Interventions

Evaluation et contrôle du Gouvernement

Débat sur les allègements de la fiscalité au profit du capital des entreprises

Merci aux trois intervenants pour leur présence. Je souhaite leur poser deux questions.

La première a trait au propos de M. Drezet, qui souligne l’affaiblissement du consentement à l’impôt. Cette idée mérite d’être développée : ne perd-on pas progressivement le sens de l’impôt, qui est de permettre à la société de remplir ses fonctions essentielles – santé, éducation, justice, enjeux écologiques ? Toutes les mesures récentes ne nous font-elles pas perdre le fil des véritables enjeux sociétaux auxquels nous devons répondre ? Peut-on, par exemple, mieux soigner en cotisant moins ou en payant moins d’impôts ? C’est une vraie question.

Ma deuxième interrogation a été partiellement traitée : M. Sterdyniak a souligné le caractère catastrophique du PFU (prélèvement forfaitaire unique) et ses effets collatéraux, notamment le transfert des rémunérations des dirigeants d’entreprise vers une attribution accrue de dividendes. Disposons-nous aujourd’hui de chiffres concernant le montant de ce transfert et ses effets, en matière d’impôts mais aussi de cotisations sociales, puisqu’elles sont plus faibles sur les dividendes que sur les rémunérations ?

M. le président. La parole est à M. Fabrice Lenglart, Inspecteur général de l’INSEE, Président du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital.

M. Fabrice Lenglart. Sur le dernier point, j’appelle votre attention sur le fait que l’adoption du PFU a conduit à une augmentation des dividendes distribués aux ménages, ce qui a atténué, dans une proportion causale qui reste à déterminer, la baisse de la plus-value fiscale – puisque ces dividendes supplémentaires ont été taxés.

S’agissant de la redénomination des revenus par les dirigeants d’entreprises, nous ne disposons d’aucun élément. Nous avons auditionné Gabriel Zucman, qui a appelé notre attention sur ce risque – qui est d’ailleurs mentionné dans notre rapport –, mais, à ce jour, il n’existe aucune preuve, en France, d’une telle redénomination.

M. le président. La parole est à M. Vincent Drezet, ancien secrétaire général du syndicat Solidaires finances publiques.

M. Vincent Drezet. Votre première question sur le consentement à l’impôt rejoint le débat relatif au niveau des prélèvements obligatoires. Je m’étais amusé, par le passé, à tenter de décrire ce que serait une société sans impôt. Une société sans impôt, bien sûr, n’est pas une société. On peut débattre des conséquences précises d’une suppression de la fiscalité, mais elle aurait, de toute façon, un coût pour la santé et tous les secteurs actuellement financés par les prélèvements obligatoires. La gestion de ce coût serait laissée à la responsabilité de chacun, ce qui signifie que ceux qui n’en auraient pas les moyens ne seraient pas couverts.

Ce débat ressurgit aujourd’hui à l’occasion du projet de réforme des retraites mais, de manière plus générale, la question qui se pose est simple : les besoins socioéconomiques doivent-ils être pris en charge et, si oui, doivent-ils l’être de manière collective ou individuelle ? Le débat est bien celui-là : personne, en réalité, ne veut abandonner la prise en charge de la santé, des besoins environnementaux ou encore de l’éducation. Tout l’enjeu consiste donc à savoir si l’on met au pot commun pour les financer ou si l’on renvoie chacun à sa responsabilité – ce qui signifierait bien une augmentation des prélèvements obligatoires, mais uniquement des prélèvements obligatoires privés. Ces derniers seraient, pour le coup, répartis de manière très inégalitaire, et offriraient aux ménages des couvertures tout aussi inégalitaires.

C’est cette pédagogie de l’impôt qui manque – et sans doute pas seulement en France – et qui permettrait de nourrir un débat public de qualité, de mieux poser les enjeux et de redonner du sens, car la crise du consentement à l’impôt alimente la crise démocratique. Nous sommes tous, ici, concernés par cet enjeu, y compris les organisations syndicales.

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