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PLFR pour 2018

Avant d’aborder le cœur de notre projet de loi de finances rectificative, permettez-moi de revenir un instant sur ce week-end de commémorations à l’occasion duquel le Président de la République a lancé un vibrant appel à la paix. Vous comprendrez vite, chers collègues, pourquoi je veux revenir sur ce point.
D’abord, parce que nous partageons bien sûr cette volonté d’unir toutes nos forces pour faire gagner la paix, le multilatéralisme et la coopération entre les pays plutôt que de laisser prospérer le repli sur soi et les nationalismes.
Ensuite, et surtout, parce que tous les appels à la paix et au vivre-ensemble resteront vains s’ils ne se conjuguent pas avec des politiques qui luttent vraiment contre les inégalités et les injustices.
En France, 9 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, 5 millions d’entre eux n’ont pas de travail ou subissent la précarité. En Europe, les chiffres sont tout aussi alarmants, avec 17 millions de chômeurs officiellement recensés par Eurostat et 87 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire percevant moins de 60 % du salaire médian de leur pays.
Et pendant ce temps-là, les riches n’ont jamais été aussi riches. Il n’y a jamais eu autant de richesses créées, mais elles sont littéralement confisquées par quelques-uns, au détriment de tous ceux qui travaillent.
Par le passé, il y avait les fameuses 200 familles ; aujourd’hui, il y a les 500 familles les plus riches de France, dont le capital est supérieur au montant total des dépenses de l’État.
C’est insupportable, comme l’est la surmilitarisation du monde, qui était aussi une réalité en 1910, alors que des industriels de l’armement voulaient la guerre pour faire tourner leurs usines. Aujourd’hui, comme il y a un siècle, le commerce des armes est à nouveau en pleine expansion. La course à l’armement est relancée, sous l’impulsion des États-Unis et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord – OTAN –, que nous suivons doctement, à l’image de l’exercice militaire organisé en Norvège, auquel 3 000 soldats français ont participé, aux côtés d’un porte-avion nucléaire américain. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’il y ait un surcoût des OPEX.
Notre pays fait le choix de s’aligner dans cette course, avec un budget militaire en forte hausse. Nous choisissons en effet d’augmenter encore nos moyens de dissuasion nucléaire. Prévoir 14,5 millions d’euros par jour jusqu’en 2025, est-ce vraiment utile ?
La paix et le vivre-ensemble ne prospéreront pas sur un tel terreau, et les nationalismes ne reculeront pas alors que prolifèrent les armes, la violence, la misère et la pauvreté. Ce climat délétère, ce climat de tensions permanentes, de guerre économique est favorable à la montée des nationalismes et des extrêmes-droites. Il en va en 2018 comme en 1910, comme en 1930.
C’est pourquoi il faut agir maintenant ! C’est maintenant qu’il faut désamorcer cette exaspération, en apportant de bonnes réponses à une souffrance qui est bien réelle. Il faut aller au-delà des mots, aussi puissants et lyriques soient-ils, car quand les mots ne portent plus, ce sont les coups qui partent.
Nous étudions ici le PLFR de votre premier budget en année pleine. C’est l’occasion de réorienter votre politique, car votre budget pour 2018 n’apporte pas, loin s’en faut, le mieux vivre tant attendu. Il le fait d’autant moins que les Français perdent du pouvoir d’achat malgré toutes les mesures que vous pouvez prendre.
Dans le même temps, de nouveaux scandales d’évasion fiscale éclatent – les Football leaks ou les CumEx files, cette fraude qui a privé onze pays européens de 55 milliards d’euros de recettes. Cinquante-cinq milliards ! Ça laisse rêveur… Je pense aussi au fisc allemand qui vient d’adresser à la France une liste de 1 100 exilés fiscaux dans le cadre des Panama papers.
Quand allez-vous enfin prendre des dispositions pour interdire à des contribuables et à des entreprises de placer de l’argent dans des paradis fiscaux, dans des zones offshore au sein de l’Union européenne, comme nous vous l’avons proposé au printemps dernier ? Nous aurions aimé trouver dans ce projet de loi les milliards d’euros repris à ces multinationales qui, en passant par des paradis fiscaux européens tels que l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas ou Malte, paient moins d’impôt que nos PME. Mais il n’y a rien de tout cela. Et avec votre loi relative à la lutte contre la fraude, ce n’est pas près d’arriver – c’est précisément la raison pour laquelle nous ne l’avons pas votée.
