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Formation professionnelle des adultes - Nlle lect

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, chers collègues, nous voici revenus au point de départ. En effet, le projet de loi qui nous est présenté n’a évolué qu’à la marge.
On a déjà dit maintes fois combien il portait mal son nom, combien il avait été fagoté à la hâte, combien il était nocif pour la formation professionnelle, les privés d’emploi, les apprentis, et combien, enfin, il était marqué par les mêmes obsessions que les textes précédents. Vous choisissez en effet une fois de plus de déréguler, de privatiser, de vous en remettre au marché. Vous continuez à pousser les feux de l’État libéral qui passe les plats aux faiseurs de profits et se défausse de ses responsabilités.
Or nous parlons ici de la formation professionnelle continue, du droit d’apprendre, d’élever son niveau de connaissances et de qualifications. Nous parlons du travail, d’être pleinement acteur ou actrice de son travail, d’être bien dans son travail.
Vous en défendez une conception étriquée, où l’on doit former, en fonction de la demande du marché, à des tâches plus qu’à des métiers, en accordant des certificats plutôt que des diplômes, sur son temps personnel à défaut de son temps professionnel.
Vous aviez annoncé un projet qui allait faire événement. Il a déjà une première fois fait pschitt. Cette fois, il fera pff. (Sourires.)
Vous nous vendez du rêve. Vous nous aviez annoncé un grand projet qui devait passer du baume sur les ordonnances, pour les salariés. Or les organisations syndicales de salariés n’ont pas l’air de voir les choses de cette façon.
Vous espériez un accord avec le Sénat, et vous n’y êtes pas parvenus – mais peut-être ne l’espériez-vous pas vraiment.
Or il s’agit d’un projet de loi qui peut avoir de graves conséquences.
Premièrement, vous modifiez profondément l’organisation de la formation professionnelle et les droits qui, pour les salariés, y sont attachés. Le compte personnel de formation est converti en euros, ce qui conduit à diviser par deux les droits effectifs à la formation.
Le congé individuel de formation est refondu dans un compte personnel de formation dit « transition », aux contours imprécis et incertains.
Vous privatisez l’accompagnement professionnel en ouvrant la possibilité à des officines privées à but lucratif de toucher des fonds pour exercer cette mission de service public gratuit.
Vous organisez un grand marché de la formation et prenez de ce fait le chemin de sa « low-costisation ». Vous ne fixez aucune ambition au service public de la formation, qui existe et qui mériterait d’être développé.
Vous créez un organisme, France Compétences, chargé de distribuer les parts de marché et dont le mode de gouvernance est renvoyé à des décisions gouvernementales qui ne seront contrôlées qu’a posteriori par le Parlement.
Nous sommes loin des enjeux, comme celui de garantir collectivement des droits individuels à la formation et à l’accompagnement, celui de former à des métiers débouchant sur une qualification reconnue, celui d’élever le niveau global de connaissances et de qualifications, celui de permettre le développement d’une éducation et d’une culture professionnelle de haut niveau permettant à chaque travailleuse et à chaque travailleur de contribuer pleinement, par son travail, à répondre aux besoins et à faire évoluer tout autant le travail lui-même que l’organisation et les modes de production.
Nous sommes donc inquiets quant à l’avenir de la qualité de notre système de formation professionnelle, comme quant à sa capacité à lutter contre les inégalités.
Deuxièmement, vous démantelez notre système d’information et d’orientation. Vous portez atteinte aux ressources de l’ONISEP – Office national d’information sur les enseignements et les professions. Vous prévoyez de vous en prendre aux centres d’information et d’orientation, qui sont pourtant accessibles à toutes et tous et animés par des personnels formés et informés.
Ce sont pour partie des mesures d’économie et pour partie des lots de consolation pour les régions. L’organisation ainsi obtenue est incohérente, mais vous parvenez cependant à lui donner un sens logique en lien avec votre réforme : vous voulez en effet placer l’orientation dans une logique adéquationniste, c’est-à-dire uniquement guidée par la réponse aux demandes d’un marché de toutes façons aujourd’hui bien exigu.
Troisièmement, vous débridez le droit de l’apprentissage, comme vous avez, à l’automne dernier, détricoté le droit du travail. Ce statut est d’autant plus particulier qu’il s’applique à des jeunes et relève de la formation initiale, donc de l’éducation et non pas de l’éducation permanente ou de la formation continue.
Les protections des apprentis sont revues à la baisse : vous allongez en effet leur temps de travail jusqu’à quarante heures, alors même qu’ils sont plus jeunes et qu’ils doivent par ailleurs fournir un travail théorique. Vous facilitez les ruptures de contrat et dérogez à la visite des spécialistes que sont les médecins du travail.
Vous privatisez pleinement la formation des apprentis et créez les conditions d’une concurrence sévère entre les différents centres, sans même garantir, dans chaque territoire, les conditions minimales de leur fonctionnement au regard de l’intérêt général.
