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Conservation et restauration de Notre-Dame de Paris (Nlle lect.)

Deux mois et demi ont passé depuis l’incendie de Notre-Dame, et l’émotion demeure. Les travaux de consolidation et de sécurisation avancent, mais, comme vous l’avez dit, tout reste fragile. L’enquête préliminaire sur les causes de l’incendie vient de s’achever. Je veux remercier tous les acteurs de cet immense chantier.

Dans les rues de Paris, des hommes et des femmes divers continuent de se presser pour contempler la cathédrale, avec un regard nouveau et, bien souvent, le sentiment de voir une rescapée. On se dit, en effet, que l’on a échappé au pire. Les images du feu nous reviennent en tête, mais, très vite, la confiance reprend le dessus : nous savons qu’elle sera restaurée par des hommes et des femmes de grand talent, à l’expertise et au sérieux reconnus. Le savoir-faire a traversé les âges. Si les techniques, les procédés et les matériaux ont évolué, l’excellence reste une exigence.

Prendre ce chantier de bonne façon, posément, nous le devons aux milliers de compagnons et de travailleurs qui ont bâti nos cathédrales du nord au sud de la France. Aux architectes en chef, aux artisans et aux forçats qui portaient les pierres, nous devons l’excellence. Aux artistes qui ont su sublimer Notre-Dame, œuvre d’art dans l’œuvre d’art, par l’écrit, la sculpture ou la peinture, nous devons de redonner à Notre-Dame toute sa beauté, elle qui est « tellement plus belle du côté de l’abside que du côté du parvis », comme l’écrivait Aragon.

Prendre ce chantier de bonne façon, posément, nous le devons aux milliers de compagnons et de travailleurs qui ont bâti nos cathédrales du nord au sud de la France. Aux architectes en chef, aux artisans et aux forçats qui portaient les pierres, nous devons l’excellence.

Je pense que ce constat est partagé par beaucoup ici. Alors, nous devrions convenir du caractère précipité de ce projet de loi portant sur la restauration de Notre-Dame, et dénoncer l’affaiblissement des règles de protection du patrimoine qu’il prévoit. Comme nous l’avons déjà expliqué en première lecture, ce texte n’a que peu de pertinence concernant la restauration de Notre-Dame. Surtout, on s’échine à éviter toutes les expertises et les règles en matière d’architecture, de patrimoine, d’archéologie ou d’environnement, au nom d’une supposée efficacité. Déroger au droit commun serait gage de fiabilité ? Quel exemple est ainsi donné !

La série de dérogations prévue à l’article 9 est source de dangers. En quoi déroger au code du patrimoine permettrait de mieux restaurer Notre-Dame ? En vertu de quelles analyses mettre de côté le code de l’environnement serait une idée judicieuse ? Ni le Gouvernement ni sa majorité ne sont capables d’expliquer précisément en quoi le droit en vigueur créerait des obstacles infranchissables susceptibles d’empêcher la restauration réussie de Notre-Dame. De plus, pour l’heure, nous ne connaissons ni le coût des travaux, ni leurs modalités, ni les procédés qui seront utilisés. En conséquence, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine proposera de nouveau de supprimer l’article 9, comme l’a fait le Sénat.

Je reste très dubitative sur l’intérêt de créer un nouvel établissement public. Il existe déjà deux établissements publics compétents en matière de restauration d’ampleur : le Centre des monuments nationaux – CMN – et l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture – OPPIC.

Ni le Gouvernement ni sa majorité ne sont capables d’expliquer précisément en quoi le droit en vigueur créerait des obstacles infranchissables susceptibles d’empêcher la restauration réussie de Notre-Dame.

Néanmoins, si le Gouvernement tient à créer un nouvel établissement, il conviendrait que les personnes les plus compétentes siègent dans son instance de décision. Nous proposons, à l’instar de mon collègue Pierre Ouzoulias au Sénat, de préciser que le conseil scientifique sera composé notamment de personnes compétentes dans les domaines de l’architecture, de l’histoire médiévale et de l’archéologie, choisies parmi les conservateurs du patrimoine, les architectes des Bâtiments de France, les architectes en chef des monuments historiques, les enseignants-chercheurs, les directeurs de recherche et les chercheurs du Centre national de la recherche scientifique. C’est à ces personnes, sous la tutelle du ministère de la culture, qu’il convient de laisser le soin de prendre les décisions concernant Notre-Dame. C’est tout de même plus utile d’inscrire cela dans la loi qu’une dérogation d’âge pour diriger un établissement public ! C’est dans ce même esprit que les députés du groupe GDR souhaitent que soit rétablie dans la loi la disposition précisant que les travaux seront dirigés par l’architecte en chef des monuments historiques.

Ne nous trompons pas de débat, mes chers collègues. Selon moi, il ne s’agit pas de décider par la loi si la restauration devra se faire strictement à l’identique, ou de déterminer l’état visuel de la cathédrale une fois achevée. Chacun a son opinion, ce qui est bien normal puisque ce débat sur la nature de ce que doit être une restauration, sur les ajouts, sur « l’après » des destructions, volontaires ou accidentelles, est très ancien. Cette articulation délicate entre ce qui a été fait, ce qui a été défait et ce qui doit être refait, à l’identique ou non, nous ne pouvons le trancher ici.

