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Equilibre secteur agricole et alimentaire

Madame la présidente, monsieur le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je pense aux États généraux de l’alimentation.
Il me revient en mémoire le moment où le rideau s’est levé, avec, côté cour, la grande distribution et l’industrie agroalimentaire, et, côté jardin, les agriculteurs, des associations et des consommateurs.
En haut du décor brillait une étoile : celle de l’espoir. Les paysans de nos territoires espéraient en effet retrouver enfin un revenu suffisant et des prix rémunérateurs, voir leur travail et leur labeur ne pas se réduire à de la mendicité.
L’espoir était immense et le scénario sans doute bien rodé.
Les paysans attendaient que l’on accroche la charrue à cette étoile. Et puis, monsieur le ministre, apparurent les constellations de promesses et les fusées qui partaient dans la communication.
Mais, au bout du compte, nous n’avons vu qu’un théâtre d’ombres et des artifices scéniques.
Le projet de loi qui nous est soumis nous ramène à la réalité de la politique du Gouvernement, qui me rappelle cet empereur romain du IIIe siècle après Jésus-Christ : Héliogabale. Celui-ci était atteint d’une forme de folie – ce n’est pas, rassurez-vous, monsieur le ministre, un mal dont je vous accuse – qui lui faisait servir à sa table des plats en carton-pâte ou en cire. Évidemment, ses convives se devaient de s’extasier devant un tel festin. C’est un peu l’impression que me donne aujourd’hui votre projet de loi.
Vous avez manqué de courage. Vous n’avez pas voulu vous attaquer frontalement – ou tout au moins jusqu’au bout – au paradis des nantis. Vous vous êtes inscrits dans le modèle économique qui détermine la politique gouvernementale et qui autorise une licence, celle d’écraser les plus petits.
Si vous n’en avez pas eu la force – c’est sans doute que vous n’en avez pas eu la possibilité politique et sociale – d’aller à l’affrontement avec la grande distribution et l’industrie agroalimentaire. Vous n’avez pas pu ou pas voulu, scotchés que vous êtes aux orientations libérales de ce gouvernement.
Vous me faites également penser à un personnage de la mythologie grecque : Orphée, qui ne devait jamais regarder en arrière, sous peine d’un châtiment. Le même syndrome vous touche : vous avez perdu la mémoire des choix qui nous ont conduits à l’impasse qui est celle de notre agriculture.
Comment pourriez-vous retrouver votre chemin, sauf peut-être au moyen des échanges que nous allons avoir, et faire évoluer considérablement ce projet de loi ?
Vous refusez de vous retourner sur le passé et de le regarder : or seule la lucidité quant aux trahisons dont a été victime l’agriculture française aurait permis d’éviter les pièges qui lui sont toujours tendus. Or cette lucidité aurait permis d’inventer un autre chemin.
Tournons-nous vers ce passé. La loi du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales, dite loi Galland, était censée s’attaquer à la revente à perte.
La loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, dite loi Dutreil 2, portait, elle, sur les relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs et introduisait les marges arrières comme solutions.
La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dite LME, prétendait lutter contre les pratiques commerciales abusives, et, notamment, cette fois, contre les marges arrières.
Je n’omets pas de citer la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, qui a introduit la contractualisation et qui était défendue par Bruno Le Maire, aujourd’hui ministre du gouvernement.
Ce tableau des lois votées en la matière ne serait pas complet sans la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon.
En dehors de ces lois, on a réuni des tables rondes – ces tables rondes où l’on s’embrasse, où l’on se congratule en prétendant avoir tout réglé, où l’on amuse en fait la galerie – et des engagements ponctuels et toujours éphémères ont été pris. Mais, en définitive, c’est toujours, sans exception – et ce sera encore le cas aujourd’hui –, la loi du marché qui s’impose.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les rodomontades ne suffisent pas à faire un bon texte : or vous ne tranchez pas, parce que, conformément à votre parti pris de tout régler par la contractualisation, vous ne prenez même pas les mesures les plus élémentaires.
