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Projet de loi ELAN - CMP (MRP)

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission mixte paritaire, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous nous retrouvons cet après-midi pour nous exprimer une ultime fois, selon toute vraisemblance, sur le projet de loi ÉLAN.
Le groupe communiste a décidé de déposer une motion de rejet préalable. Il ne s’agit ici pas d’une posture, ou d’une opposition de principe, mais bien, pour nous, de tirer une dernière fois la sonnette d’alarme. Ce texte est en effet dangereux, je vous l’assure, pour l’avenir du logement dans notre pays.
Il l’était déjà, selon nous, en sortant de notre assemblée en première lecture. Il l’est encore plus après son passage au Sénat et après l’accord trouvé en commission mixte paritaire : c’est en effet un texte où dominent les régressions et les renoncements, au moment où la crise du logement se fait extrêmement prégnante dans notre pays.
Le logement, cet abri qui permet à chaque individu de se construire, de s’émanciper et de vivre dignement, est aujourd’hui au premier rang des préoccupations de nos concitoyens. Il suffit d’avoir été élu local ou d’être un député ancré localement pour savoir que, sur dix demandes de rendez-vous adressées par les habitants, huit concernent un problème de logement.
Le logement est l’un des piliers du pacte républicain : or c’est bien cela que, selon nous, ce projet de loi affaiblit. Il use en effet de recettes libérales qui ont déjà été, ici ou ailleurs, mises en œuvre et qui ont fait la preuve de leur inefficacité.
Ce projet de loi remet en cause le modèle français du logement HLM et son financement, alors que c’est un modèle solide, qu’il faudrait, à l’inverse, conforter, moderniser et décentraliser. Entre la dernière loi de finances et le présent texte, vous bouleversez en quelques mois ce qu’on a mis 120 ans à construire dans ce pays. Si nous étions sûrs du résultat, tout irait bien, nous souscririons à ce projet de loi, mais il n’y a pas un professionnel du secteur ou un élu de terrain qui pense que ce texte est de nature à améliorer la situation !
Visiblement, nous ne rencontrons pas les mêmes personnes !
Le chemin que vous nous faites emprunter mène tout droit vers un ralentissement de la construction et de la production de logements, et donc vers une aggravation de la crise du logement – les chiffres en témoignent déjà.
Je regrette que vous n’ayez pas retenu ma proposition de faire du benchmarking en Europe. On aurait sans nul doute constaté qu’en Espagne, en Italie, en Grèce, au Portugal et au Royaume-Uni, les recettes libérales que vous importez ont échoué. Cela vous aurait permis de réviser votre position et de privilégier une réponse pragmatique, fondée sur la mixité économique propre à notre pays, avec une jambe publique et une jambe privée qui se soutiennent alternativement l’une et l’autre et permettent de marcher.
Ironie du calendrier, le 21 septembre dernier, à Berlin, dans cette Allemagne souvent citée en exemple ici, se sont réunis l’État fédéral, la totalité des länder, les principales communes et des associations, à l’occasion de ce qui a été appelé un « sommet du logement ». Les protagonistes en ont passé un pacte : ils se sont mis d’accord, alors que la crise du logement est moins aiguë dans ce pays qu’en France, sur un plan de réinvestissement public massif pour y faire face. Ce plan comporte quatre volets. D’abord, un resserrement de l’encadrement des loyers, qui existait pourtant déjà en Allemagne. Ensuite, un plan d’investissement public visant à produire 1,5 million de logements – pas moins ! – au cours des trois prochaines années : 2019, 2020, 2021.
Il y aura aussi un fort soutien public aux aides existantes, à hauteur de plusieurs milliards d’euros, qui se traduira principalement de deux manières : d’une part, par la production massive de logements conventionnés – logements sociaux, logements à loyer encadré ; d’autre part, par une aide massive à l’accession sociale à la propriété, à l’aide d’un dispositif en tout point semblable à ce que nous appelons en France l’APL accession – aide personnalisée au logement pour l’accession –, qui a été mise à mal par notre dernière loi de finances.
