’avis du peuple français.
Je prendrai aussi l’exemple du renouvellement de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Tunisie. Les dirigeants européens font mine de s’inquiéter de « l’invasion » de Tunisiens sur nos côtes. Mais lisons ce qu’ils proposent aux malheureux Tunisiens. L’article 1er de cet accord d’association énonce 1’objectif général de « fixer les conditions de la libéralisation progressive des échanges des biens, des services et des capitaux ». L’article 11 prévoit l’élimination graduelle de tous les droits de douane. L’article 34 prévoit la libre circulation des capitaux concernant les investissements directs en Tunisie et le rapatriement du produit de ces investissements et de tous les bénéfices en découlant.
En clair, cet accord d’association est un pillage pur et simple de l’économie tunisienne, un outil de l’impérialisme européen qui a amené à la privatisation de la plupart des entreprises publiques du pays, au contrôle de ces entreprises par les multinationales en facilitant la corruption.
Il faut bien comprendre que l’internationalisme des travailleurs ne s’oppose pas au patriotisme. Parce qu’il n’aspire qu’au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le vrai patriotisme s’oppose au colonialisme, au capitalisme, au supranationalisme impérialiste, ainsi qu’à leurs instruments idéologiques : les défouloirs du racisme et de la xénophobie !
Je me souviens également de l’examen de la proposition de loi de nos collègues du groupe SRC, examinée en juin dernier, qui visait à supprimer les conditions de nationalité restreignant injustement 1’accès des travailleurs étrangers non communautaires à certaines professions libérales ou privées. À diplôme égal, un étranger devrait pouvoir être embauché comme n’importe qui.
J’avais été marqué par les arguments de la droite dans cet hémicycle, d’autant qu’au Sénat, elle avait voté le texte.
Sur le fond, admettre des discriminations en vertu de la nationalité revient à cautionner 1’idée de préférence nationale chère au Front national ! Regardez ce que donnent les sondages !
 

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Jean-Jacques
Candelier

Député du Nord (16ème circonscription)
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