Interventions

Budget de l’État

PLF pour 2020 (première partie)

Je commencerai comme tous les autres orateurs, monsieur le rapporteur général : vive les sixties ! Bon anniversaire ! (Rires).

Un autre anniversaire se profile, plus grave : le 17 novembre 2018 a commencé le premier week-end de mobilisation des gilets jaunes, provoqué par l’instauration d’une taxe carbone. C’était la goutte d’eau de trop, celle qui s’ajoutait à la hausse de la CSG pour les retraités et au gel des salaires dans le public comme dans le privé, mais avec toujours des cadeaux aux plus riches, comme la suppression de l’ISF.

Pendant des mois, la colère est montée, de tous les lieux et de toutes les professions. Justice fiscale, justice sociale, urgence climatique : voilà les légitimes revendications de nos concitoyens. Votre budget aurait dû répondre à ces exigences.

Mais non, le projet que vous nous présentez, au contraire, respecte votre dogme, imposé par les traités européens : la réduction de la dépense publique ! Sans ambition, et pas du tout à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés.

Vous nous vendez ce budget, monsieur le ministre, avec un maître mot : la baisse des impôts. Présentée comme ça, l’offre paraît alléchante. Mais derrière une communication clinquante se dissimule une tout autre réalité. Les Français le savent bien, quand la carrosserie est un peu trop belle, il est prudent de jeter un œil sur le moteur.

D’abord, cette baisse des impôts est synonyme d’économies importantes : si tous les impôts baissent, y compris ceux des plus riches, il y aura forcément moins d’argent dans les caisses de l’État, ce qui se traduit par des économies nouvelles imposées à nos services publics et moins d’argent pour répondre aux urgences sociales et climatiques.

De plus, quand vous annoncez vouloir baisser les impôts, il faut que les Français sachent que vous allez encore baisser les impôts des plus riches. L’acte III de votre budget, c’est l’acte III du budget des riches ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.) Je pense aux multinationales, aux grands groupes de plus de 250 millions de chiffres d’affaires, les rois de l’optimisation fiscale, qui vont voir leur taux d’impôts sur les sociétés baisser alors qu’ils bénéficient déjà honteusement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, du crédit d’impôt recherche et d’autres exonérations de cotisations sociales dont ils n’ont pas besoin – en tout cas pas autant que nos PME.

Ce sont là encore des milliards d’euros versés sans conditions, alors que certains de ces grands groupes continuent de délocaliser leurs usines à l’étranger, dans des pays à bas coût de production : Renault, Peugeot, Ford, Alstom, General Electric et compagnie, c’est l’impôt sur les sociétés de ces grands groupes que vous allez baisser ! Ne dites pas non, c’est la réalité.

Ce nouveau cadeau pour le capital représente en fait 2,5 milliards d’euros en moins pour notre budget, pour nos hôpitaux, nos retraités, nos communes, la transition écologique.

Une société sans impôts n’existe pas.

Et les premiers à souffrir de cette politique sont les plus modestes. La preuve, c’est que vous proposez de baisser les impôts sur le revenu pour un montant de 5 milliards d’euros. C’est bien pour ceux qui vont en bénéficier, mais, comme vous n’augmentez pas l’impôt des tranches supérieures, qui va payer ces 5 milliards d’euros ? C’est nous tous, y compris les 22 millions de nos concitoyens qui ne paient pas l’impôt sur le revenu et qui ne profiteront donc pas de la baisse !

Ils paieront ! Et vous proposez de faire des économies sur la santé, sur le logement, sur l’assurance chômage et donc sur le dos des chômeurs, sur les APL et donc sur le dos des familles et des étudiants, sur nos services publics de proximité avec la fermeture des trésoreries municipales…

Nous avions le désert médical, nous aurons le désert fiscal. Et en plus vous vendez nos bijoux de famille, avec la privatisation des groupes Aéroports de Paris et Française des jeux. Bref, ce que vous donnez d’un côté, vous le reprenez de l’autre, comme vous le faites depuis deux ans et demi.

Pourtant, cette question du pouvoir d’achat, des salaires et des pensions est centrale ! Oui, il faut que le travail paye. Mais pour vous, il ne doit rien coûter au capital.

Selon votre conception, pour que le travail paye, il faut passer via la Caisse d’allocations familiales, par la prime d’activité ; via l’État, par des baisses d’impôts ; via la sécurité sociale, par des allègements de cotisations. Bref, c’est à la solidarité nationale, c’est-à-dire nous, de payer ces augmentations de salaires. Alors oui, le travail doit payer, mais c’est aux entreprises de payer – en partageant davantage les richesses que nous produisons, la valeur ajoutée, et avec un salaire brut qui augmente !