Ce projet de loi ÉLAN est donc un contresens historique. Il fait, avec des années de retard, ce qui s’est fait ailleurs et qui a échoué, alors que là où la crise du logement est pourtant moins forte, on emprunte un chemin exactement inverse. Avec ce texte, vous souhaitez donner les clés de la politique du logement au marché, en dérégulant. C’est une vieille lune libérale et une recette éculée. C’est inefficace économiquement, c’est injuste socialement et, je le répète, c’est un contresens historique.
J’ai eu l’occasion de relayer tout au long de nos débats les vives inquiétudes exprimées par le milieu associatif et par les professionnels du bâtiment, qui ont formé à cette occasion un front aussi large qu’inédit. Et pourtant, la majorité s’est entêtée. Elle a trouvé un écho favorable au Sénat pour aggraver le texte et, à l’occasion de la commission mixte paritaire, elle a enfoncé le clou sur des sujets aussi sensibles que le handicap ou la loi SRU, qui, quoi qu’en dise le ministre, n’a jamais été autant mise à mal.
Avec mon groupe, j’ai déposé plus de 250 amendements. Aucun n’était d’obstruction, tous étaient de proposition. Je regrette le sort qui, à quelques exceptions près, leur a été réservé.
Le projet de loi pèche dès l’exposé des motifs. Pour la première fois dans notre histoire, un texte traitant du logement parle de ce dernier comme d’un « bien marchand », d’un « bien d’usage », d’un « bien de consommation », mais jamais comme d’un droit. Jamais. Dans notre pays, le logement est pourtant un droit à valeur constitutionnelle. J’ai cru dans un premier temps qu’il s’agissait d’un oubli, mais je sais désormais, après avoir participé aux débats, qu’il n’en est rien : ce n’est pas une dérive sémantique involontaire, c’est un choix politique.
La crise du logement est bien plus grave en France qu’en Allemagne, où l’on prend pourtant des mesures plus radicales et, sans doute, plus efficaces.
Si l’on en croit les chiffres de la Fondation Abbé Pierre, il y a dans notre pays 12 millions de personnes qui sont touchées par la crise du logement ; 2,8 millions vivent en situation de surpeuplement, sans confort et dans une très grande précarité. Et nous avons franchi, il y a quelques jours, le seuil des 2 millions de ménages inscrits sur le fichier des demandeurs de logement HLM. C’est un record ! Cette situation insupportable est indigne de la sixième puissance économique du monde. Quand nous légiférons sur la question du logement, nous devrions tous avoir cette réalité en tête.
La crise du logement est à la fois une crise quantitative – il n’y a pas assez de logements – et une crise des prix. En effet, le principal facteur de dégradation du pouvoir d’achat des ménages au cours des dix dernières années a été l’augmentation du prix du logement. La part qui lui est consacrée est passée de 18 à 25 % du budget des ménages en moyenne ; dans les zones tendues, telle la région parisienne, que je connais bien, elle atteint parfois 40 %.
Comment répondre à cette crise du logement abordable si ce n’est en construisant, en priorité, des logements abordables ? Dans notre pays, les HLM, les habitations à loyer modéré, ne sont pas un logement résiduel pour les exclus ou les plus pauvres. Dès l’origine, ils ont été pensés comme des logements généralistes. Ils ont la capacité de loger 75 % du salariat français. Il s’agit d’un creuset d’intégration et d’un facteur de mixité sociale. Or le texte va à l’encontre de cela. Votre réorganisation des HLM consiste à contraindre les organismes à conclure des mariages forcés et à vendre leur patrimoine pour financer les futurs programmes de construction. Ce sera une petite mort pour des centaines d’entre eux et cela renforcera les géants éloignés du terrain.
En outre, je l’ai dit, ce projet de loi est une attaque sans précédent contre la loi SRU, une attaque qui fait ressurgir dans le débat public les arguments les plus archaïques, les plus égoïstes, loin de notre République une et indivisible. Pourquoi, dix-huit ans après son adoption à l’unanimité de l’Assemblée nationale, revenir sur une loi qui a su prouver son efficacité et combattre les réflexes primaires de l’entre-soi ? Pourquoi satisfaire la volonté qu’ont certains de préserver les ghettos de riches au détriment de la mixité sociale et de la solidarité nationale ?