Quatrièmement, après avoir favorisé les contrats précaires, à l’automne, avec les ordonnances, vous avez intégré dans le présent projet de loi l’assurance chômage. Via un amendement présidentiel qui nous a été crânement annoncé en direct au Congrès, vous voulez garantir un droit à des non-cotisants, ce qui pourrait se discuter si l’on ne cherchait pas à donner ainsi un nouveau coup de masse dans l’édifice de la sécurité sociale. Cela paraît d’autant plus être votre objectif que les droits ouverts le seraient pour une infime partie des indépendants.
Vous en profitez pour créer un nouveau statut de sous-salarié pour les travailleurs des plateformes, qui institutionnalise leur précarisation : un travail sans contrat de travail qui nous est présenté de surcroît comme une grande avancée sociale. Quant aux démissionnaires, il eût pu être de bon aloi de chercher des dispositifs d’indemnisation, mais ceux-ci sont là encore marginaux. L’universalisation annoncée n’est donc pas au rendez-vous. Elle l’est d’autant moins qu’il existe dans notre pays des millions de chômeurs et chômeuses non indemnisés – 45%, je crois.
Votre projet va encore aggraver la situation, puisqu’il vient durcir les contrôles, au lieu de renforcer l’accompagnement. Pôle emploi va devenir juge et partie des radiations, ce qui risque d’altérer davantage encore la relation entre l’institution et les demandeurs d’emploi.
Quant à la grande idée, sortie d’un cahier de vacances, d’instituer un tableau de bord, il s’agit d’une mesure vexatoire et révoltante, qui accroîtra les difficultés au quotidien de nombre de personnes privées d’emplois sans créer pour autant de meilleures conditions pour une recherche fructueuse. En revanche, vous laissez de côté la fraude aux cotisations patronales.
Cinquièmement, certaines dispositions du projet de loi viennent effriter, si ce n’est plus, les fondements de la fonction publique. Le Sénat n’avait pas fait de miracles. Certaines de ses dispositions allaient dans la mauvaise direction. Toutefois, il avait atténué certains aspects de cette mauvaise réforme. Or vous n’en avez rien retenu.
En première lecture, vous aviez accepté un très bon amendement relatif à la formation des aidants, ainsi qu’un autre visant à demander un rapport sur le non-recours aux droits, qu’Aurélien Taché a évoqué tout à l’heure. Nous nous en félicitons, mais vous comprendrez qu’en regard de l’exposé que je viens de faire, cela ne fasse pas la maille !
Trois remarques pour finir.
D’abord, je regrette que vous contraigniez la représentation nationale à légiférer dans la précipitation, en utilisant la procédure accélérée – qui est devenue un mode de vie – ou le temps législatif programmé. Voilà qui confine à la goinfrerie législative ! La délibération, le temps du débat ne nuisent pas à la gestion du pays, à la qualité de la décision politique, à la portée des réformes, dans un monde où tout est accéléré. Il faut du temps pour penser le temps long – et il faut le penser ensemble, non simplement ici, entre nous, mais aussi au-delà.
Ensuite, je veux souligner à nouveau le gâchis que représente ce texte. Il y aurait pourtant beaucoup à faire, même si cela ne suffirait pas pour panser les dégâts d’un système économique ravageur. On pourrait ainsi imaginer un système novateur de sécurité sociale de l’emploi et de la formation, qui permettrait aux salariés d’élever réellement leur niveau de qualification au cours de leur carrière professionnelle et de s’adapter aux évolutions. Cela permettrait d’apporter une réponse au moins partielle au chômage de masse qui sévit depuis si longtemps dans notre pays. Renvoyer cela à la responsabilité individuelle est injuste et dangereux.
Enfin, je vous incite à ôter les lunettes libérales qui vous conduisent à tout passer à la moulinette des exigences des capteurs de profits, à tout déréguler, déréglementer, marchandiser, privatiser. Je vous invite à accorder au contraire une plus grande importance à ce que vous dit la société, à ce que vous disent les acteurs de chacun des domaines concernés, à ce que vous disent les organisations syndicales.
Il n’y a pas d’un côté les réformes magiques que vous proposez et de l’autre les résistances d’un monde ancien. Cela, c’est un récit erroné, par lequel vos esprits se protègent. Il y a des réalités, il y a des besoins, il y a des aspirations. La main invisible du marché n’en a que faire. Nous continuerons donc, au cours du débat, à vous alerter et à formuler d’autres propositions.
Madame la ministre, comme vous avez cité tout à l’heure Simone de Beauvoir et que je suis un peu joueur, je vous invite, si ce projet de loi devait être adopté tel que vous le souhaitez, à méditer cette autre formule de Simone de Beauvoir : « Toute réussite déguise une abdication. » (Applaudissements sur les bancs des groupes NG et FI et sur quelques bancs du groupe LR.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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