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La réforme constitutionnelle

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, madame et monsieur les rapporteurs, Elsa Faucillon, Pierre Dharréville, Jean-Paul Lecoq et moi-même avons décidé de nous rendre dans un troquet parisien goûter la ferveur populaire et voir comment la France rassemblée dans sa diversité peut, dans un bonheur simple, cultiver le sentiment d’appartenance. Cela a été un moment de plaisir intense. J’imagine que, comme ancien maire de la ville du « club doyen », monsieur le Premier ministre, vous avez déjà connu, dans un tel partage, autant de plaisir et de bonheur que nous.
Or, ce bonheur éphémère immédiatement passé, je me suis demandé ce qui peut bien justifier qu’en pleine ferveur populaire, en pleine torpeur de l’été, en catimini, donc (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM), sous les radars, alors que les Français fêtent la victoire de leur équipe, nous examinions un texte aussi important, si ce n’est que ce texte a des choses à cacher qui mettent en danger la démocratie.
Une fois n’est pas coutume, vous avez posé un diagnostic sur une démocratie malade, sur une république abîmée, sur une république taillée sur mesure pour le Général de Gaulle qui s’est affaiblie de manière constante. Une fois n’est pas coutume, vous avez souligné la défiance populaire et la crise du régime – un constat que nous partageons et que nous dénonçons depuis longtemps. Mais vous avez oublié de dire que les présidents de la République qui se sont succédé se sont glissés dans les habits du monarque républicain, jusqu’à la caricature – l’intervention du Président de la République hier devant le Congrès a malheureusement confirmé cela –, affaiblissant même non seulement la fonction du Premier ministre, mais aussi celle du Président de la République lui-même.
En janvier 1964, le président de Gaulle déclarait : « Une constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique. » Après un an d’exercice du pouvoir, force est de constater que le président omniprésent n’a eu de cesse d’amplifier la concentration et la centralisation du pouvoir à l’Élysée.
Mépris des contre-pouvoirs et des corps constitués, mépris du dialogue social, mépris des colères exprimées par le peuple – et même surdité à ces colères –, mépris du Parlement que nous mesurons un peu plus chaque jour…
Ce mépris à l’égard de la représentation nationale, nous en avons malheureusement pris la pleine mesure durant la première année de cette législature. Je dénonce le recours quasi systématique aux ordonnances sur les lois les plus importantes – la réforme du code du travail, la réforme ferroviaire et même le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable –, la banalisation du recours à la procédure accélérée, comme si vitesse et précipitation rimaient avec efficacité, la multiplication des commissions mixtes paritaires réunies en catimini, ainsi que le recours à l’arme antiparlementaire du vote bloqué, y compris pour mépriser à l’envi les retraités agricoles, les plus modestes d’entre nous, ceux qui ne sont pas les premiers de cordée. Autant d’artifices parlementaires pour faire passer en force, depuis un an, des réformes visant toutes le même objectif : favoriser le petit nombre, ceux qui courent vite, ceux qui n’ont pas besoin de l’État providence, de l’État qui protège, de la République qui prend soin de tous pour donner à chacun une chance de s’insérer.
Ces artifices témoignent aussi de la démocratie technocratique voulue par le président Emmanuel Macron, qui s’imagine, peut-être comme un certain nombre d’entre vous au sein de la majorité, au service de la « start-up nation » où l’on s’évalue entre soi sans se soucier de l’opinion publique – on l’a vu récemment avec l’évaluation des ministres.
La majorité partage avec le Président de la République cette volonté de transposer aux institutions de la République en général, et à l’Assemblée nationale en particulier, une culture managériale qui justifie une conception pyramidale de la démocratie et une accélération du rythme de travail parlementaire incompatible avec un examen sérieux, méthodique et raisonné des textes qui nous sont soumis – nous avons été un certain nombre à le dénoncer cet après-midi. Comme s’il fallait aller toujours plus vite lorsqu’il s’agit de satisfaire l’appétit des actionnaires… Au bout du compte, la volonté affichée de rendre le travail parlementaire efficace et rentable vise davantage à faire disparaître la raison d’être des députés : faire la loi au nom du peuple dans sa diversité.
Dans la démocratie technocratique d’Emmanuel Macron, la décision politique échappe définitivement aux parlementaires pour être monopolisée par un président de la République conseillé et assisté par des techniciens, des experts, des hauts fonctionnaires dont certains ont partagé avec lui une scolarité sur les bancs de l’École nationale d’administration, au service d’une vision profondément technocratique.
La réforme qui nous est proposée aujourd’hui s’inscrit pleinement dans cette logique. Certes, nous avons été nombreux à remarquer que certaines dispositions de ce texte ressemblent à des marronniers constitutionnels et font consensus. D’autres dispositions sont purement d’affichage, cosmétiques, à l’instar de l’inscription, parmi les compétences du législateur, de l’action contre les changements climatiques. Le débat en commission a montré que l’utilisation, à l’article 1er, des verbes « agir » ou « transcrire » n’a évidemment pas la même conséquence en termes de préservation de l’environnement. Pour notre part, nous continuons de penser que l’insertion de diverses notions précises dans la Constitution et dans la Charte de l’environnement engagerait davantage l’État.
