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La France a fait un choix : les décisions en matière de bioéthique reviennent aux représentants du peuple. Cela relève à notre sens d’une affirmation : nous allons ici, pendant trois semaines de débats, bel et bien faire des choix politiques. Comment pourrait-il en être autrement, au moment de réglementer les interventions techniques sur le corps humain ? Nous nous projetons dans l’avenir et protégeons ensemble le progrès.

Certes, il y a des vécus, des points de vue, des contradictions qui dépassent les clivages habituels, mais les décisions que nous allons prendre ici, sans les dramatiser, auront des conséquences durables sur ce que nous, genre humain, serons demain.

C’est pourquoi, d’ailleurs, il me semble si important de souligner la pertinence du débat organisé en amont dans la société, et que nous pourrions davantage encore développer. Saluons sa richesse et affirmons combien tous ces sujets qui préfigurent le monde de demain nécessitent d’être instruits dans le monde d’aujourd’hui, surtout lorsque parfois demain est déjà dépassé, ou qu’il tape à notre porte. L’idée n’est pas de ralentir ou d’accélérer le progrès, il est de prendre en compte, de mesurer, de protéger, d’évoluer, d’avancer.

De nombreux sujets nous attendent dans les prochains jours, mais je veux dire mon enthousiasme à enfin examiner ce texte. Beaucoup affirment que l’ouverture de la PMA à toutes les femmes n’est pas le cœur de ce projet de loi de bioéthique. Peut-être ; elle est pourtant placée à l’article 1er. Elle explique aussi certainement le retard de son inscription dans le calendrier législatif.

Je tiens à saluer ici le courage et la détermination dont ont fait preuve tous ceux, et surtout celles, qui par leur lutte permettent que nous votions, très bientôt, cette belle mesure. Ces femmes ont subies trop d’insultes et trop d’invisibilisation dans les débats. Nous veillerons chaque instant à ce qu’aucune autre insulte ne puisse être prononcée dans l’indifférence de notre hémicycle.

Puisque je parlais de choix politiques, j’en décline tout de suite les principaux : le droit des femmes à disposer librement de leur corps, la conception de la famille comme construction sociale en constante évolution, l’égalité effective par les droits qui s’y rapportent, l’enfance protégée et sécurisée, la non-marchandisation du corps humain.

Je m’arrête sur celle-ci, car elle est très certainement notre ligne rouge, non pas celle brandie comme un obstacle à toute avancée, mais comme le refus de la marchandisation pensée comme un préalable et comme une finalité, dans un monde en permanente compétition et accumulation, en conflit aussi, et, à certains égards, en déshumanisation.

Nous protéger de cette marchandisation, c’est un peu, beaucoup sûrement, protéger notre humanité. C’est pourquoi, par exemple, nous combattrons la possibilité de confier à des entreprises privées l’autoconservation des ovocytes, possibilité donnée demain aux femmes qui le souhaitent, librement.

C’est un fait : notre société crée, s’approprie, intègre les changements, souvent bien avant que nos lois ne les absorbent. Au début des années 1990, à l’aube des débats sur l’encadrement de la PMA, on entendait certains prétendre qu’il n’était pas possible de concevoir un don de sperme ou d’ovocytes autrement que comme un adultère. Aujourd’hui, nous entendons çà et là des mensonges, ou plutôt des stupidités offensantes à l’encontre des futures bénéficiaires de la PMA pour toutes, alors même que trois quarts des Français y sont favorables, que trois quarts des Français y sont prêts.

La sociologue Irène Théry affirmait il y a peu que, « depuis 2013, il y a eu une légitimation des couples de même sexe, [et] le monde ne s’est pas écroulé ». Bien sûr que non – mais peut-être est-il important de le rappeler.

Ces débats ont le mérite de secouer à leur tour notre modèle patriarcal, qui permet à l’un de comparer l’ouverture de la PMA à une « malédiction », à l’autre de parler des femmes seules comme de « droguées », ou de pointer du doigt un prétendu « lobby LGBT puissant ».

Je fais miens les mots de la journaliste Mona Chollet : « L’idée que les femmes sont des individus souverains, et non de simples appendices, des attelages en attente d’un cheval de trait, peine à se frayer un chemin dans les esprits – et pas seulement chez les politiciens conservateurs. »

Oui, il faut le dire, les débats sur l’ouverture de la PMA sont très souvent teintés d’un sexisme et d’une lesbophobie insupportables. Comment ne le seraient-ils pas, même inconsciemment, lorsque les principales concernées, les premières à souffrir des discriminations, des difficultés dans la fondation d’une famille, sont si peu écoutées, si peu consultées ?