J’écoutais ce matin Gérard Collomb. Il est toujours intéressant d’écouter un ministre qui quitte le Gouvernement ou un ancien préfet, car ils parlent avec une franchise inhabituelle de leur domaine. Gérard Collomb disait que durant ses pérégrinations en tant que ministre de l’intérieur, il avait vu des territoires ségrégués. Dans certains quartiers populaires, il avait vu des populations vivant côte à côte, séparément, et il craignait qu’un jour ces populations ne vivent plus côte à côte, mais face à face.
Or le projet de loi fait fi de la question, pourtant essentielle pour notre pays, de la mixité sociale. Quoique vous vous en défendiez, vous touchez à la loi SRU, et cela de manière très concrète. Autoriser, par exemple, la vente de logements HLM dans les communes qui ne respectent pas leurs obligations en matière de logements sociaux, décompter durant dix ans ces mêmes logements HLM des obligations faites aux communes, ou encore comptabiliser l’accession sociale à la propriété comme du logement social sont autant d’accrocs au totem que la loi SRU constitue.
En 2005, l’abbé Pierre était venu ici-même, dans les tribunes, pour défendre cette loi attaquée par la majorité parlementaire de l’époque – une majorité qui, dans sa sagesse et par respect pour cet homme, avait fini par retirer son projet. En 2018, treize ans plus tard, l’abbé Pierre n’est plus là, et sa mémoire et son action sont bafouées par ce texte. (M. Jean-Paul Dufrègne applaudit.)
Pour finir, je tiens à dire que je trouve insupportable le sort réservé à une partie de la population à qui nous devrions pourtant tendre les bras, à savoir celle qui est victime d’un handicap. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Ludovic Pajot applaudit aussi.)
Quand nous avons introduit dans la loi l’obligation pour la totalité des logements neufs d’être accessibles aux handicapés – ceux qui le sont déjà et ceux qui peuvent le devenir –, c’était une formidable avancée qu’avaient obtenue les associations et les personnes ayant un handicap.
Réduire cette proportion à 20 % – au terme d’un véritable marchandage : l’Assemblée nationale avait fixé le taux à 10 %, le Sénat à 30 %… – est un recul insupportable.
Notre groupe proposera à tous ceux qui le souhaiteront de faire un recours devant le Conseil constitutionnel sur ce sujet – et peut-être sur d’autres aussi – car il s’agit d’une rupture d’égalité entre les citoyens devant un droit aussi élémentaire que le droit au logement. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.– Mme Josy Poueyto applaudit aussi.)
Vous avez aussi fait supprimer une disposition que j’avais fait adopter par l’Assemblée via un amendement que j’avais déposé, ainsi que Stéphanie Do, députée de la majorité. Elle consistait à inscrire le handicap parmi les critères permettant d’être éligible au dispositif du DALO – droit au logement opposable. Alors qu’elle avait été adoptée par l’Assemblée en première lecture, cette disposition a été supprimée par le Sénat, suppression confirmée par la CMP. Non seulement on réduit à 20 % la part de logements accessibles aux handicapés, mais en plus on ne considère pas le handicap comme un critère de vulnérabilité supplémentaire qui pourrait rendre éligible au droit au logement opposable ! Il s’agit là de reculs que je trouve proprement insupportables.
Avec Hubert Wulfranc, nous avions déposé une proposition de loi visant à lutter efficacement contre les marchands de sommeil. Vous avez retenu un certain nombre des dispositions que nous proposions, et je vous en remercie. C’est une bonne façon de faire la loi. Toutefois, je voudrais pour conclure souligner une chose. Je me suis rendu à la fin du mois d’août, ainsi que M. Denormandie, à Aubervilliers, à la suite d’un incendie dans un habitat insalubre, incendie qui avait fait un mort.
Pour lutter efficacement contre l’habitat insalubre, il faut certes être dur contre les marchands de sommeil, et ce texte va nous permettre de l’être davantage, mais il faut surtout arrêter de créer des conditions dans lesquelles ils prospèrent !
Les marchands de sommeil, c’est la face cachée de l’économie du logement ; ils prospèrent sur la pénurie de logements. Or votre texte va aggraver la pénurie et, malgré la répression plus forte, encourager les marchands de sommeil. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI.– Mmes Jeanine Dubié, Sylvia Pinel et Josy Poueyto applaudissent aussi.)

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Stéphane
Peu

Député de Seine-Saint-Denis (2ème circonscription)

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