Enfin, plusieurs dispositions apparaissent dangereuses parce qu’elles portent en germe les fondements d’un nouvel affaiblissement du Parlement. Cela a déjà été dit à plusieurs reprises. Face à la volonté d’amoindrir le pouvoir d’amendement des parlementaires, je m’étonne du silence assourdissant du président de l’Assemblée nationale.
Face à la confiscation par le Gouvernement de l’ordre du jour du Parlement, je m’étonne du silence assourdissant du président de l’Assemblée nationale.
S’agissant de la révision de la procédure parlementaire, je m’étonne que le président de l’Assemblée nationale ne s’offusque pas,…
M. le président. Vous ne lisez pas les journaux, monsieur Jumel !
M. Sébastien Jumel. …avec nous, sur les différents bancs de notre assemblée, de cet accaparement par l’exécutif des prérogatives du Parlement. (Exclamations et applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LR et NG.)
Quant à l’accélération de la procédure d’examen des projets de loi de finances, je m’étonne que l’ensemble des parlementaires, dans leur diversité, ne se mobilisent pas pour défendre le Parlement.
Il en va de même de votre volonté de découper la République au scalpel, d’aboutir à des circonscriptions désincarnées, déshumanisées, de taille XXL, comme s’il s’agissait de transformer l’Assemblée nationale en think tank parisien où l’on ne pourrait plus parler des territoires, où l’on ne pourrait plus incarner les territoires, où l’on ne pourrait plus faire rentrer la force du peuple et la voix des territoires, ce qui est évidemment l’un de nos engagements les plus profonds.
Cette accélération permanente, au prétexte d’un renforcement des moyens de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques, ressemble à s’en méprendre à de la poudre de perlimpinpin. Comment le Parlement pourrait-il disposer de moyens de contrôle alors qu’il est envisagé de privatiser ou d’externaliser certaines tâches exercées par l’administration de l’Assemblée nationale, d’égratigner les moyens des fonctionnaires de notre assemblée qui, dans la neutralité consubstantielle à leur statut, nous permettent d’assurer un examen autonome et indépendant des textes qui nous sont soumis ? Voilà une turpitude qu’il nous fallait dénoncer.
J’en reviens à l’accélération de la procédure d’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Je veux dire au rapporteur général de la commission des affaires sociales toute la turpitude que constituait la suppression, dans la Constitution, de l’expression « sécurité sociale » qu’Ambroise Croizat n’avait pas choisie par hasard. La sécurité sociale, ce n’est pas la protection sociale. La sécurité sociale impose la notion de redistribution ; ce n’est pas le cas de la protection sociale. La sécurité sociale n’est pas soumise à la concurrence ; la protection sociale l’est. C’est le cœur, la sève de notre système de retraites par répartition qui est donc attaqué. Vous avez beau répéter à l’envi : « Pas touche aux retraites ! »…
« Pas touche aux pensions de réversion ! Pas touche à la protection sociale à la française ! » La volonté de supprimer l’âme de la sécurité sociale dans la Constitution révèle la turpitude de votre volonté de modifier ce modèle. « Jamais nous ne tolérerons que ne soit renié un seul des avantages de la sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie cette loi humaine et de progrès… » Voilà les propos tenus par Ambroise Croizat lorsqu’il a instauré la sécurité sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe NG.) Évidemment, nous les faisons nôtres.
Monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, nous avons fortement critiqué votre mauvais projet : l’esprit n’y est pas, la forme non plus. Mais en suivant attentivement les débats, vous verrez que nous formulons des propositions intelligentes pour rééquilibrer les pouvoirs, des propositions innovantes pour renforcer les pouvoirs d’intervention du peuple, des propositions audacieuses pour ériger le dialogue social au rang des valeurs constitutionnelles.
Un texte aussi fondamental, aussi vital pour l’avenir de la démocratie, implique que le peuple soit consulté par voie référendaire.
Si vous en avez le courage, nous vous disons : « Chiche ! » Tout de suite, allons voir le peuple : il sait ce qui est bon pour lui. C’est donc la voix du peuple que nous porterons au cours de ces débats à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe NG.)
M. le président. Monsieur Jumel, lorsque je suis au perchoir, je m’astreins à rester silencieux.
Mme Caroline Fiat. Mais vous soupirez lorsque ce que dit l’orateur ne vous plaît pas !
M. le président. Cependant, je vous invite à lire les journaux, notamment L’Humanité, qui a consacré un excellent dossier à la réforme des institutions, avec un débat entre le président de votre groupe et moi-même.
M. Jean-Paul Lecoq. Très bonne lecture, monsieur le président ! Il faudrait lire L’Humanité tous les jours, pas seulement lorsque vous êtes dedans !

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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