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Création Agence nationale de la cohésion des territoires (Nlle lect.)

La fin de mon propos vous expliquera pourquoi le groupe de la Gauche démocratique et républicaine et le les députés communistes voteront contre ce texte.

Après le rejet, l’été dernier, de l’amendement gouvernemental au projet de loi ELAN – la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique – qui prévoyait de créer cette agence par ordonnance, le texte nous revient par la voie d’une proposition de loi sénatoriale – procédé commode pour éviter de fournir une étude d’impact digne de ce nom. L’ambition affichée par le texte est certes de « permettre à l’État d’agir en partenariat avec les territoires afin de les aider à développer leurs projets, en tenant compte de leurs spécificités et de leurs atouts », et le projet est, au fond, de répondre aux importants et urgents besoins d’ingénierie qui se font jour dans les territoires pour faire face à des projets toujours plus complexes et difficiles tant à concevoir qu’à mener à bien.

S’il répond bien évidemment, comme on l’a constaté à l’occasion du grand débat, à une attente très forte des maires en termes de facilitation, de coordination et de simplification, ce projet soulève aussi de nombreuses craintes légitimes sur les moyens et les finalités réellement poursuivies, qui se sont cristallisées autour de la gouvernance de cette nouvelle agence.

Dans les faits, celle-ci absorbera les moyens financiers et humains des trois établissements cités – l’EPARECA, le CGET et l’Agence du numérique – et on nous explique qu’afin d’« optimiser les moyens qui lui sont confiés », un « schéma de mutualisation des fonctions supports de tout ou partie des opérateurs » devra être présenté dans les dix-huit mois par le directeur de la nouvelle agence.

Ce projet soulève de nombreuses craintes légitimes sur les moyens et les finalités réellement poursuivies

Si vous annoncez, par ailleurs, un budget dédié à l’agence dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 – c’est-à-dire plus tard encore –, rien n’indique, à ce stade, qu’il y aura des moyens supplémentaires. Tout juste avons-nous, en effet, entendu parler d’un vague fonds d’amorçage, bien loin des ambitions affichées. C’est là une première source d’interrogation, d’autant que le champ d’intervention de l’agence est très large et n’a – légitimement – cessé de s’élargir, par exemple en matière d’accès aux soins ou de réseaux associatifs. Comme je l’ai dit en première lecture, le risque est grand que l’action de l’agence, avec la définition nécessairement extensive de son champ d’intervention, se résume, au mieux, à du saupoudrage. Ce risque de dispersion des moyens humains et financiers s’aggrave de la volonté affichée d’en faire également une forme d’agence de l’innovation dans les territoires – mot magique dans la bouche des marcheurs –, alors que son objet est clairement d’être une agence de cohésion des territoires, c’est-à-dire de cohésion sociale et territoriale.

Nous aurions préféré que l’agence se fixe pour priorité l’action sur les territoires ruraux en déprise, profondément écartés des priorités républicaines, les territoires enclavés dont le maillage urbain est faible, ceux dont l’appareil de production est en déclin ou encore ceux où le solde démographique, naturel et migratoire, est négatif de longue date. Or, rien n’indique une orientation territoriale de l’action de l’agence.

Si vous prétendez qu’elle peut ainsi développer son action de manière universelle et souple au service des acteurs de terrain, nous avons, quant à nous, tout lieu de redouter sa faible efficacité opérationnelle dans un contexte où, comme je viens de le rappeler, les problématiques sont multiples.

Il est essentiel que les communes fragiles soient les principales bénéficiaires du soutien et de l’expertise de l’agence, y compris et d’abord en amont de la construction des projets. À défaut, cette agence passera totalement à côté de son rôle de soutien.

Si donc le premier écueil est celui des moyens de l’agence, l’autre est celui de la place des collectivités locales, et particulièrement des communes.

Il a été, au cours des débats, beaucoup question des intercommunalités, mais assez peu, somme toute, de l’initiative des communes auprès de la future agence. Il ne s’agit pas tant là du terme « initiative » – car une initiative est toujours possible – que des modalités, des préconisations et, finalement, de la réalité à laquelle les maires seront confrontés pour saisir l’agence. Vous savez en effet comme moi combien il est parfois difficile, pour le maire d’une commune de 3 000 habitants, de saisir le préfet, qui est pourtant son interlocuteur légitime et naturel.

