Interventions

Evaluation et contrôle du Gouvernement

Questions à la ministre sur les allègements de la fiscalité au profit du capital et des entreprises

Première question
Courir derrière les pays voisins où les salaires sont les moins élevés finit par nous coûter très cher : c’est le coût d’une délocalisation. Whirlpool Amiens a ainsi délocalisé son entreprise en Pologne, où le salaire est de 549 euros net par mois. La France subit ainsi une triple peine : la délocalisation de l’entreprise crée chez nous du chômage, payé par la collectivité ; à quoi s’ajoutent un coût climatique – puisque les sèche-linge sont désormais importés en France, avec la pollution que cela génère – et un coût fiscal puisque l’entreprise qui, localisée à Amiens, payait des impôts en France n’est plus là pour le faire. Il faut prendre ces coûts en compte et c’est pourquoi nous affirmons qu’il vaut mieux investir de l’argent public pour qu’un industriel maintienne une entreprise dans notre pays. C’est ainsi que nous sauverons notre industrie plutôt que de la laisser partir comme vous l’avez fait avec Whirlpool Amiens.

Ensuite, nous avons appris, au cours de la première partie du présent débat, que les exonérations de cotisations, la baisse de la fiscalité, en particulier de la fiscalité sur le patrimoine ont représenté, ces cinq dernières années, 186 milliards d’euros – autant de cadeaux faits aux entreprises de notre pays. Je vous demande un chiffre, madame la secrétaire d’État : combien d’emplois créés dans l’industrie en CDI à temps complet, quel est le solde positif en matière d’emplois industriels ? Vous n’arrêtez pas de donner des chiffres d’emplois créés, mais quel est le solde d’emplois créés dans l’industrie ? Je ne parle pas des emplois de type Uber ou Deliveroo, de ces contrats précaires, mais bien des emplois industriels. Combien y en a-t-il eu de créés en France depuis que vous avez mis en place cette politique ?

Enfin, vous avez évoqué une augmentation des investissements. Eh bien, nous voulons savoir combien il y a eu d’investissements réalisés par les 600 000 foyers qui payaient l’ISF et qui ne le payent plus. Selon la théorie du ruissellement et celle des « premiers de cordée » théorisée par le Président de la République, ces super riches allaient investir. Combien, donc, les 600 000 foyers, qui ont un patrimoine taxable de 1 000 milliards d’euros, ont-ils investi dans leur activité professionnelle ? Ils investissaient dans les entreprises puisque cela n’était pas pris en compte dans le calcul de l’ISF. Je veux savoir combien, du fait de votre politique, ils ont investi,…

M. le président. Merci, cher collègue.

M. Fabien Roussel. …et combien d’entreprises industrielles ont été créées. En effet, vous parlez de création de sites industriels : combien de sites ont été créés par rapport au nombre de suppressions ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Vous avez raison, monsieur le député, nous devons être en mesure de calculer les externalités négatives : les émissions de carbone induites par la production à l’étranger de biens importés dans notre pays devraient, d’une certaine manière, être taxées. Les émissions de carbone de l’industrie en France ont reculé de 40 % depuis vingt ans, mais, au cours la même période, notre empreinte carbone a progressé de 11 %, tout cela parce que nos importations ont augmenté. C’est tout l’enjeu du mécanisme d’inclusion carbone aux frontières en faveur duquel nous nous battons à Bruxelles.

Pourquoi Whirlpool part-il s’installer en Pologne ? Parce que les Français n’ont pas les moyens de payer 500 ou 600 euros pour un lave-linge ou un sèche-linge. Il y a un écart de 1 000 euros entre le coût moyen d’une voiture produite en France et celui de la même voiture construite en Espagne. Tant que les consommateurs ne seront pas prêts à payer 1 000 euros supplémentaires, ce que je peux comprendre, le carnet de commandes ne se remplira pas. Finalement, c’est le consommateur qui prend une décision ; ce n’est pas l’entreprise.

On a tort d’opposer les personnes aux entreprises, car ces dernières sont elles-mêmes des personnes, des emplois. L’entreprise est une fiction normative derrière laquelle il y a des actionnaires – qui sont-ils ? la question mérite d’être posée –, des salariés et des sous-traitants.