Avec votre politique, les 500 plus riches familles de France ont vu leur patrimoine passer de 570 à 700 milliards d’euros en deux ans. Depuis votre arrivée au pouvoir, avec vos cadeaux, leur fortune a augmenté de 22 % !

Nous demandons la même chose pour les salaires et les pensions : 22 % d’augmentation ! Voilà une mesure forte pour un travail qui paye !

C’est comme cela que nous remettrons de l’essence dans le moteur de l’économie réelle, plutôt qu’en favorisant, comme vous le faites, la spéculation avec des cadeaux tels que la suppression de l’ISF ou l’instauration de la flat tax, ce bouclier fiscal qui ne dit pas son nom pour ceux qui se payent en revenus financiers.

D’ailleurs, on s’en doutait, cette fameuse flat tax a eu des effets d’aubaine. Il est confirmé que des dirigeants se sont payés en dividendes plutôt qu’en salaires. Ces pratiques d’optimisation fiscale, que nous avions dénoncées par avance, ont des effets désastreux sur le financement de la sécurité sociale.

La justice fiscale est notre boussole à nous : c’est pour cela que nous proposerons le rétablissement de l’ISF ainsi qu’un impôt sur le revenu véritablement progressif, à onze tranches, pour que les petits payent petit et que les gros paient davantage, avec l’instauration d’une tranche à 48 %. Notre proposition est équilibrée. Elle ne fait pas perdre un euro au budget de la France – contrairement aux vôtres –, avec un seuil à 3 900 euros. En dessous, les contribuables paieront moins, au-dessus, ils paieront plus !

Nous proposons également d’améliorer la progressivité de l’impôt sur les sociétés, pour aider les petites entreprises face à la mainmise des grands groupes, à rebours de votre nouvelle baisse de l’impôt sur les sociétés favorable aux multinationales et sans contrepartie.

Nous proposons la réduction de la TVA sur les produits de première nécessité.

Nous proposons également le prélèvement à la source des bénéfices des multinationales, seul outil efficace pour lutter contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale. Car les propositions d’impôt mondial faites par l’OCDE dans ce domaine sont encore loin d’être concrétisées, et en outre ne toucheront qu’une partie des entreprises, notamment les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon. Ce n’est pas suffisant !

Tant que les paradis fiscaux ne seront pas combattus, il y aura toujours des délinquants en cols blancs pour en profiter.

Entre nous, monsieur le ministre, quand on découvre que la Suisse est sortie la semaine dernière de la liste grise des paradis fiscaux, on peut douter de la volonté de l’Union européenne de mener ce combat. C’est comme si on avait sorti Pablo Escobar de la liste des narcotrafiquants ! (M. Jean-Paul Dufrègne et Mme Sabine Rubin applaudissent.)

M. Joël Giraud, rapporteur général. Ce n’est quand même pas la même chose !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est légèrement exagéré…

M. Fabien Roussel. C’est pareil ! Kif-kif bourricot !

Si au moins, sur ce sujet, vous pouviez approuver notre amendement visant à la domiciliation fiscale des dirigeants d’entreprises, ce serait un petit geste, une bonne chose. Retenir l’amendement des députés communistes, ce serait même un geste révolutionnaire !

Nous proposons d’investir aussi dans nos services publics, notamment pour la santé, avec un grand plan hôpital que nous présenterons la semaine prochaine.

Nous voulons également un plan ambitieux pour le monde rural, qui a fait l’objet de propositions nouvelles par nos collègues Dufrègne et Mattei – un secteur qui souffre de la désertification de ses services publics et qui se sent attaqué, à travers ses agriculteurs, accusés de tous les maux. Taxez le capital, pas le monde rural !

La disparition des services publics dans les communes touche d’ailleurs autant les villages que les grandes villes. Nous proposons ainsi, par un amendement, de consacrer 5 milliards d’euros supplémentaires à nos communes, afin de donner aux majorités élues en 2020 des moyens nouveaux pour répondre aux besoins de leurs habitants. Voilà ce que nos communes attendent.

Pour l’instant en effet, toutes craignent la disparition de la taxe d’habitation. Les dispositions de ce budget confirment ces craintes. D’abord, cette mesure va coûter 7 milliards d’euros rien qu’avec l’exonération des 20 % les plus riches. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.) Oui, grâce à vous, monsieur Darmanin, Bernard Arnault, que vous avez déjà dispensé d’ISF, bénéficiera bientôt d’un ultime cadeau de votre part : il sera lui aussi exonéré de taxe d’habitation !

Bravo, il est content, il a eu droit à un petit cadeau. En avait-il vraiment besoin ?

Mais il y a plus grave : en perdant la taxe d’habitation, les communes perdent le moyen de prélever un impôt important dont les maires avaient la maîtrise pour financer leurs projets.