Les communes sont pourtant l’échelon de proximité par excellence, celles qui souffrent le plus de déficit en ingénierie, et surtout les plus petites d’entre elles, en particulier depuis la disparition de l’assistance technique pour raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, en 2014.

D’où l’importance que les communes fragiles soient les principales bénéficiaires du soutien et de l’expertise de l’agence, y compris et d’abord en amont de la construction des projets. À défaut, cette agence passera totalement à côté de son rôle de soutien.

Nous avons trouvé intéressant que le Sénat, reprenant le texte initial, ait fait en sorte que l’équilibre de la gouvernance du conseil d’administration soit revisité. Nous avions, du reste, avancé nous-mêmes plusieurs propositions pour contribuer à un meilleur équilibre.
L’échec de la CMP du fait de ce point d’achoppement est somme toute très révélateur des malentendus qui entourent la création de l’ANCT, même si cela n’aurait pas été pour nous là un point de blocage.

Nous exprimons en revanche de vives réticences à voir l’agence habilitée à créer des filiales. Cette possibilité est contraire à la volonté de lisibilité et de clarification de l’action publique affichée par les promoteurs de cette agence. En outre, nous craignons que, par ce biais, s’engage une forme de privatisation rampante des services de l’État et de ses opérateurs.

Les mêmes préventions nous amènent à vouloir spécifier la nature du futur établissement. Nous considérons en effet que les missions confiées à cette structure doivent conduire à la définir comme un établissement public administratif. D’ailleurs, le Conseil d’État, dans son avis, a souligné que la nature des missions exercées comme celle des ressources principales constituent des critères pour qualifier la nature de l’établissement public. En l’occurrence, ces ressources sont principalement liées au budget de l’État, ce qui nous conforte dans l’idée qu’il s’agit bien d’un établissement public administratif.

Nous ne voyons pas, à ce jour, comment l’agence sera financée et pourra assurer les missions pluridisciplinaires qui lui sont confiées.

Nous n’avons pas été entendus, pas davantage s’agissant de la possibilité offerte à la future agence de procéder à l’embauche de salariés de droit privé, ce qui pour nous est une clause rédhibitoire. Alors que nous débattons de la réforme de la fonction publique – j’y reviendrai – rappelons que l’emploi public est un gage d’efficacité, de compétence – et Dieu sait si, en la matière, l’expertise des fonctionnaires est démontrée ! Comment ne pas souligner du reste l’antagonisme flagrant entre l’intention affichée – l’expertise – et la réalité que nous observons déjà, à savoir la faible disponibilité des services de l’État et de ses opérateurs auprès des collectivités territoriales ? Enfin, je reviens une dernière fois sur le budget : nous ne voyons pas, à ce jour, comment l’agence sera financée et pourra assurer les missions pluridisciplinaires qui lui sont confiées.

Vous connaissez une autre de nos inquiétudes – elle sera rappelée par François Pupponi – : le conventionnement avec des tiers opérateurs. Certes, vous vous y êtes engagée, madame la ministre, mais nous sommes toujours vigilants concernant des fonds qui sont par ailleurs engagés dans des financements déjà tendus et dont certains sont déjà contractualisés.

Comme chacun peut en faire le constat, les élus locaux sont aujourd’hui dans une attente forte et légitime d’un outil qui leur permettrait de déployer leurs projets. En la matière, le Gouvernement a une obligation de résultat. Sans résultat, cette agence suscitera les pires déceptions ! Il nous est impossible d’engager notre responsabilité au vu des enjeux.

L’expertise est le maître mot qui prévaut dans cette loi, l’expertise des trois fonctions publiques : fonction publique d’État, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière – nous avons débattu de la contribution des agences régionales de santé au caractère opérationnel de cette agence. Or votre projet de loi sur la fonction publique, dont l’examen reprendra demain dans l’hémicycle, entame potentiellement et profondément la continuité, la neutralité et l’égalité de l’expertise en la matière : cet argument suffirait à lui seul à décider de notre vote. Madame la ministre, les députés communistes voteront contre votre texte.

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Vote solennel

Analyse du scrutin : Création agence nationale de la cohésion des territoires - 21 mai 2019
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Hubert
Wulfranc

Député de Seine-Maritime (3ème circonscription)

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