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Accord sur le siège de l’Autorité européenne des marchés financiers

Mes chers collègues,

L’accord visant à installer l’Autorité européenne des marchés financiers à Paris nous conduit à évoquer non seulement cette installation à proprement parler, mais aussi et surtout le contenu de la politique envers les marchés financiers menée par l’Union européenne et par la France.

Cet accord, dit « de siège », est classique et c’est pourquoi le groupe GDR votera en faveur du présent projet de loi, qui permettra d’officialiser les dispositions visant à assurer le bon fonctionnement de l’Autorité européenne des marchés financiers, l’AEMF, et de ses 230 agents permanents.

Pour rappel, l’AEMF a été instituée en 2010 ; elle est installée à Paris depuis le 1er janvier 2011. C’est une autorité indépendante de l’Union européenne, qui vise à améliorer la protection des investisseurs et à promouvoir la stabilité et le bon fonctionnement des marchés financiers. C’est la crise de 2007 qui avait suscité le besoin de réformer le système de surveillance financier européen.

Les dispositions de cet accord n’appellent aucune modification du droit français, puisque l’Autorité européenne des marchés financiers siège à Paris depuis son ouverture, le 1er janvier 2011. Toutefois, elle le faisait sans accord de siège. Le présent accord permettra donc d’« officialiser », en quelque sorte, l’installation de l’Autorité, en lui garantissant les privilèges propres à toute institution européenne, c’est-à-dire les privilèges fiscaux des employés, lesquels sont au régime fiscal européen et non au régime français, les privilèges relatifs à la TVA, puisque les fonctionnaires européens ne paient pas la TVA au-delà de 150 euros, les privilèges attachés aux mouvements des matériels et l’immunité juridique de ses membres, qui ne sont responsables que devant l’Union européenne.

Si cet accord s’inscrit dans ce qui se fait traditionnellement, il conviendrait de mener une réflexion sur l’étendue de ces privilèges.

L’absence d’accord n’a pas créé de difficultés de fonctionnement jusqu’à présent, mais le présent texte permet de nous mettre « dans les clous » du règlement de l’AEMF. Pourquoi donc l’avoir fait plus de huit ans après l’installation effective de cette autorité à Paris ?

C’est le Brexit qui a chamboulé les choses. Avec le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, plusieurs institutions, jusqu’alors hébergées outre-Manche, ont dû déménager. Ce fut notamment le cas pour l’Autorité bancaire européenne, l’ABE, qui a déménagé de Londres à Paris en mars dernier. Le rapprochement géographique de ces deux institutions, l’ABE et l’AEMF, permettra sans doute, à terme, d’envisager une fusion. Or, pour préparer ce possible changement, la France et l’Union européenne veulent que tout soit calé juridiquement. On peut donc indirectement replacer cet accord de siège dans le cadre de l’installation de l’ABE à Paris à cause du Brexit. Voilà pour la première partie de contexte.

La seconde partie, elle, est moins reluisante. L’AEMF s’installe à Paris au moment où le Président de la République se livre à une intense danse du ventre à l’intention de la finance londonienne pour tirer un maximum de profit du Brexit, à tout le moins s’il finit par avoir lieu ! Dès votre arrivée au pouvoir, vous avez ainsi supprimé la tranche supérieure de la taxe sur les salaires, réformé la fiscalité des actions gratuites et réformé le régime des impatriés, c’est-à-dire des salariés de filiales envoyés vers leur siège.

L’autre indécence concerne la suppression de la taxe sur les transactions financières intra-journalières. Une taxe sur les transactions financières existe en France, mais elle ne porte que sur les transactions dont l’échéance est supérieure à une journée. Aux termes de la loi, les transactions inférieures à une journée devaient être taxées à partir du 1er janvier 2018, mais le Président et cette majorité se sont empressés de supprimer cette disposition pour ne pas affoler la finance.

Les députés communistes pensent que la finance doit être soumise aux besoins de l’économie réelle, et non être libérée. Elle a déjà fait suffisamment de dégâts comme ça, et les peuples en ont en marre d’être appelés à la rescousse dès que les folies financières débordent et qu’il faut sauver le capitalisme.
Plutôt que d’encourager les installations et l’ultralibéralisme de ce milieu, il faudrait renforcer les institutions de régulation. Timidement, l’Union européenne tente de renforcer les compétences de l’AEMF, comme en 2017 lorsqu’il a fallu anticiper le potentiel dumping des services financiers en cas de Brexit effectif. L’Union a alors confié à l’Autorité européenne des marchés financiers le contrôle des fonds régulés, des assurances et des indices de référence, et lui a accordé un pouvoir de contrôle direct des données en matière de transactions sur les marchés. Son rôle, désormais reconnu pour tenter de stabiliser la finance européenne, reste à nos yeux très insuffisant.
Piliers de la régulation, l’AEMF comme l’Autorité bancaire européenne, également sise à Paris du fait du Brexit, devraient avoir un rôle bien plus puissant qu’aujourd’hui et mieux contrôlé démocratiquement. Car, au fond, la question posée est celle de la reprise en main démocratique de la finance. Sur ce point, l’Europe reste lacunaire et agit bien souvent en cheval de Troie d’une finance hors de contrôle.

À ce sujet, la France devrait être à l’initiative pour l’instauration rapide d’une taxation européenne des transactions financières ambitieuse. Ce chantier, discrètement mis à l’écart et bloqué par plusieurs États membres, dont la France, devrait être ouvert pour calmer les ardeurs de la finance internationale.
Avec une assiette large, un taux relativement réduit et une taxation journalière et intra-journalière, le rendement d’une telle taxe serait élevé, au vu des volumes colossaux qui sont échangés sur les marchés financiers européens. Ses recettes pourraient financer l’aide publique au développement, des services publics européens, des projets de transition écologique, voire une partie du budget propre de l’Union européenne. Cette taxe aurait également pour vertu de calmer la chaudière financière en faisant disparaître toutes ces opérations spéculatives inutiles à l’économie réelle.
L’Union européenne devrait aussi travailler à une directive européenne sur la séparation des activités bancaires, les activités traditionnelles et celles qui relèvent de la finance. Une telle séparation assainirait les flux financiers et éviterait les hémorragies terribles que nous avons connues lors de la crise de 2007. Elle serait bien plus ambitieuse que la loi mise en œuvre dans notre pays en 2012, laquelle n’a rien séparé du tout.
Enfin, pour permettre au secteur bancaire d’être plus résilient en cas de crise grave, il faudrait démanteler en des entités plus petites les établissements bancaires trop importants – ces fameux « too big to fail » aux bilans financiers supérieurs au produit intérieur brut de certains États.

Ces actions devraient être menées tambour battant car, dix ans après la crise financière, on vient de le dire, la menace plane, toujours plus lourde, sur notre continent. Et la question n’est même plus de savoir si une crise arrivera, mais bien quand, et quelle en sera l’ampleur.

Enfin, pour aider l’Autorité, les députés communistes proposent un encadrement très ferme des activités de lobbying auprès des institutions européennes, AEMF comprise. Le poids des lobbies au sein de l’Union européenne est écrasant, et l’inaction de celle-ci dans l’encadrement de la finance européenne est à mettre directement au crédit de tous ceux qui s’affairent pour que la régulation ne soit qu’une façade aisément contournable.
Tant de réformes doivent être conduites pour domestiquer fortement le monde de la finance et limiter un drame lors de la prochaine crise, mais on voit si peu de volonté politique pour le faire !

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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