Néanmoins, je crois important de respecter quelques principes protecteurs pour éviter les excès et les dérives, dont certains sont rendus possibles par ce projet de loi.

Ainsi, il est nécessaire de mentionner la charte de Venise de 1964 dans ce texte, qui doit s’y conformer. Il s’agit ici non pas de faire preuve de conservatisme ou de refuser les marques de notre temps, mais seulement de préserver un monument historique d’une envergure exceptionnelle. Cette charte ne préconise rien d’autre que de respecter « les valeurs esthétiques et historiques du monument », et précise que tout ajout doit être réalisé dans l’harmonie du monument. Son article 9 prévoit que la restauration doit impérativement être « accompagnée d’une étude archéologique et historique du monument ».

Cela sera-t-il prévu ? Toutes ces règles seront-elles respectées ? Nous sommes en droit d’en douter à la lecture des dérogations accordées, notamment aux règles de l’archéologie préventive. Vous nous soumettez une loi d’exception à un droit commun protecteur. Cela nous oblige à proposer de réintroduire, par des amendements, des règles de protection qui apparaissent pourtant évidentes.

Ne nous y trompons pas, ce projet de loi aurait pu se borner à lancer une souscription nationale, à créer une nouvelle incitation fiscale et à sécuriser les dons pour les collectivités territoriales. Si nous en sommes aujourd’hui à débattre des modalités de la restauration, c’est simplement parce que M. le Président de la République, se muant en architecte en chef, décida, le lendemain de la catastrophe, d’un délai de reconstruction de cinq ans. Ce projet de loi, déposé dix jours plus tard, n’est que la traduction d’un propos précipité, mais ses conséquences peuvent être importantes, car il constitue un précédent dangereux.

Ce délai de cinq ans ne repose sur aucun élément tangible et sur aucune expertise. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est M. le Président de la République lui-même, lors de son discours d’hommage au lauréat du prix Pritzker, le 24 mai dernier, dont vous pouvez trouver l’intégralité sur le site de l’Élysée : « Alors je sais que beaucoup se sont inquiétés de ma décision d’abord de réaliser ces travaux dans un calendrier serré, volontariste. Et je l’assume pleinement. Et cette décision n’a reposé sur aucune analyse détaillée ni aucune forme d’expertise, et je l’assume totalement. »

Si nous en sommes aujourd’hui à débattre des modalités de la restauration, c’est simplement parce que M. le Président de la République, se muant en architecte en chef, décida, le lendemain de la catastrophe, d’un délai de reconstruction de cinq ans.

Nous ne l’acceptons pas tout à fait. Chers collègues, il nous appartient de remettre de la raison au cœur de nos réflexions. Le temps de l’émotion est passé : il convient non pas d’aller vite pour aller vite, mais de bien faire, méthodiquement, efficacement, en se reposant sur les savoir-faire acquis depuis des siècles.

Il est encore temps de retravailler la copie, de restreindre les dérogations au droit commun, de préciser la nature et la composition de l’établissement public, afin de tirer le meilleur de l’expertise française dans tous les domaines. Nous allons examiner avec attention vos amendements, monsieur le ministre. Prenons le temps de bien faire les choses, que cela prenne cinq ou dix ans. Respectons l’histoire et cet art qu’est l’architecture.

Enfin, nous avons tous salué l’élan de générosité des milliers de particuliers qui ont souhaité, par leurs dons, participer à la restauration de Notre-Dame. Nous ne pourrons néanmoins plus faire l’économie d’un débat approfondi sur notre politique de protection du patrimoine en France, qui repose de plus en plus sur les mécènes privés et sur des incitations fiscales ou des jeux.

La concentration des crédits sur quelques projets d’ampleur pose également problème, tant le reste du patrimoine français est délaissé. Cette fracture territoriale, comme l’a démontré la commission des finances l’année passée, ne peut continuer de prospérer. La rénovation du Grand Palais, à hauteur de 466 millions d’euros, était nécessaire, mais ce qui ne va pas, c’est qu’elle représente trois fois le montant total des subventions accordées aux collectivités au titre de l’entretien et de la restauration des monuments historiques pour l’année 2019.

Monsieur le ministre, chers collègues, nous vous mettons en garde contre la précipitation avec lequel ce texte est élaboré. Notre-Dame est partie prenante de notre histoire et de celle de Paris, de ses douleurs, de ses conquêtes. On ne peut lésiner sur sa construction car, quand on aime, on veut du beau. Pour ce faire, appuyons-nous sur l’excellence reconnue des services de l’État en matière de conservation et de restauration. Notre-Dame mérite que l’on prenne le temps, pour que de nouveau, comme l’écrit encore Aragon, elle « [sorte] des eaux comme un aimant ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Alexis Corbière et Mme Michèle Victory applaudissent également.)

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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