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Protocole de Nagoya sur la prévention des risques biotechnologiques

Ce protocole additionnel porte sur la responsabilité et la réparation des dommages à la biodiversité liés aux mouvements transfrontaliers d’organismes vivants modifiés, les OVM.

Les OVM, ce sont des semences, plantes ou boutures, animaux ou micro-organismes génétiquement modifiés, susceptibles de se reproduire et de se disséminer dans l’environnement. Cette catégorie est plus restreinte que celle des organismes génétiquement modifiés car elle exclut tout ce qui est dérivé du vivant, c’est-à-dire les produits manufacturés comme la farine ou les plats cuisinés. Ainsi, le maïs transgénique est un OVM mais, lorsqu’on le transforme en farine, il devient un OGM.

L’objectif principal de ce protocole additionnel est d’imposer aux États de contraindre les opérateurs manipulant des OVM sur leur territoire à prendre des mesures d’intervention, c’est-à-dire de prévention et de réparation en cas d’atteinte à la biodiversité. Il instaure aussi un mécanisme juridiquement contraignant de responsabilité administrative en cas de dommages avérés ou imminents liés à des OVM.

Ce régime de pollueur-payeur est intéressant dans la mesure où il contribue à protéger la biodiversité. Les députés communistes ont toujours défendu ce système car il est le plus juste. C’est un tout petit geste à l’égard de notre planète, qui connaît actuellement un effondrement massif du vivant du fait du capitalisme ; c’est un petit pas, mais il est important.

On peut toutefois regretter que la notion de dommage soit limitée, alors que les États parties conservent une très grande marge de manœuvre pour définir les régimes de la responsabilité et de la réparation. On peut également regretter que certains États, qui souhaitaient aller plus loin en prévoyant des mécanismes contraignants de garantie financière et de responsabilité civile, n’aient pas été entendus dans les négociations. Ce protocole reste donc assez flou quant à la manière d’imputer les responsabilités administratives.

Rendons hommage à tous ceux qui ont contribué à faire éclore le débat sur les OGM, comme les faucheurs volontaires et les journalistes d’investigation.

La même question se pose s’agissant de l’importation involontaire d’espèces invasives végétales ou animales : qui est responsable ? à quel niveau ? si l’on retrouve le coupable, comment lui faire payer les dégâts et quels dommages lui imputer ?

Imaginons que nous retrouvions l’entreprise responsable de l’arrivée des frelons asiatiques en Europe : devrions-nous lui imputer tous les frais liés à l’éradication des nids ? C’est une question fondamentale car, avec l’intensification des échanges mondiaux, les mouvements d’espèces, qu’elles soient OVM ou non, s’accroissent et créent des risques.

La France ayant totalement interrompu la culture d’OVM depuis 2008 et les expérimentations en plein champ depuis 2013, la question des atteintes à la biodiversité en lien avec les OVM se pose uniquement à ses frontières, notamment dans les ports, où transitent en majorité les marchandises importées.

Rendons hommage, au passage, à tous ceux qui ont contribué à faire éclore le débat sur les OGM, comme les faucheurs volontaires et les journalistes d’investigation. Ils ont joué un vrai rôle de lanceurs d’alerte ; nous espérons que demain, malgré la loi relative à la protection du secret des affaires, entre autres, il sera encore possible de travailler sur ces questions.

Revenons-en au problème portuaire : le risque est lié au fonctionnement de nos échanges. Au Havre, par exemple – mon collègue Jean-Paul Lecoq suit le dossier –, seul 0,5 % des 2,5 millions de conteneurs déchargés chaque année sont contrôlés, par manque de moyens et par nécessité d’aller vite. Les procédures ne permettront jamais d’atteindre le risque zéro d’importation illégale d’OVM, mais elles pourraient être plus strictes s’il y avait plus de douaniers. Par ailleurs, la diversité des amendes et des procédures de contrôle des conteneurs dans les ports européens, qui contribue à favoriser les ports les moins-disants sur ces questions, fait débat. Une harmonisation à l’échelle européenne serait fortement souhaitable.

C’est pourquoi il importe de ratifier le protocole additionnel sur la responsabilité et la réparation relatif au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques, qui sera bénéfique au niveau international.