Jugez-en plutôt : pas de sanction pour l’acheteur ne répondant pas à la demande d’un contrat écrit formulé par le producteur dans les filières non soumises à la contractualisation obligatoire ; pas d’encadrement strict dans la prise en compte des contrats, alors que ces indicateurs de coûts de production devraient être publics et indiscutables, ce que vous refusez ; pas d’encadrement strict des promotions en encadrant, dès le projet de loi d’habilitation, les produits vendus sous marque de distributeur ; aucune clarification sur la notion de prix abusivement bas, qui devrait être considéré comme un prix ne couvrant pas les coûts de production de l’éleveur et du producteur.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, prenez garde : ce projet de loi très limité ne risque-t-il pas de contraindre les pouvoirs publics à l’immobilisme et à interdire toute politique d’intervention dans la sphère marchande en cas de chute des cours ?
Prenez garde : ce projet de loi ne doit pas se substituer aux mesures cohérentes de gestion de l’offre et d’orientation en matière de prix qui peuvent s’avérer indispensables.
Une politique de régulation des marchés et des outils d’intervention en matière de définition des prix est indispensable. Le flou entretenu dans le projet de loi sur les indicateurs sur lesquels les parties contractantes pourraient s’appuyer pour définir les clauses des contrats est très révélateur de son incapacité à réellement et fondamentalement changer le rapport de force.
Quelle tromperie de faire croire que les prix d’achat aux producteurs vont augmenter, alors qu’aucun cadre, en termes de volumes de production, n’est fixé, et alors même que certains détiennent tous les pouvoirs de négociation dans le cadre d’un marché ouvert sans restriction, et alors que, depuis des années, les industriels et les centrales d’achat sont passés maîtres dans l’art de toujours tirer vers le bas les prix d’achat en maintenant la porte ouverte aux importations !
Je le dis avec solennité : attention aux contrats de dupes dont le seul objectif tendrait à légitimer les pratiques commerciales toujours plus scandaleuses de la grande distribution !
Voilà pourquoi nous continuons à plaider sans relâche pour des prix planchers d’achat définis collectivement à travers une conférence annuelle, et prenant directement en compte les coûts de production régionaux.
Voilà pourquoi nous demandons l’intervention publique sous la forme du déclenchement d’un encadrement des marges de la distribution en cas de crise. Il faut en particulier prononcer le mot : cet encadrement doit – comme cela est prévu dans le code rural pour les fruits et légumes – mettre en œuvre un coefficient multiplicateur.
Bien entendu, nous demandons également une réorientation de la politique agricole commune en faveur du revenu des agriculteurs, ainsi que d’un soutien aux actifs. Soyez attentif, monsieur le rapporteur, aux arguments que vous énoncez.
En disant que c’est l’Europe qui, avec le droit de la concurrence, ne permet pas d’aller plus loin, vous vous placez en retrait par rapport à ce qu’elle pourrait permettre.
Avec de la volonté, on peut fait bouger les lignes : nous l’avons constaté lors de la précédente législature, s’agissant notamment de l’étiquetage des viandes transformées ou des produits laitiers.
Au début, on nous répétait : l’Europe ne veut pas, c’est impossible. Or, pour obtenir des avancées, il ne faut pas renoncer à mener le combat.
Peut-être, monsieur le ministre, allez-vous trouver ma formule un peu forte mais, quand on voit que vous rejetez de manière obsessive une agriculture administrée et que, par une espèce de crispation intellectuelle, vous répétez ces mots avec effroi, on peut bien dire de votre projet de loi : de loin, c’est quelque chose ; de près, ce n’est rien !
Je conclus par une formule populaire pleine de bon sens : on peut faire fondre la glace pour obtenir de l’eau froide, on peut chauffer l’eau froide pour obtenir de l’eau chaude, mais l’eau ne peut pas être gelée, froide et chaude à la fois. Réfléchissez à cette formule au regard du projet de loi que vous nous soumettez. (Applaudissements sur les sur les bancs des groupes GDR, FI et NG.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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