L’ouverture de la PMA à toutes les femmes n’est ni l’ouverture à la GPA, ni la réponse à un quelconque droit à l’enfant, dont seuls se revendiquent celles et ceux pour qui cette aspiration est déjà comblée. Elle est un enjeu d’égalité et de liberté plus que de bioéthique.

Entendons-nous sur le terme d’égalité : l’ouverture demain de la PMA permettra à toutes les femmes dotées d’un utérus – et donc, en ce sens, égales – d’avoir le même accès à une technique médicale ancienne et encadrée depuis longtemps, qui déjà permet de procréer autrement que charnellement, avec un don de gamètes. Nous avons donc déjà permis, via cette technique, que des parents le soient, sans être les géniteurs. Ce n’est pas jouer avec la science, ni agir en apprentis sorciers.

Notre boussole doit être le bien-être de l’enfant, son intérêt supérieur. Aujourd’hui, 60 % des enfants naissent hors mariage : qu’en pensions-nous il y a quatre-vingt-dix ans ? Que pensions-nous des enfants de divorcés il y a cinquante ans, ou seulement quarante ans ?

Les enfants issus de la PMA existent déjà ; les enfants élevés par deux femmes ou par une femme seule, aussi. Ils ne vont finalement ni moins bien, ni mieux, que les enfants élevés par des couples hétérosexuels ou dans des familles monoparentales. Les études de la chercheuse Susan Gombolok nous montrent que l’épanouissement des enfants n’est en rien corrélé à l’orientation sexuelle : elle l’est à la qualité des interactions entre parents et enfants – je me demande parfois si nous avions vraiment besoin de telles études pour le prouver.

L’égalité doit aussi être au cœur d’une filiation sécurisée. L’ouverture de la PMA a nécessité de faire évoluer la notion de filiation dans notre droit. Rappelons que le droit ne lie pas la filiation à l’origine biologique de l’enfant, mais à la paternité ou à la maternité, à celui ou à celle qui l’aime, l’élève, l’entoure et le place au cœur d’un projet familial. Cette construction juridique n’est pas fondée sur des principes biologiques, mais bien sur un principe de responsabilité vis-à-vis de l’enfant.

C’est ainsi que la première version de ce texte constituait à nos yeux une discrimination au regard de l’état civil en matière de filiation. Il créait de fait un traitement différent entre un couple hétérosexuel bénéficiant du don d’un tiers donneur et un couple lesbien placé dans la même situation. Il constituait une marginalisation supplémentaire.

Grâce à l’appui de nombreux juristes, d’associations, ainsi que de députés, le texte a été modifié et enrichi. Je m’en félicite. Nous ne sommes pas tout à fait au bout du chemin. Les auditions nous ont permis de mieux cerner la logique de dissimulation, au nom de la vraisemblance biologique, à destination des couples hétérosexuels bénéficiant d’un don de gamètes. Nous avons réalisé des progrès dans le domaine de la filiation.

L’ouverture de la PMA à toutes relève également de la protection du corps des femmes. Ses actuelles limitations poussent de nombreuses femmes à entreprendre des pratiques dangereuses, comme des relations sexuelles non protégées, des achats de sperme en dehors des circuits légaux, ou même des inséminations artisanales. Le recours au marché gris de la procréation sur internet met en danger la santé de ces femmes et des enfants.

Cette situation nous invite également à penser à l’élaboration d’une campagne nationale pour le don de sperme et le don d’ovocytes, comme il a existé des campagnes nationales pour le don d’organes. En France, un couple sur six a des difficultés à concevoir. Ce chiffre est en constante augmentation et nous conduit à envisager à un grand plan sur la fertilité dans un avenir proche. Je me permets de rappeler à quel point il est insupportable et fou, dans une société où l’injonction à être mère est si forte, de voir cet espoir réduit à un caprice ou à une demande sociétale !

La décision d’entamer un parcours de PMA est mûrement réfléchie ; ce parcours est douloureux et son taux d’échec immense. La PMA peut être lourde, elle peut parfois fracturer les couples. Elle s’accompagne de son lot de déceptions et de souffrances, avec, heureusement, souvent mais pas assez, au bout du chemin, la joie, quand arrive l’enfant tant désiré. Car oui, nous parlons bel et bien du désir si singulier d’avoir un enfant, de l’élever, de l’aimer. L’expression « droit à l’enfant » est aussi vide de sens qu’elle est blessante pour les couples et les femmes en situation d’hypofertilité.

La foudre qui devait s’abattre avec le mariage pour tous semble être restée dans le domaine de l’amour ; à nouveau avec la PMA pour toutes, l’orage passera, s’éloignera, mais le bonheur de celles et ceux qui bénéficieront de ce progrès, lui, restera. Il était temps, plus que temps. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC et sur quelques bancs du groupe LaREM. Mme Caroline Fiat applaudit.)

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Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)

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