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Débat sur le rapport d’information de la commission des finances "sur le Printemps de l’évaluation des politiques publiques 2020

Donner plus de contrôle et de pouvoir aux parlementaires : qui, dans cet hémicycle, pourrait s’opposer à une telle ambition ? En tout cas, l’objectif affiché à l’occasion de la création de ce printemps de l’évaluation aurait pu être de nature à nous rassembler. Malheureusement, le compte n’y est pas, pour des raisons qui tiennent à la fois à la forme et, cette année, aux circonstances exceptionnelles que nous traversons.

Sur la forme, d’abord, la plus grande partie des rapports spéciaux revenant à la majorité, il est très difficile pour les députés communistes de faire entendre leur voix. Ainsi, sur les quarante-cinq rapports spéciaux édités cette année, un seul, celui de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avac la nation », est revenu à un député de notre groupe, mon ami Jean-Paul Dufrègne.

Sans autre rapporteur, et avec ce seul rapport, notre groupe ne dispose pas des moyens d’exercer cette mission et, sans rapporteur, nous ne disposons que de deux minutes d’intervention sur les diverses missions. Deux minutes, monsieur le ministre, pour juger et pour évoquer des centaines de millions d’euros, voire des dizaines de milliards ! Comment pouvons-nous, en deux minutes, exposer notre point de vue sur des budgets qui ont des conséquences directes sur la vie de nos concitoyens et sur notre pays ?

Dans de telles conditions, le contrôle de l’action gouvernementale tient plus d’une succession d’auto-satisfecit que d’un véritable échange avec les parlementaires dans toute leur diversité. C’est là un premier regret.

Mais il y a plus regrettable encore que ces problèmes de forme. Dans le contexte actuel, décider d’évaluer les conséquences du raz-de-marée budgétaire lié à la gestion de la crise du covid-19 ne souffrait aucune contestation. Évidemment, de fortes dépenses imprévues ont dû être engagées et leur contrôle par les parlementaires relève de l’évidence. Mais là encore, malheureusement, il y a un gouffre entre les paroles et les actes. En vertu de l’état d’urgence, que nous souhaitons voir rapidement levé, de nombreuses mesures ont été prises sans que nous, parlementaires, puissions réellement exercer de contrôle ni apporter de contributions. Je pense par exemple aux 20 milliards d’euros d’aides débloqués aux secteurs stratégiques et aux grandes entreprises telles qu’Air France, Renault et, dernièrement, Airbus. C’est très bien, mais à quelles conditions ces aides ont-elles été versées, et selon quels critères ? Nous n’avons pas pu en débattre ici. Il en va de même pour les aides aux plus démunis, qui représentent 890 millions d’euros dans le dernier PLFR : il est impossible de parler ni du montant de l’aide, ni de sa fréquence, ni des personnes ciblées. À chaque fois, malheureusement, les députés sont sollicités pour voter ces crédits énormes, mais sans pouvoir intervenir sur les critères d’attribution ni sur le montant ou le périmètre de ces aides.

Pendant ce temps, certaines grandes multinationales, notamment dans les secteurs de l’automobile et du textile – dont celles de notre région, monsieur le ministre – se servent de la crise actuelle pour déployer des plans sociaux prévus de longue date. Il est regrettable que l’État ne soit pas plus exigeant envers elles.

Il aurait fallu, en quelque sorte, que l’État pose des gestes barrières face à ceux qui cherchent à faire financer par l’argent public leurs destructions d’emplois et la délocalisation d’une part de leur activité.

Comment peut-on imaginer, par exemple, que Renault, entreprise détenue à 15 % par l’État, puisse détruire 4 600 emplois et fermer des usines en France avec notre argent, l’argent des contribuables, alors que cette entreprise avait déjà annoncé ces plans sociaux au mois de février ? Je pourrais ajouter à cette liste Conforama, Camaïeu, le groupe Vivarte, et même Arc International qui, si nous n’intervenons pas rapidement, pourrait délocaliser une partie de sa production en Russie ou aux Émirats Arabes Unis.

Il est donc urgent de reprendre le contrôle, de mieux contrôler l’argent public versé aux entreprises, notamment aux plus grandes, pour que cela serve le pays en développant l’emploi et en le maintenant en France. C’est dans cet esprit que nous proposons – voilà la révolution ! – de nationaliser enfin une grande banque systémique dans notre pays, afin de pouvoir aider directement nos PME et TPE, dont certaines ne peuvent pas bénéficier du PGE, le prêt garanti par l’État, et d’intervenir dans le capital des groupes, alors que la BPI, la Banque publique d’investissement, ne le fait pas puisque, comme on le sait bien ici, elle n’aide que ceux qui vont bien, et non pas ceux qui souffrent.