Les voilà maintenant dépendantes de mécanismes de compensation dont les contours sont encore bien flous. C’est une attaque majeure contre nos communes, contre les maires et les conseils municipaux, qui ont encore la confiance de nos concitoyens.

En plus, vous vous attaquez à nos départements en proposant de transférer une part de la taxe foncière départementale vers les communes, les départements faisant l’objet d’une compensation par de la TVA. Entre nous, quel bricolage ! Pour habiller Paul, les communes, vous déshabillez Pierre, les départements. Demain, les pompiers manifesteront pour réclamer 16 000 emplois afin de remplir leurs missions. Comment les départements feront-ils pour répondre à leur demande ?

Enfin, en matière d’urgence écologique, où est votre politique ?

Alors que notre pays est en retard sur ses engagements en termes d’émission de CO2, vous préférez baisser les moyens mis au service de la transition écologique, que cela soit pour la rénovation thermique des logements, l’investissement dans les transports publics ou encore l’accompagnement de nos agriculteurs.

Un exemple : pour atteindre nos objectifs en matière de climat, il faut rénover 7 millions de logements qui sont de véritables passoires thermiques, soit un rythme d’au moins 700 000 logements par an. Nous en sommes à 250 000 rénovations, dont seulement 40 000 rénovations complètes ! Nous prenons du retard.

Il faudrait mettre les moyens. Or, le montant du crédit d’impôt prévu à cet effet, qui se transformera en prime l’année prochaine – ce qui est une avancée – va malheureusement baisser, passant de 900 millions d’euros en 2019 à 800 millions en 2020 ! Donc, non, monsieur Darmanin, je n’ai pas ressorti mon discours de l’an dernier car, si votre objectif reste le même, les moyens que vous lui consacrez diminuent. Bientôt, il sera trop tard pour la planète : avec votre budget, il faudra vingt ans pour atteindre notre objectif !

Autre exemple : il a si peu dans votre budget pour investir massivement en faveur des transports ferroviaires, rien ou si peu pour le fret, pour améliorer le transport des voyageurs avec plus de dessertes et des billets moins chers ! Avec les 400 millions d’euros de plus que vous prévoyez pour nos infrastructures ferroviaires, on est loin du milliard supplémentaire par an qu’il nous faudrait pour développer le rail, entretenir les voies ferrées, donner des moyens à nos régions pour un TER de qualité ou relancer, par exemple, le train des primeurs, menacé !

Pour tenir tous vos engagements, nous vous proposons un moyen concret, à l’allemande : créer un fonds spécial financé directement par la Banque centrale européenne – c’est possible – avec un prêt à taux négatif, grâce auquel, à la fin, on gagnerait de l’argent, et par des investisseurs privés. Ce fonds, doté de 100 milliards d’euros, nous permettrait de répondre à ces urgences dès l’année prochaine. Cela s’appelle de l’injection de liquidités, « inyección de liquidez », comme dit le professeur dans la superbe série La casa de Papel, que vous devriez regarder parce qu’elle touche de près au sujet qui nous occupe ! (Rires.)

En injectant des liquidités dans l’économie, nous aurions pu dès 2020 multiplier nos efforts dans tous les domaines que j’ai cités, et nous vous proposons de le faire avec ce fonds spécial.

Nous aurions pu, dès l’année prochaine, entretenir ces milliers de kilomètres de voie ferrée et relancer toutes ces lignes du quotidien supprimées ou menacées. Nous aurions pu procéder aux investissements nécessaires pour relancer nos grands ports maritimes plutôt que de les transférer aux régions. Nous aurions pu aider les régions à investir dans le réseau régional pour que les trains roulent et arrivent à l’heure, tout simplement, et faire en sorte que les Français préfèrent le train à la voiture. Nous aurions pu aider les agglomérations à améliorer leur offre de transports collectifs et à développer la gratuité. Nous aurions pu accompagner nos agriculteurs pour les aider à modifier leurs modes de production tout en restant compétitifs. Voilà des projets ambitieux, des projets d’avenir !

Monsieur le ministre, comment allons-nous tenir nos objectifs climatiques avec votre budget ? Nous allons perdre encore une année, voilà ce qui va se passer, et vous en porterez la lourde responsabilité !

Ce que les députés communistes et républicains veulent pour la France et les Français dans les années qui viennent, c’est tout simplement, au lieu de distribuer les miettes d’un gâteau de plus en plus petit, de changer de gâteau, de changer la recette. C’est le seul moyen pour atteindre nos objectifs en faveur du climat comme pour répondre à l’exigence de justice sociale et de justice fiscale exprimée par nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. – Mmes Olivia Gregoire et Nadia Hai applaudissent aussi.)

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Fabien
Roussel

Député du Nord (20ème circonscription)

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