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Débat d’orientation des finances publiques

Dans un peu plus de deux mois débutera l’examen du budget 2020, temps fort du débat parlementaire et de la vie démocratique de notre pays. C’est un temps fort, car c’est à ce moment que nous déciderons collectivement comment répondre aux besoins de nos concitoyens, comment dédier des moyens aux politiques publiques, mais aussi comment financer ces dernières, avec quel impôt et quelle répartition de l’effort. Quelles sont nos priorités publiques ? Permettre à tous nos concitoyens de vivre dignement, de son salaire, de son traitement, de sa retraite ; offrir autant de dignité à celles et ceux qui n’ont pas d’emploi ou ont subi un accident de vie ; protéger la santé de tous les Français. C’est faire en sorte que de la valeur économique, sociale, humaine soit créée et justement répartie. C’est agir pour que de nouveaux droits soient promus, des droits sociaux et démocratiques. C’est faire en sorte que, quel que soit l’endroit où il réside, qu’il soit rural, urbain ou périurbain, un citoyen ait les mêmes droits. C’est aussi donner à l’impôt sa juste place dans notre pays. Un ancien proche de Roosevelt indiquait que l’impôt était le prix à payer pour vivre dans une société civilisée. Quatre-vingt-cinq ans plus tard, ces mots sont toujours d’actualité.

Nos priorités publiques, c’est enfin et surtout être conscient de l’état du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui : des inégalités qui atteignent des niveaux insupportables ; des échanges commerciaux et financiers toujours plus rapides, dans une planète en surchauffe. Chers collègues, les voyants sont au rouge : alerte rouge sur la biodiversité, alerte rouge sur les émissions de gaz à effet de serre. Les événements climatiques, autrefois exceptions, sont désormais la norme. L’épisode de sécheresse qui, une fois de plus, frappe cette année bon nombre de territoires tels que l’Allier montre bien l’étendue des dangers auxquels nous devons faire face.

Vous vous gargarisez de voir s’améliorer les indicateurs économiques de notre pays, mais à quel prix pour nos concitoyens ?

Tel est le cap que nous, parlementaires communistes, souhaitons prendre. À cet égard, le budget est fondamental, puisque c’est au moment de sa discussion que nous formulons les propositions destinées à répondre à tous ces besoins. Mais c’est aussi là que vous mettez très largement en œuvre vos orientations au service d’un projet de société assurément libéral, ancré dans la compétition internationale du « tous contre tous », saupoudré d’une politique d’assistanat des plus riches et d’un appui inconditionnel, et tout aussi irrationnel, au secteur marchand et aux grands groupes : c’est la politique de l’offre, dont Bruno Le Maire a réaffirmé tout à l’heure l’actualité.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat d’orientation des finances publiques semble tourner à l’exercice d’autosatisfaction. Vous vous gargarisez de voir s’améliorer les indicateurs économiques de notre pays, mais à quel prix pour nos concitoyens ? Vous vous félicitez de maîtriser la dépense publique. Certes, qu’il faille utiliser convenablement les deniers publics issus de l’impôt est, selon nous, un impératif démocratique, dont certains s’exonèrent malheureusement. Mais, pour vous, toute dépense publique est a priori suspecte, et maîtriser la dépense publique signifie « serrer le kiki » de toute politique publique ambitieuse et volontariste, quitte à opérer des coupes budgétaires parfois très brutales.

Ainsi, le déficit public passe de 2,8 % à 2,5 %, mais à quel prix pour nos territoires ? À quel prix pour celles et ceux qui sont à cinq euros près chaque mois, qui auront vu leur APL diminuer et qui pourraient subir, très prochainement, une nouvelle baisse ? À quel prix pour toutes ces associations, au demeurant fragiles, qui auront vu leurs contrats aidés supprimés ? À quel prix pour tous ces agents de la fonction publique qui voient, une nouvelle fois, leur niveau de vie s’étioler en raison du gel du point d’indice ? À quel prix pour tous ces usagers que l’on éloigne du service public, car le bureau de poste ou la trésorerie est fermé ou n’ouvre qu’à des horaires particulièrement restreints ? À quel prix pour des territoires ruraux oubliés et marginalisés ? À quel prix pour nos agriculteurs abandonnés aux traités internationaux ?

Vous vous gargarisez d’améliorer le déficit public, mais à quel prix pour notre justice et pour nos tribunaux déjà engorgés ? Vous êtes satisfaits de voir l’enveloppe des dépenses d’assurance maladie respectée pour la neuvième année consécutive, mais à quel prix pour la santé de nos concitoyens ? À quel prix pour l’accueil d’urgence et nos hôpitaux ? Je pense ici à ces 154 services d’urgences mobilisés partout dans notre pays.

Ce sont plus de 15 milliards d’euros d’impôts, sur trois ans, dont n’ont plus à s’acquitter les plus aisés.

