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Création du Centre national de la musique

On a coutume de dire que la musique nous rassemble autant qu’elle nous ressemble. Moyen d’expression, professionnel ou amateur, dans le secteur marchand comme associatif, la musique nous accompagne partout. Elle ne connaît pas de frontières, d’autant moins à notre époque, où, en quelques clics, nous avons accès à toute sa richesse.

L’UNESCO – Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture – la reconnaît comme un bien immatériel du patrimoine culturel. La musique est le reflet d’une culture mais aussi de son époque. La préserver, sous toutes ses formes, dans toutes ses diversités, est le devoir d’un État démocratique.

La création du Centre national de la musique doit l’imposer comme un organe garant de la liberté de création artistique, de l’expression culturelle et de la liberté de choix des pratiques culturelles. Il doit notamment améliorer la reconnaissance de la pratique en amateur. Se concentrer sur le seul soutien à un secteur économique équivaudrait à méconnaître l’essence même de la musique, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur. La culture est une richesse qui n’appartient pas à une personne ; elle appartient à tous et à toutes les formes de pratique.

Dans le champ culturel, la musique a souvent manqué de reconnaissance ; elle a parfois été méprisée. Le présent texte de loi doit permettre de réaffirmer qu’elle est, dans sa diversité, un art à part entière.

L’institution d’un Centre national de la musique, rassemblant tous ses acteurs et toutes ses actrices, est espérée depuis longtemps. Je comprends la logique et les objectifs poursuivis. Toutefois, je me pose plusieurs questions sur les conditions de la création du CNM.

D’abord, je regrette que les raisons justifiant celle-ci, évoquées dans l’exposé des motifs, soient surtout d’ordre économique. Si l’industrie du disque a connu des bouleversements de taille, en raison notamment de la révolution du numérique et de l’émergence consécutive de nouveaux acteurs et de nouvelles actrices déstabilisant le secteur, le Centre national de la musique ne peut avoir pour seul objectif de résoudre ces difficultés. Celui-ci doit être porteur d’une vision et d’une ambition claires pour le développement de la musique et la préservation de la création artistique et musicale. Il doit consolider la filière musicale et être mis au service des artistes.

La création du Centre national de la musique doit marquer le renforcement de la place du service public dans le domaine de la culture. Les aides que le Centre national de la musique octroiera doivent être prioritairement attribuées à des institutions publiques et aux petits producteurs indépendants, qui se trouvent souvent dans des situations difficiles alors qu’ils jouent un rôle majeur pour l’indépendance des artistes et de la musique.

Depuis deux ans, nous avons connu de nombreux regroupements d’institutions, avec pour unique objectif la réalisation d’économies d’échelle. Il serait très dommageable que le Centre national de la musique procède d’une telle volonté. Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, il doit être avant tout pensé pour faire rayonner la musique française en France et à l’international.

Je me pose également des questions à propos de la composition du conseil d’administration, dont la seule certitude que promet la loi est qu’il sera paritaire, ce dont je me félicite. Néanmoins, nous ne savons pas qui sera représenté et, a contrario, qui ne le sera pas. Pourtant, c’est bien la composition du conseil d’administration du Centre national de la musique qui symbolisera son fonctionnement et ses missions, à travers les acteurs et actrices du secteur qui y siégeront.

La proposition de loi lui adjoint un conseil professionnel, où seraient représentées les organisations privées. La représentation des organisations syndicales du secteur ne peut être éludée – vous avez évoqué le sujet, monsieur le ministre. Les exclure de toute représentation équivaudrait à se priver de la connaissance et de la compétence de leurs acteurs et de leurs actrices, sur des sujets qui les concernent directement, eux qui défendent les valeurs de la culture et de la musique.

Certes, la parité au sein du conseil d’administration est inscrite dans la loi ; toutefois, le Centre national de la musique devrait clairement avoir la mission de favoriser un égal accès des femmes et des hommes aux professions musicales. Tel est le sens d’un amendement déposé par le groupe GDR et retenu en commission, lorsqu’elle s’est réunie au titre de l’article 88 du règlement.

D’après les chiffres de l’observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication publiés au mois de mars 2016 par le ministère, les femmes dirigent 10 % des scènes de musiques actuelles, 18 % des centres chorégraphiques nationaux et 20 % des centres dramatiques nationaux et régionaux. Seuls 4 % des chefs d’orchestres sont des femmes – à Stains, nous en avons une célèbre. Elles représentent 27 % des metteurs en scène, 37 % des chorégraphes, 21 % des auteurs et 22 % des réalisateurs. Ces taux doivent nous alerter sur le défaut d’accès des femmes aux professions de la culture, notamment dans le secteur de la musique.

Je souhaiterais également pointer du doigt la question du financement. La création du Centre national de la musique ne doit pas servir de prétexte à une réduction ou un transfert de crédits ou de missions du ministère de la culture, lequel doit continuer de jouer un rôle central dans le développement de la création artistique. Toutes ces questions restent en suspens et peuvent susciter de l’inquiétude, notamment parmi les acteurs et actrices du monde de la musique. Du maintien du rôle premier du ministère dépendent directement les futures missions du Centre national de la musique.

Je veux insister sur la nécessité d’inscrire la présente proposition de loi dans les traces de l’article 3 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Celle-ci, particulièrement malmenée ces derniers temps, a pourtant institué des principes essentiels visant à préserver la liberté de création et le respect du patrimoine – nous aurons l’occasion de revenir sur ce point. Elle a également permis d’inscrire dans la loi de multiples valeurs de progrès : l’accès à la culture dans le monde du travail, l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines de la création artistique et l’égal accès des citoyens et des citoyennes ainsi que l’accès du public le plus large aux œuvres de la création artistique, entre autres. Il est indispensable que le Centre national de la musique se revendique de ces principes et que cet article fasse partie intégrante de son ADN. C’est à cette condition qu’il profitera à l’ensemble du monde de la musique et pas seulement à quelques-unes de ses composantes.

Le Centre devra complètement intégrer la pratique en amateur et non lucrative, afin de favoriser le droit de chacun et de chacune de participer à la vie culturelle de son pays. Au demeurant, la France est signataire de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée par l’UNESCO le 20 octobre 2005, laquelle énonce clairement le principe de complémentarité des aspects économiques et culturels du développement. La culture étant l’un des ressorts fondamentaux du développement, les peuples ont le droit fondamental d’y participer et d’en bénéficier. Inscrire clairement le Centre national de la musique dans le cadre de la convention de l’UNESCO garantit sa réussite future, en faisant en sorte qu’il ne confonde pas l’intérêt général avec l’intérêt marchand, même s’il arrive que les deux se croisent.

L’économie de la musique doit être consolidée, adaptée aux mutations technologiques et aux nouvelles manières de consommer, mais elle ne peut constituer une fin en soi. Elle doit également être mise au service de la liberté de création artistique et du développement des pratiques. Aussi, les aides ne peuvent être conditionnées exclusivement à la viabilité d’un projet professionnel.
Le groupe GDR se félicite de la proposition de loi. Nous voterons pour, en souhaitant que le CNM serve l’intérêt général, notamment en se donnant les moyens d’accompagner la création artistique et les artistes, amateurs comme professionnels. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)

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