S’agissant de l’emploi industriel, nous donnons des chiffres de créations nettes – il ne s’agit pas de créations pures. Depuis deux ans et demi, 23 000 emplois industriels nets ont été créés. Je rappelle qu’un emploi industriel crée quatre à cinq emplois dans les services et que, entre 2000 et 2016, pas un seul emploi industriel net n’avait été créé. Certaines années – ce fut évidemment le cas en 2008-2009 –, on déplorait même de véritables saignées, avec 140 000 ou 180 000 emplois perdus.

Nous avons aussi créé 700 000 emplois qui ne sont pas des emplois Uber. Il s’agit majoritairement de contrats à durée indéterminée. La répartition entre CDD et CDI a profité aux CDI.

M. Jean-Paul Dufrègne. C’est faux !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. La différence de recettes entre l’ISF et l’IFI n’est plus aujourd’hui que de 1,5 milliard d’euros, car nous avons prélevé davantage d’IFI que ce qui avait été initialement évalué. Nous ne disposons pas d’éléments précis sur la façon dont ce delta s’est réparti, mais comparons-le aux 2 400 milliards du PIB : cela ne représente pas une partie essentielle des impôts ou de la valeur produite en France.

2ème questions
Je voudrais revenir sur quelque chose qui me turlupine. L’allégement de la fiscalité sur le capital coûte cher au budget de la nation. En effet, la baisse de l’impôt sur les sociétés s’est faite sans aucune contrepartie puisque les entreprises bénéficiaires n’ont pas d’obligation d’investir, de relocaliser la production ou d’augmenter les salaires. La baisse de la flat tax – le prélèvement forfaitaire unique – n’a, elle non plus, été assortie d’aucune condition. Quant au CICE, lui aussi accordé aux entreprises sans les obliger à investir ou à respecter des normes environnementales, salariales ou sociales, il coûtera au budget de l’État 142 milliards d’euros sur cinq ans.

En même temps, ces entreprises qui paieront moins d’impôts, qui ne seront plus taxées sur les dividendes et dont les actionnaires bénéficient d’un bouclier fiscal distribuent, pour celles du CAC40, 60 milliards d’euros de dividendes. D’une certaine façon, c’est notre argent que l’on verse à des entreprises et qui se retrouve dans la poche des actionnaires.

N’y a-t-il pas une contradiction énorme entre ces cadeaux accordés aux entreprises – que vous préférez appeler « soutien à la fiscalité » ou « allégement de la fiscalité sur le capital » –, sans aucune contrepartie, et les chiffres record de dividendes distribués aux actionnaires ? Si ces entreprises distribuent autant de dividendes, c’est qu’elles en ont les moyens ; dès lors, elles ne devraient pas bénéficier des largesses de l’État.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Revenons sur le fonctionnement des dividendes. Seulement 15 % de la production des entreprises du CAC40 sont basés en France. Ces entreprises sont en effet en croissance, mais en règle générale, leur zone de croissance n’est pas la France, ni même l’Europe ; c’est beaucoup l’Asie et un peu les États-Unis. L’augmentation de leurs dividendes est liée à la croissance économique : en effet, dans la zone asiatique, la croissance est de l’ordre de 5 à 6 %. Vous observerez d’ailleurs que la progression des dividendes est inférieure à ce chiffre ; le taux de distribution des dividendes connaît une certaine stabilité – même si on peut en discuter.

J’insiste sur ce point car on confond économie française et entreprises du CAC40. Si l’on considère, à la manière de la comptabilité nationale, l’ensemble des sociétés non financières, on constate que la part des dividendes distribués dans la valeur ajoutée globale s’élève à quelque 2,6 % en 1993, qu’elle reste ensuite à peu près stable jusqu’en 2001, puis monte progressivement jusqu’à 5 % avant de redescendre jusqu’à 2,5 % en 2013 ; depuis, elle reste à ce niveau. Je parle des dividendes nets et non bruts car, si l’argent circule entre les différents étages d’une holding sous forme de distribution de dividendes, c’est toujours la même somme qui remonte, comptée plusieurs fois. Ainsi, lorsque l’on s’intéresse à la réalité de la distribution des dividendes dans notre économie, on constate qu’ils représentent exactement la même part de la valeur ajoutée qu’en 1993. Ils sont aujourd’hui inférieurs à leur niveau de 1995, 1997 et 1999, légèrement supérieurs au niveau de 2001, et inférieurs à leur niveau d’avant 2013. Voilà la réalité ! Je vous renvoie aux chiffres.

M. Fabien Roussel. Ça ne répond pas à ma question !

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