Vous vous félicitez également de baisser le niveau des prélèvements obligatoires, mais pour qui et pour quoi faire ? En 2018, vos choix ont conduit à une baisse d’impôts de 11 milliards d’euros pour les plus aisés et pour le secteur marchand. Pour les plus modestes et les classes moyennes, la baisse de 3 milliards d’euros de taxe d’habitation fait pâle figure face aux hausses de la TVA – 4,3 milliards de plus –, des taxes sur les carburants – 2,6 milliards – et de la CSG. Il aura fallu des semaines et des semaines de mobilisation pour que quelques correctifs soient apportés, notamment sur la CSG, mais, au fond, sans véritable changement de paradigme. La défiscalisation des primes exceptionnelles et des heures supplémentaires correspondaient bien à vos orientations politiques. Ces mesures avaient d’ailleurs été mises en œuvre il y a plus de dix ans par la droite sarkozyste.

Malgré des effets sur l’investissement et l’emploi encore non démontrés car invisibles, la suppression de l’ISF et la mise en œuvre de la taxation à taux unique des revenus financiers, actées pour 2018, auront été maintenues pour 2019, et vous n’envisagez pas d’ajuster le tir en 2020. Or la facture est lourde : ce sont plus de 15 milliards d’euros d’impôts, sur trois ans, dont n’ont plus à s’acquitter les plus aisés. Ils n’étaient pourtant franchement pas sur la paille, comme les chiffres récemment publiés par la revue Challenge viennent de le démontrer une fois encore. De même, le CICE constitue un gâchis tout aussi massif d’argent public, source de gabegie. Alors qu’il n’a pas fait montre de son efficacité, l’avez-vous supprimé ? Non. Pire, vous en avez même doublé le montant en 2019 : 40 milliards d’euros alloués sans contrepartie, sans condition, sans ciblage.

Voilà donc un bref aperçu de la manière dont sont gérées les finances publiques dans notre pays : elles sont privatisées, mises au service du projet libéral que j’évoquais plus tôt. Les chiffres montrent bien que ce n’est pas la dépense publique, mais ces énormes cadeaux fiscaux qui sont à l’origine de la dette publique. Ils montrent également que notre pays a les moyens d’une autre politique.

Le cadrage budgétaire pour 2020 et les mesures fiscales ne sont pas encore connus dans leur intégralité. Nous savons d’ores et déjà qu’une baisse de l’impôt sur le revenu de 5 milliards d’euros est prévue. Diminuer, enfin, la fiscalité pesant sur les classes moyennes : nous y sommes favorables. Mais vous semblez rester au milieu du gué. Vous baissez les taux des premières tranches sans augmenter celles ciblant les hauts revenus ni renforcer la progressivité de l’impôt. Dès lors, il est fort probable que votre mesure profitera aussi à des contribuables dont le niveau de revenus est élevé. Agir sur la TVA et la CSG serait plus efficace.

Qui paiera la facture ? Mettez le gros braquet, monsieur le ministre, car le coup de rabot sur les niches fiscales ne permettra d’économiser que 1 milliard d’euros. Il reste donc 4 milliards d’euros à trouver. Prévoyez-vous 4 milliards d’économies ? Si tel était cas, la moitié de Français qui ne paie pas l’impôt sur le revenu – très souvent des gens modestes –, financerait la baisse d’impôt dont bénéficieront les classes moyennes. Nous n’accepterons pas cet énième tour de passe-passe fiscal.

Vous avez d’ores et déjà dévoilé certaines de vos cartes quant au sort qui sera réservé aux dépenses sociales pour 2020 : après avoir désindexé les retraites et les allocations familiales en 2019, vous amplifiez votre entreprise de rabotage des prestations sociales au détriment des exigences de solidarité.
Première cible : les chômeurs. Selon les dernières évaluations, 1,2 million d’entre eux connaîtront une réduction de leurs allocations à cause de la réforme de l’assurance chômage.

Deuxième cible : la sécurité sociale. Malgré un mouvement social inédit, le prochain projet de loi de financement envisage 4 milliards d’euros d’économies sur l’assurance maladie et les hôpitaux.
Troisième cible : les retraites. Si nous savons que votre obsession est de vous attaquer aux droits des retraités, la question est désormais de savoir quand cela interviendra. Nous apprenons que la durée de cotisation pourrait être augmentée dès 2020. Pouvez-vous nous confirmer cette orientation, monsieur le ministre ?

Le prochain budget devrait également comporter d’importantes dispositions en matière de fiscalité locale. Nous serons très attentifs à ce que l’autonomie des collectivités soit garantie et nous veillerons à ce que nos concitoyens n’y perdent pas une nouvelle fois au change.

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Jean-Paul
Dufrègne

Député de l' Allier (1ère circonscription)

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