Nous aurions aimé trouver dans ce PLFR quelques milliards supplémentaires, récupérés sur les comptes de ces fraudeurs, que nous pourrions injecter dans l’économie pour augmenter les pensions de nos retraités et les salaires des infirmières, ou pour embaucher des enseignants au lieu de leur supprimer 1 800 postes – ils ont eu raison de manifester aujourd’hui.
Au lieu de cela, monsieur le ministre, vous avez proposé ce week-end de traquer ceux qui se montrent sur Facebook en maillot de bain sur un yacht. Franchement, attendez-vous vraiment de trouver une photo de Bernard Arnault en maillot de bain sur son yacht pour démonter ses circuits d’optimisation fiscale ?
À mon avis, vous pouvez attendre longtemps.
Vous allez nous dire qu’il faut attendre, qu’il faut vous faire confiance, que les choses avancent aussi en Europe. Sauf qu’au rythme auquel elles avancent, nous y serons encore dans un siècle, surtout sachant que l’unanimité est de mise en Europe pour régler les questions fiscales ! Rappelez-moi, monsieur le ministre, depuis combien de temps le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés est sur la table ? Depuis 2011 officiellement, et en réalité depuis 1975 ! Et nous venons d’apprendre que la taxe sur les GAFA est reportée à 2020, voire à 2021 !
Non, il ne faut plus reporter à demain les mesures indispensables : il y a urgence ! C’est maintenant que la paix est menacée, que les tensions croissent, et que les idées les plus extrêmes à droite enflent et se nourrissent du désespoir.
L’urgence, c’est de redonner de l’espoir ; c’est de montrer qu’enfin un État ou un Parlement européen vont entendre cette colère et se mobiliser pour lutter contre la financiarisation de l’économie, pour réduire les inégalités, pour lutter contre le chômage, la pauvreté, pour restaurer de vrais services publics, humains et efficaces, dans tous les pays, dans toutes nos villes et nos villages.
L’urgence, c’est aussi de relever le défi climatique. Il n’est pas possible d’espérer gagner un demi degré en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre en faisant des choix politiques exclusivement centrés sur la rentabilité du capital, au détriment de l’être humain et de la planète.
Le budget rectificatif que vous nous présentez ne corrige pas les choix effectués jusqu’à présent, c’est peu de le dire. Vous affichez à la moindre occasion votre volonté de lutter contre le changement climatique mais vous annulez 600 millions d’euros de crédits du programme « Soutien à la transition énergétique ». Pourquoi ne pas mobiliser ces crédits ? Six cents millions d’euros, cela équivaut à 75 % du coût du crédit d’impôt pour la transition écologique. Quelle est votre logique, alors que selon de nombreux experts, il faudrait, pour atteindre nos objectifs climatiques, doubler l’effort actuel de l’État dans la transition écologique ?
En lieu et place d’une écologie positive, vous optez pour une écologie punitive. Vous préférez augmenter massivement les taxes sur les carburants plutôt que d’investir davantage dans les énergies renouvelables et les infrastructures de transport. Comment ne pas comprendre la colère des Français, des travailleurs, des retraités qui vous disent haut et fort qu’ils en ont marre de jouer les variables d’ajustement de votre budget ? Et ils ne sont pas les seuls ! Ceux qui se chauffent au gaz ont vu leur facture bondir de 24 % depuis le début de l’année. En neuf mois, les tarifs de l’électricité ont augmenté de 42 %. Et ce n’est pas le chèque énergie qui va compenser ces hausses… Tous les Français subissent de plein fouet la hausse de l’inflation, deux fois plus rapide qu’il y a un an à la même époque.
C’est toujours aux mêmes que vous réclamez des efforts, jusqu’à l’écœurement. Sur les 14 milliards d’euros d’économies au titre de la cure d’austérité dans le budget pour 2019, 3,5 milliards proviennent du quasi-gel des prestations sociales, qu’il s’agisse des retraites, des APL ou des allocations familiales. Et pendant ce temps-là, pour les premiers de cordée, c’est toujours la fête : leur patrimoine et leur richesse ne font que croître. Voilà exactement ce qui nourrit la colère et menace notre pacte social.
Il est encore temps d’éviter l’irréparable, mais il y a urgence. Et cela commence par un réexamen de ce budget rectificatif, en l’orientant résolument vers l’être humain et la préservation de notre planète. Tel est le sens des propositions que les députés communistes vous feront lors de l’examen de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Fabien
Roussel

Député du Nord (20ème circonscription)

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