L’argent public, celui de nos impôts, doit servir à défendre les intérêts de la nation, et non pas ceux du marché et de la finance.

Voilà ce dont nous aurions aimé parler lors de ce printemps de l’évaluation. Or, dans un tel exercice, nos marges de manœuvre sont bien faibles, quand le budget de la nation lui-même est soumis à l’approbation de la Commission européenne. C’est la vérité, et il faut le dire !

C’est aussi au printemps que la France, au nom du pacte de stabilité, a l’obligation de transmettre à Bruxelles nos projets de finances publiques, de dépenses et de croissance. À la fin de l’année, nous devons aussi envoyer à Bruxelles le budget de la France, en espérant obtenir une bonne note, si ce n’est même en croisant les doigts dans l’espoir de ne pas recevoir un coup de règle. Cette soumission du budget de la nation à la Commission européenne est tout à fait inacceptable. Où sont la souveraineté de la France et celle du Parlement dans les choix que nous voulons faire ?

Nous avons célébré, le 29 mai dernier, le quinzième anniversaire du référendum sur la constitution européenne, rejetée par 54,6 % des Français, référendum qui gravait dans le marbre d’un traité constitutionnel européen la perte de souveraineté de la France et la mise de notre pays sous tutelle de l’Europe et des marchés financiers.

Nous sommes de ceux qui ont toujours défendu l’indépendance de notre pays et la souveraineté de notre peuple, pour traduire tout simplement notre volonté de rester maîtres de nos choix politiques et budgétaires, sans subir les diktats des marchés financiers et des politiques d’austérité de la Commission européenne, ni les diktats d’autres pays. Avec d’autres dans notre pays, nous avons mené ce combat au nom des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui forment tout l’héritage de la Révolution française.

C’est la raison pour laquelle nous refusons toujours aujourd’hui l’abandon de nos prérogatives fondamentales, celles qui permettent à une nation d’adopter son propre budget, répondant aux attentes de ses citoyens, sans être obligée d’appliquer des réformes imposées par l’Union européenne ou d’autres politiques d’austérité, comme le prévoyait le traité constitutionnel de 2005.

C’est pourquoi nous disons qu’il serait temps que la France agisse en faveur d’une autre Europe, notamment en choisissant d’autres critères d’utilisation des richesses de notre pays et de l’Union européenne. La pandémie a exposé au grand jour les failles insupportables d’un système entièrement tourné vers le profit et la compétition. Ce modèle est incapable de répondre aux attentes sanitaires et sociales des peuples européens. Celui auquel nous aspirons suppose d’autres priorités, au service de l’homme et de la planète. C’est pourquoi nous répétons que ce n’est pas au peuple ni au monde du travail de payer la crise, y compris à travers une dette – en augmentation – qui a été contractée auprès des marchés financiers.

Nous serons donc très vigilants sur l’utilisation des deniers publics. Le calendrier du printemps de l’évaluation nous impose de rendre nos conclusions aujourd’hui, alors que nous sommes encore en plein cœur de la crise et qu’un nouveau projet de loi de finances rectificative a été présenté ce matin en conseil des ministres et à l’instant en commission des finances. Je tiens à souligner que dans ces PLFR qui s’enchaînent, nous, députés, ne disposons d’aucune marge de manœuvre pour augmenter la dépense publique et créer une charge dans le budget : l’article 40 bride immanquablement le Parlement.

Nous ne pouvons ainsi que déplorer le manque de démocratie dans la gestion du budget. Au lieu de nous cantonner dans l’opposition, voyez-nous plutôt comme une composante de cette assemblée, qui représente une partie des convictions qui s’expriment dans le pays. Nous ne sommes pas dans l’opposition, nous sommes une force de proposition et nous voulons tout simplement exprimer ici le point de vue d’une partie de la population.

Comme je l’ai dit au début de mon intervention, nous ne pouvons que saluer les intentions du printemps de l’évaluation. Toutefois, nous lui adressons aussitôt, et c’est de saison, une appréciation en forme d’encouragement : « peut– nettement– mieux faire ». Le chemin à parcourir, à vrai dire, est encore long avant que non seulement cet exercice soit à la hauteur des attentes des Français, mais aussi qu’il accorde aux parlementaires un véritable pouvoir de contrôle, en respectant la pluralité de leurs voix. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.)

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Fabien
Roussel

Député du Nord (20ème circonscription)

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