Mais alors, pourquoi la France a-t-elle été si lente à le ratifier ? Cette lenteur est absolument incroyable. Avec quatorze autres pays, la France a signé ce protocole additionnel le 11 mai 2011 à New York. Depuis, seuls trois des quinze États ne l’ont pas encore ratifié ; tous les autres l’ont fait dans les trois années qui ont suivi la signature. Pourquoi avons-nous tant attendu ? Nous pouvons comprendre qu’il faille du temps pour préparer ces textes, mais il n’est pas sérieux d’attendre plus de huit ans, d’autant que le protocole est entré en vigueur le 5 mars 2018, puisque quarante pays l’avaient alors ratifié. La France n’aura même pas été parmi les pays qui auront contribué à cette réussite. C’est dommage : cela ne montre pas le meilleur visage d’une démocratie dynamique et volontaire sur la question de la biodiversité.

La France importe environ 4 millions de tonnes de plantes transgéniques par an, notamment du soja américain, du maïs destiné à l’alimentation animale et des graines de colza pour la transformation. Ainsi, nous refusons de produire ces denrées, mais acceptons leur importation.

Ainsi donc, huit ans et deux mois plus tard, l’Assemblée nationale va enfin ratifier le protocole additionnel. Cette lenteur aura au moins permis à la France de créer une réglementation conforme à ce protocole, et même bien au-delà. Notre réglementation sur les OGM est en effet l’une des plus exigeantes du monde : aucune modification ne sera donc nécessaire pour que notre droit soit conforme au protocole. C’est une raison de plus qui aurait pu nous conduire à ratifier le texte beaucoup plus rapidement. Mais mieux vaut tard que jamais, car ce texte est symboliquement importante pour rappeler que la France maintient son principe de précaution envers les organismes vivants modifiés.

Il faut le rappeler, l’importation d’OVM est déjà une réalité en Europe. Selon les estimations de la Commission européenne, sur la période 2013-2015, 85 % du soja importé par l’Union européenne, soit 30 millions de tonnes, était du soja OVM. La France importe environ 4 millions de tonnes de plantes transgéniques par an, notamment du soja américain, du maïs destiné à l’alimentation animale et des graines de colza pour la transformation. Ainsi, nous refusons de produire ces denrées, mais leur importation menace notre biodiversité et malmène très certainement des filières agricoles déjà fragiles.

Cela nous amène au principal grief que l’on peut faire à ce protocole : il n’est pas signé par les plus importants producteurs et exportateurs d’OVM du monde. Un gigantesque travail reste à accomplir pour que les plus gros producteurs d’OVM que sont les États-Unis, le Brésil, l’Argentine et le Canada deviennent parties au protocole additionnel. L’Assemblée nationale tout entière devrait regretter l’absence de ces États parmi les signataires du texte. À ce titre, les députés communistes encouragent le Quai d’Orsay à intensifier ses efforts pour que ces pays et leurs grandes entreprises productrices d’OVM soient davantage contraints. L’Assemblée nationale pourrait d’ailleurs demander, en plus de cette ratification, que la France crée les conditions pour que tous ses partenaires économiques soient obligés de signer ce protocole pour faire affaire avec elle.

Nous nous engageons en effet dans un processus extrêmement paradoxal. Nous ratifions ce texte au lendemain de la présentation, en conseil des ministres, du projet de loi autorisant la ratification du CETA, et au moment où la majorité, main dans la main avec l’Union européenne, ratifie à tour de bras des traités de libre-échange avec tous les plus gros producteurs d’OGM du monde l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Brésil et l’Argentine au sein du MERCORUS, le Japon et les États-Unis ! Nous favorisons donc les échanges commerciaux avec des pays qui ne partagent pas notre philosophie à propos du principe de précaution, bafouant ainsi nos engagements écologiques en lien avec la biodiversité. C’est extrêmement regrettable.

Les députés communistes se satisfont de la ratification de ce protocole par la France, mais une telle hypocrisie ne peut convenir. Ce texte vise à élever les normes internationales en matière de sécurité alimentaire – je le répète, le groupe GDR se félicite de cette avancée –, mais il est bien trop timide et porte les stigmates des lobbies pro-OGM et de l’agro-industrie qui en ont limité la portée.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons. Toutefois, nous espérons que la majorité va finir par comprendre qu’il est totalement incohérent de ratifier ce texte aujourd’hui et le CETA dans deux semaines, et qu’il serait préférable de ne voter que les textes visant à préserver notre planète au lieu de la saccager. (M. Christian Hutin applaudit.)

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Jean-Paul
Dufrègne

Député de l' Allier (1ère circonscription)

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