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Désertification médicale

« Les riches ne sauraient acheter mon temps, il appartient aux gens de cette vallée. Je ne veux ni gloire, ni fortune, je ne demande à mes malades ni louanges, ni reconnaissance. » Ainsi parlait le médecin de campagne de Balzac. Avec leurs mots d’aujourd’hui, nos médecins ne disent pas autre chose ! Mais ce qui fait problème, c’est leur nombre dans nos vallées.
L’accès aux soins n’est pas suffisamment garanti dans notre pays ; le droit à la santé est mis en péril, car les déserts médicaux s’étendent, dans des territoires ruraux mais aussi urbains et périurbains. Le constat est sans appel, et il est partagé : nul ne peut nier qu’il est de plus en plus difficile de trouver un médecin ; nul ne peut nier l’engorgement des salles d’attente. Les chiffres sont là : nous avons perdu 9 000 généralistes en dix ans, dont 750 au cours de la seule année 2017. Au total, 5,5 millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens vivent dans un désert médical, selon les dernières estimations de votre ministère lui-même, madame la ministre.
À la pénurie de médecins généralistes viennent s’ajouter le manque et la mauvaise répartition des médecins spécialistes – je pense aux gynécologues, aux psychiatres, aux ophtalmologues, aux dermatologues… Ce déficit de médecins libéraux va de pair avec une dégradation de l’offre publique de soins : ces deux phénomènes se renforcent l’un l’autre. C’est un cercle vicieux : moins d’hôpitaux, ce sont moins de médecins libéraux, car ces derniers ont besoin de plateaux techniques de qualité, de compétences spécifiques qui viennent en appui à leur pratique. Et la pénurie de médecins libéraux entraîne un recours plus important aux urgences hospitalières, exsangues.
Tous ces éléments se conjuguent et alimentent le renoncement aux soins. Les causes en sont multiples : nous payons le prix de décisions politiques passées irresponsables, dont le verrou du numerus clausus constitue le symbole ; mais il faut compter aussi avec les nouvelles aspirations des professionnels de santé, avec les tropismes des nouvelles générations de médecins. Beaucoup souhaitent par exemple exercer dans un cadre collectif, afin de privilégier la qualité de vie professionnelle, mais aussi personnelle.
Le dogme de la réduction des dépenses publiques, qui a fait disparaître tant de services publics et si profondément porté atteinte à la qualité de vie dans les territoires ruraux, dans les quartiers populaires, dans les villes moyennes et finalement sur l’ensemble de notre territoire, n’y est pas étranger non plus – c’est vrai en général, et particulièrement dans le domaine de la santé. La fermeture d’hôpitaux, de maternités, de services, de lits, et plus généralement de lieux de santé de proximité un peu partout a contribué à étendre les déserts médicaux.
Je voudrais ici évoquer la maternité de Creil, dans l’Oise, maternité de niveau 3 que les autorités sanitaires ont décidé de fermer alors que 1 600 naissances y ont lieu chaque année. C’est tout un bassin de vie qui en serait affecté. Je salue ici la mobilisation des citoyennes, des citoyens, des élus, des organisations syndicales et des agents pour sauver cette maternité. Comment justifier cette décision administrative de fermeture ?
Jusqu’à présent, les réponses apportées à ces problèmes sont loin d’être à la hauteur.
Les hôpitaux continuent de subir l’austérité budgétaire : 1,6 milliard d’économies en 2018, 1 milliard en 2019. Depuis dix ans, les plans d’austérité, de compression, se suivent et se ressemblent pour le service public hospitalier. Les personnels sont à bout, et les établissements en crise aiguë : leur situation financière ne leur permet plus ni de recruter pour combler les sous-effectifs, ni d’investir suffisamment pour se moderniser, voire pour payer les fournitures.
Ne laissons pas penser que le problème de l’hôpital ne serait qu’un problème d’organisation : c’est bien d’un sous-financement que l’hôpital souffre. Nous craignons que la réorganisation de la carte hospitalière, prévue par la future loi santé, ne fasse qu’aggraver l’effilochage de notre maillage territorial.
Les mesures incitatives, pour nécessaires qu’elles puissent être, peinent à trouver leur efficacité. Les maisons de santé que le Gouvernement entend développer ne sont pas suffisantes, et la Cour des comptes s’interroge sur les aides à l’installation. La télémédecine doit, elle, être envisagée comme un outil au service des médecins, et non comme un substitut au manque de présence humaine médicale dans nos territoires.
La proposition formulée par nos collègues socialistes d’instaurer un conventionnement sélectif des médecins libéraux à l’installation est pertinente : nous devons nous donner les moyens d’agir en inventant de nouvelles formes de régulation, tout en améliorant notre capacité à former des professionnels de santé. Le principe en est simple : la surdensité médicale constatée dans certains territoires – 752 communes sur-denses d’après la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, soit 3,4 millions de personnes – doit être régulée au profit des zones pauvres en professionnels de santé, des quelque 9 000 communes sous-denses, soit 5,3 millions de personnes.
La puissance publique finance la formation des praticiens et, grâce à la sécurité sociale, la demande de soins, donc indirectement l’activité des professionnels de santé. En contrepartie de ce financement public et solidaire, les citoyennes, les citoyens, leurs représentantes et leurs représentants doivent pouvoir intervenir pour organiser le droit à la santé. La liberté d’installation souvent invoquée ne saurait constituer un absolu face au droit à la santé, exigence constitutionnelle, et au-delà face à l’intérêt général, qui est d’assurer l’accès aux soins sur tout le territoire.
Loin d’une coercition, il s’agit là d’une démarche de régulation corrective, comme en connaissent d’autres professions. Ses motivations sont en phase avec celles qui nourrissent les vocations à exercer cette indispensable et magnifique profession de médecin.
Notre situation est due à un ensemble de causes ; une seule solution ne suffira pas à la résoudre – nous aurons l’occasion d’y revenir, madame la ministre, dans les prochaines semaines.
Le conventionnement sélectif est l’une des propositions qui permet une action à court terme, afin de limiter les inégalités d’accès aux soins qui, comme le notent plusieurs rapports, devraient s’aggraver dans les dix prochaines années. Mais ce n’est pas la seule. Nous avons pour notre part toujours estimé qu’il était urgent de sortir du numerus clausus. Mais nous appelons votre attention sur le caractère symbolique que revêtirait une telle mesure si elle n’était pas accompagnée d’un développement de nos capacités de formation et d’objectifs ambitieux.
Il convient également de favoriser l’exercice regroupé, et de soutenir la volonté des jeunes médecins de se tourner vers le salariat, le travail d’équipe et la complémentarité. Les centres de santé, qu’il faut valoriser, peuvent jouer un rôle décisif de point d’accès de proximité, afin de garantir une offre de soins de premier recours, en lien avec l’hôpital.
L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 permet enfin une prise en charge des dépenses structurelles spécifiques de ce type d’exercice de la médecine, dont on sait qu’elles constituent une réponse particulièrement efficace aux difficultés d’accès aux soins et à la prévention pour les patients en situation de vulnérabilité.
Les transformations de notre système de santé ne peuvent pas être uniquement dictées par la crise, même si celle-ci oblige parfois à revoir utilement certaines choses.
Je n’ai pas pu résister à citer Le Médecin de campagne de Balzac. Hélas, il n’est pas facile d’éclairer un Gouvernement – et moins encore quand celui-ci croit répandre des lumières. En commission, le texte a été vidé de sa substance, pour ne laisser subsister qu’une disposition visant à faciliter le recours à l’assistance médicale dans les territoires où l’offre médicale est déficiente. La proposition de loi s’en trouve dénaturée. Mais il faut la comprendre comme un appel à agir : il est urgent d’apporter des réponses nouvelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SOC.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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